Cher Jean-Baptiste, je ne saurais t’expliquer le plaisir que j’ai à écrire un article sur mon pays. Non pas par patriotisme mal placé, mais surtout car j’en ai marre des remarques archaïques que j’entends au quotidien dans ce pays qui n’est pas mien. En espérant que je pourrais te faire voir ma belle Tunisie sous un nouvel angle, je tiens tout de même à préciser qu’il s’agit là du point de vue d’une personne privilégiée, et que l’ensemble des Tunisien.nes n’ont, clairement, pas eu la même expérience que moi (après tout, j’ai les moyens de venir pomper les ressources de la France pour ensuite les réinjecter dans l’économie Tunisienne).
» Chez nous, le père n’est pas le dictateur du foyer !»
Ah, mais, chez nous non plus. Vois-tu, quand j’ai une sortie de prévue, c’est à ma mère que je demande l’autorisation de sortir. Quand j’ai besoin d’argent, c’est à ma mère que je fais les yeux doux. Et, quand je rentre à 5h du matin alors que j’avais promis d’être à la maison à 22h, c’est à (une version très colérique de) ma mère que je fais face. Même si notre société arbore des normes fortement patriarcales, les mères contrôlent tout et tout le monde, à la lumière du jour ou en incognito. Même si tu aimes à penser que nos génitrices sont des femmes au foyer, soumises, passées de l’autorité de leurs pères à l’autorité de leurs maris, nos mamans sont, en réalité, des super héroïnes qui travaillent, s’occupent du logis, maintiennent un foyer paisible (sauf les jours où l’on reçoit nos bulletins), et trouvent, tout de même, le temps et l’énergie mentale de sécher nos larmes, nous conseiller, nous aimer, et convaincre nos pères que toutes les jeunes filles portent des jupes maintenant.
Disclaimer : Mon opinion peut être infondée, puisque ma propre mère est Marocaine, mais, de toutes les manières, tu nous confonds quoi que l’on dise, mon cher Jean-Baptiste; et non, le couscous Marocain n’est pas le même que le couscous Tunisien (le Marocain est meilleur).
Ah, nos pères, ces nounours. Avez-vous déjà vu un papa Maghrébin interagir avec un animal de compagnie? Ils les traitent mieux qu’ils ne nous traitent ! Oh, je dessers mon argument en disant ça ? Je ne tente, en aucun cas, de te peindre l’image d’une Tunisie parfaite ; il est vrai que la majorité des Tunisiens sont, à un certain degré, misogynes et atteints de masculinité toxique. Car oui, nos parents ont, certes, leurs défauts, mais bon, au moins, ils/elles ne nous jettent pas de chez nous à l’aube de notre 18ème anniversaire.
» La France est un pays laïque; la religion n’influence pas autant nos vies que là-bas.»
Quelle réalisation pertinente. Je te ferais savoir que j’ai eu plus de débats sur la religion en 5 mois de vie à Paris que je n’en ai eu en 22 années de vie à Tunis. Toi et tous.tes tes politicien.ne.s, êtes plus obsédé.e.s par le port du voile que nous autres Maghrébin.ne.s ; chez nous, c’est une image parfaitement normale que de voir des femmes voilées en boîte de nuit. En effet, tu peux penser que l’Islam traditionnel est encore une norme applicable en Tunisie. A cela, je te dirais, simplement, d’aller faire un tour en banlieue Nord de Tunis un Samedi soir ; ça boit de la Celtia (incontestablement la meilleure bière au monde), ça twerk sur du Cardi B, ça échange sa salive sans échanger ses numéros… Quel choc, n’est-ce pas ? Une jeunesse qui s’amuse et qui ne pense à la religion que pendant le Ramadhan ! Ne t’emballe pas, Jean-Baptiste, je ne suis pas en train de te dire que ton fantasme de ramener une «beurette» chez toi après une soirée est facile ; beaucoup de personnes respectent encore la religion et ont un lifestyle pieux mais, et tiens-toi bien, je sais que ce concept peut t’être étrange : on respecte les choix et les croyances des autres, tout autant que ces autres respectent (parfois) notre routine de je-sors-avec-une-tenue-je-rentre-avec-une-autre-tenue.
Disclaimer : Je précise, au risque de me faire lyncher par les zmigri, que j’ai vécu ma vie dans la ville la plus «open» de la Tunisie et que, de ce fait, mon absence totale de religion ne m’a jamais impactée ni ne m’a fait manquer de respect à ceux/celles qui pratiquent l’Islam (moderne ou traditionnel). Je te l’accorde, la religion demeure un élément important de la culture et de la justice tunisiennes, mais les temps changent, et, au moins, nos élu.e.s régionaux.ales ne s’en prennent pas à une femme parce qu’elle arbore un symbole de ses croyances personnelles.
«Les femmes sont bien plus libérées en France.»
Stéréotype le plus tristement répandu de mon joli petit pays. Comme ma deadline approche, et que je n’ai aucunement l’énergie de t’éduquer en détail, blanche colombe, tape ces noms sur Google : Amina Mezghani Ellouze, Rym Ben Othmani, Olfa Hamdi, Selma Babbou, Neil Benzina, Souad Abderrahim… Ou, pour faire plus vite, «femmes puissantes Tunisie». Car oui, on a aussi des associations féministes, des ministres féminines, des icônes au genre féminin dans notre monde entrepreneurial, des femmes en mini-jupe, des bikinis, et toute autre forme de libération de la femme en Tunisie… Tu lis, actuellement, un article écrit par une femme ayant vécu toute sa vie en Tunisie, et tu auras, sûrement, remarqué l’utilisation du langage inclusif (absent, d’ailleurs, des présentations de mes camarades féministes français.e.s), les idéaux modernistes, la maîtrise de la langue française… Il est vrai que ce dernier attribut est dû à la colonisation par ton pays, mais, il me permet d’ajouter une ligne supplémentaire dans la section «Langues» de mon CV, et, qui sait, peut-être de voler l’opportunité professionnelle d’un.e Français.e.
Je m’excuse, Jean-Baptiste, d’à nouveau briser ton image de la «beurette», mais non, nous ne passons pas nos vies à la chicha, nous sommes des battantes ; en frontline de chaque manifestation, à la tête de grandes entreprises, au contrôle de nombreux foyers, et sur le dancefloor de superbes boîtes.
Speed Run
Comme je l’ai dit précédemment, ma deadline approche, et ma patience commence, dangereusement, à diminuer, je vais donc utiliser la méthode du speed run pour le reste des stéréotypes.
- Sécurité : Si tu juges que les plus belles plages au monde ne pallient pas au manque de sécurité dans QUELQUES quartiers du pays, je te dirais simplement de continuer de profiter de la grisaille Parisienne en silence. Je me sens plus en danger dans le métro parisien qu’à Hay Tadhamen à Tunis (je sais que tu ne comprends pas encore la référence, visite la Tunisie et relis cet article ensuite).
- Droits LGBTQIA+ : Certes, nous sommes encore très en retard dans ce domaine particulier, puisqu’être membre de la communauté peut mener à une année de prison et un «test» inhumain ressemblant à un viol. Mais, tu sais ce que l’on fait pour combattre cette aberration ? On s’enfuit au club Gingembre (semblant de club LGBTQIA+ à Tunis) et on boit jusqu’au tendre oubli de la triste réalité de nos vies. Ah, et on gagne des procès avec nos quelques associations LGBTQIA+ que les extrémistes tentent, tant bien que mal, de détruire.
- Dictature : Le printemps arabe. 2011. Je n’en dirais pas plus. Renseigne-toi.
- Corruption : Il me semble que ce stéréotype est le seul qui soit réellement fondé. La corruption est un problème tellement répandu en Tunisie que nous sommes passé.e.s, à quelques votes près, d’un politicien publiquement corrompu à la présidence. Mais, en même temps, si vous pouviez arrêter d’ouvrir vos comptes chez nous pour fuir votre réglementation fiscale, ça pourrait nous aider.
Ô cher Jean-Baptiste, j’espère que, à la suite de cette lecture, tu arrêteras de me dire que tu connais mon pays et que tu peux débattre avec moi de la situation économique et sociale tunisienne parce que tu es ami avec Hamid, français né en France. Maintenant, tu as ce droit car tu as lu un article de Lilya, Maroco-Tunisienne née en Tunisie (ceci est une boutade, comme quasiment l’ensemble de l’article, ne te sens pas pousser des ailes et tiens-toi aux débats de ta propre nation).
Lilya Grouze, M1 Marketing & Stratégie