IAM : la fin d’une époque

IAM : la fin d’une époque

Une page de l’histoire du hip-hop se tourne. Avec cet album, sobrement intitulé « …IAM », Akhenaton, Shurik’n et consorts signent la fin de leur production musicale. Leur contrat chez Universal, qu’ils jugent eux-mêmes faramineux, se termine à la fin de l’année. Dans un contexte difficile pour l’industrie musicale, les cinq marseillais sont conscients qu’aucune maison de disque ne leur proposera un contrat aussi avantageux. Les tournées continuent, mais plus aucun album ne verra le jour.

Jaquette de l'album "Arts Martiens", IAM

IAM aura marqué pendant trois décennies l’histoire du rap français. En 1984, deux jeunes marseillais, Akhenaton et DJ Kheops, fondent le Lively Crew. Cinq années plus tard, Shurik’n, Imhotep, Freeman et Khephren les rejoignent, et le groupe adopte le nom d’IAM. Le leadership est partagé par les deux chanteurs : Shurik’n avec sa voix rauque et son flow incisif, et Akhenaton, dont le timbre est plus posé et laisse échapper un cheveu sur la langue. Leur but premier est l’amusement. Ils ne savent pas encore que les portes du succès s’ouvrent à eux.

En 1991 sort leur premier album, « de la planète Mars ». Il permet au groupe d’acquérir une notoriété régionale. Leur second opus, « ombre est lumière », rencontre un franc succès, notamment grâce au morceau « je danse le mia ». Reprenant nombre d’expressions marseillaises et décrivant l’ambiance festive des boites de nuit pendant les années 80, il devient un des tubes de l’année 1993.

Les fans de rap découvrent ainsi un univers tantôt sérieux et dénonciateur, tantôt empreint d’humour et de parodie. Cette dualité est visible dans l’ensemble de leurs albums. La consécration vient en 1998 avec « l’école du micro d’argent ». Un album d’une remarquable homogénéité, dont de nombreux extraits sont devenus des classiques du rap français. « Demain c’est loin », morceau de 9 minutes, aura marqué toute une génération de rappeurs. Sur une instrumentale épurée, Shurik’n puis Akhenaton dénoncent les conditions de vie précaires dans les quartiers populaires. Force est de constater que le morceau n’a pas pris une ride aujourd’hui. Avec cet album, IAM se montre plus critique envers la société et ses dérives (notamment la prostitution et le trafic de drogue). Son succès commercial est incontestable avec 1,5 million d’exemplaires vendus. La reconnaissance ultime survient avec l’obtention de deux récompenses lors des Victoires de la Musique.

Une carrière artistique est souvent marquée par des hauts et des bas. IAM n’échappe pas à la règle. Le début des années 2000 constitue une période creuse pour le groupe. Les membres privilégient d’abord leur carrière solo. Puis, en 2003, ils reviennent ensemble avec l’album « Revoir un printemps ». On y découvre un Freeman beaucoup plus présent, qui chante dans l’ensemble des morceaux. Le succès critique est mitigé, et l’impact sur les ventes se fait ressentir. Avec le recul, cet opus apparait cependant comme l’un des plus aboutis du groupe, avec une musicalité très travaillée. Sans oublier un duo avec la star montante du RNB américain : Beyoncé Knowles. En 2007, « Saison 5 » débute directement à la deuxième place des charts. Après 15 ans de carrière, les rappeurs marseillais montrent que leur popularité reste forte. Mais des tensions internes se profilent.

Freeman décide de quitter le groupe en 2008, l’esprit empli de reproches envers Akhenaton, qui lui répondra et sera soutenu par les autres membres. Cette même année, à l’occasion de ses 20 ans, IAM réalise son plus grand rêve : se produire en concert au pied des pyramides de Gizeh. Puis une novelle pause de cinq années se profile. En avril 2013, « Arts martiens », le sixième opus, dépasse les 100 000 ventes. Pourtant sa sortie n’était pas garantie. Une collaboration avec le célèbre compositeur Ennio Morricone et son orchestre étaient prévue. L’enregistrement devait se dérouler en hiver 2012. Mais des problèmes contractuels provoquent l’annulation du projet. Une réelle désillusion. Les cinq marseillais ne se laissent pas abattre. Bien au contraire : ils réussissent la performance de produire 43 morceaux en quatre mois. Et la qualité est au rendez-vous. Les fans retrouvent l’ambiance qui fit le succès de « L’école du micro d’argent ». Mais un problème de taille se présente : le public ne se renouvèle pas.

La jeune génération n’adhère pas au rap conscient proposé par le groupe. Nombre d’adolescents parlent de « papys du rap ». Cela se vérifie au stade de France en septembre 2013. Lors d’Urban Peace 3, l’évènement rap de l’année, le public les siffle. Quelque chose s’est brisé. Ils ne se reconnaissent plus eux-mêmes dans le paysage du rap français. Dans une interview accordée à Métronews, lorsqu’il s’agit d’évoquer Booba et La Fouine, Akhenaton donne le ton : « C’est du Canada Dry. Ils ont la couleur du hip-hop, ils ressemblent au hip-hop, mais ils n’ont rien à voir. »

Des textes engagés, une richesse musicale, un univers partagé entre cultures égyptienne, japonaise et marseillaise, et une longévité inégalée dans le rap ; voilà comment résumer IAM. Avec ce dernier album, une page de l’histoire du rap se tourne. Espérons qu’une nouvelle tout aussi riche s’écrira.

Cet article a 1 commentaire

  1. Au final ils sont revenus avec Rêvolution

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