Fans de Black Mirror, le concept de notation sociale vous est sûrement familier. C’est bien l’épisode « Chute Libre » (saison 3) qui nous plonge dans un univers où la popularité et le nombre de likes dictent l’accès à certains restaurants, appartements ou même emplois. Qui pouvait imaginer que ce scénario dystopique verrait le jour à notre ère et dans l’une des puissances mondiales : la Chine ?
Depuis 2014, la Chine a vu l’émergence de systèmes de réputation pour ses citoyens et entreprises, mis en place par des acteurs privés et publics. Réunis sous le terme de « Système de Crédit Social » (SCS), ils attribuent à chacun une note allant souvent de 350 à 950 points ou dans des groupes allant de « AAA » à « D ». L’objectif principal de ce système: un meilleur fonctionnement des administrations et de la finance en général, et l’instauration d’une confiance dans les échanges économiques.
Le principe du SCS est le suivant : une action positive fait gagner des points, et inversement, un comportement négatif en génère une perte. Faire un don de sang, du bénévolat pour la Croix rouge chinoise, être classé foyer «vert»… nombreux sont les moyens pour améliorer son crédit social. Les personnes ayant un excellent score peuvent bénéficier de procédures accélérées pour l’obtention de prêts, la réduction de taux d’intérêt et du prix d’entrées touristiques, etc. Les citoyens ayant un score moyen ou bon, quant à eux, ne font pas l’objet de mesures particulières. À l’inverse, on peut perdre des points après avoir enfreint le Code de la route, ne pas avoir payé ses employés, avoir des dettes impayées ou, dans le cas des entreprises, être responsable d’incidents liés à la sécurité alimentaire. Celles-ci sont fortement régulées dans d’autres domaines tels la propriété intellectuelle et la fraude financière. En cas spécifique d’inconduite, en général de non-conformité aux décisions judiciaires, les personnes gravement « malhonnêtes » se retrouvent dans la liste noire. Conséquences graves : elles ne peuvent pas prendre l’avion ou le TGV, ni effectuer des transactions immobilières. Les entreprises, quant à elles, peuvent se voir interdire des financements ou la participation aux marchés publics.
Une arme de contrôle totalitaire ?
Le SCS suscite de vives critiques en Occident, notamment à cause des reportages sensationnalistes exagérant le concept. Beaucoup le perçoivent comme un outil de surveillance de masse orwellien qui contrôle chaque faits et gestes des individus. Pourtant, la réalité est plus complexe : le partage des données personnelles est limité et seuls les scores sont échangés entre les systèmes. En 2019, le gouvernement chinois a lui-même exprimé son mécontentement à l’égard des villes expérimentant le SCS, déclarant que les sanctions devaient se limiter aux infractions définies par la loi ainsi qu’aux violations civiles. De plus, c’est un outil bureaucratique qui concerne plus les entreprises que les individus. Une grande partie des citoyens vivant dans les zones rurales ne sont même pas au courant.
Le dilemme : liberté ou ordre social ?
Il est crucial de garder à l’esprit que notre perception du SCS est souvent teintée de notre propre culture et nos valeurs. En Occident, où les démocraties valorisent fortement les libertés individuelles, il peut sembler intrusif et menaçant. Cependant, dans les régimes socialistes autoritaires de marché comme la Chine où l’accent est mis sur l’ordre social et l’autodiscipline, il est souvent vu comme un outil de cohésion sociale, permettant à tous de « bien se comporter». De plus, les communautés chinoises ne sont pas passives face au crédit social : elles se sont déjà opposées à des projets de notation jugés trop coercitifs. En 2010, un projet pilote de notes individuelles dans le canton de Suining a été retiré, car la population refusait de se voir classer dans des catégories A, B, C, D.
L’objectif n’est pas de nier les dangers posés par la surveillance de masse et les technologies numériques, mais de se représenter une image du SCS fidèle à la réalité. Ceci est crucial pour guider les réflexions sur le traitement de données et l’atteinte aux libertés individuelles en Chine, qui font aujourd’hui l’objet de tant de débats.