Écart d’âge au cinéma : une histoire de jeunisme et de sexisme

Écart d’âge au cinéma : une histoire de jeunisme et de sexisme

22 ans. C’est l’écart d’âge entre Emma Mackey et Romain Duris, qui incarnent la folle liaison amoureuse du film Eiffel. Le problème ? Leurs personnages n’ont que quelques années de différence. Alors pourquoi à Hollywood, les acteurs vieillissent… mais pas leurs conquêtes ? 

L’amour n’a pas d’âge. Tout le monde connaît cet adage. Pourtant, les actrices semblent, contrairement à leurs homologues masculins, avoir une date de péremption. Ce modèle « homme vieux/femme jeune », ou jeunisme, c’est la norme du 7e art. 

9 = 18 ? Les calculs ne sont pas bons 

Eiffel a réussi l’incroyable pari de se placer devant tous les autres long-métrage qui étaient très attendus. Julie en 12 chapitres ou Le dernier duel de Ridley Scott : rien ne semble faire choir l’œuvre de Martin Bourboulon de la première place du box office. Si Romain Duris et Emma Mackey sont deux acteurs très appréciés, on apprécie tout de suite moins leur gap générationnel. Et oui, le héros de l’Arnacoeur, âgé de 47 ans, incarne un Gustave Eiffel, qui en a 55. L’actrice de Sex Education de 25 ans incarne quant à elle Adrienne Bourgès, son amour de jeunesse… âgée de 44 ans. 9 ans d‘écart dans la réalité, plus du double entre les acteurs, vous voyez le problème ? Le scénario ne justifie pas ce choix de casting. 

Le meilleur exemple de ce problème systémique à Hollywood, reste le plus connu des espions britanniques : James Bond. Tout au long de la saga, l’agent 007 a flirté avec des actrices bien plus jeunes que lui. Dans Mourir peut attendre (2021), Daniel Craig à 53 et Léa Seydoux, 36 ans. 17 ans d’écart donc. Dans Spectre (2015), Daniel Craig n’avait « que » 47 ans, contre 51 pour Monica Bellucci. Sam Mendes avait qualifié l’évènement de « concept révolutionnaire », arguant que, « pour la première fois de l’Histoire, James Bond va vivre une relation avec une femme d’âge mûr ». 

Avant ou après #metoo : même combat 

La franchise illustre de manière criarde le jeunisme qui ne choque même plus au cinéma. Maggie Gyllenhaal avait avoué au magazine The Wrap qu’elle avait été jugée « trop vieille » pour jouer la maîtresse d’un acteur de 55 ans. Pour rappel, l’actrice avait 37 ans au moment de cette affaire. Et ce problème ne date pas d’aujourd’hui : dans Pretty Woman (1990), Richard Gere et Julia ont 18 ans d’écart.

Ce choix est devenu systématique, et ce, même après le mouvement #MeToo et les plaintes des actrices sur leur manque d’opportunité. En 2023, Kitbag, le nouveau film de Ridley Scott, mettra en scène Jodie Comer et Joaquin Phoenix dans le rôle de Joséphine de Beauharnais et Napoléon. Si dans les faits, le couple a 6 ans d’écart, les acteurs ont presque 20 ans de différence. 

Des écarts d’âge banalisés

Un problème systémique… que l’on a tous assimilé. Qui n’a pas craqué pour Joaquin Phoenix dans L’homme irrationnel (2015) ? Qui s’est rendu compte qu’Emma Stone dans ce film avait 15 ans de moins ? Personne n’avait relevé. Qui n’aime pas les rides qui donnent « tant de charme » à George Clooney ? Qui trouve pourtant que telle ou telle actrice a mal vieilli ? Et oui, si une ride apparait sur une femme, elles sont remplacées illico presto. Les hommes prennent quant à eux, tranquillement de l’âge, sans être inquiétés. 

« Si la société considère que les hommes se bonifient avec le temps, ce n’est pas le cas pour les femmes. En vieillissant, elles s’éloignent du tyrannique canon de beauté : « jeunes et jolies » », souligne Gwenaëlle Le Gras, au Monde. En 2013, Vulture avait réalisé des infographies aux conclusions… plus ou moins surprenantes. Le site montrait que plus les acteurs prenaient de l’âge, plus leurs homologues féminines rajeunissaient. Dans Six days seven night (1998), Harrison Ford est 26 ans plus âgé que Anne Hech.  

Et ce phénomène se perçoit également dans les types de rôle accordés en fonction de l’âge. À partir de 35 ans, les actrices sont de moins en moins sollicitées pour jouer des partenaires romantiques. À contrario, quand les hommes dépassent la cinquantaine, les rôles sont plus souvent d’ordre du romantique, du séducteur ou de l’amant. 

Moins sollicitées pour des rôles romantiques oui, mais moins sollicitées tout court. Selon une étude des Décodeurs du Monde, la période où les actrices travaillent le plus représente une durée de six à huit ans. Soit environ entre 24 et 32 ans. Cette date dépassée, il faudra attendre de jouer le rôle de la grand-mère pour revenir à l’écran. Et, si l’on compare, seulement 6 % des rôles reviennent à des actrices de plus de 50 ans, contre plus du double pour les hommes. Résultat ? Ces actrices se tournent vers le théâtre ou des métiers plus distanciés vis -à -vis du public.

Le jeunisme, un aspect parmi d’autres du sexisme 

Ces constats poussent certains experts à parler d’un double standard : le jeunisme combiné au sexisme. Les stéréotypes associés aux femmes sont bel et bien présents : il faut rester belle et mince pour correspondre aux critères de désirabilité des hommes. C’est encore plus vrai quand le réalisateur est un homme. Lorsque le réalisateur joue un rôle masculin, la situation s’aggrave. Le Monde, dans une étude, montre que les films dans lesquels Dany Boon a une compagne plus jeune, sont principalement des films qu’il a réalisé. 

Et oui, le jeunisme s’inscrit dans la joyeuse sphère du sexisme banalisé. Les femmes ont moins de temps de parole, elles se dénudent plus souvent, ou sont totalement objectivées. On ne parle même pas de l’écart scandaleux de salaire entre les acteurs et actrices.  Une étude menée par deux linguistes américaines sur les princesses Disney montre que dans La Belle et la bête, Pocahontas ou Mulan, les héroïnes n’ont le droit qu’à 23 ou 30% du temps de parole. Mushu, le dragon dans Mulan, parle plus que la guerrière. Le sexisme se retrouve également dans les paroles. Toujours dans Disney, 55% du temps, les princesses reçoivent des compliments sur leur physique et seulement 11% concernent des actions qu’elles ont menées.

Les actrices sont de plus en plus nombreuses à dénoncer le jeunisme, et dans une plus large mesure, le sexisme dans l’industrie du cinéma. En 2018, l’association AAFA (Actrice Acteurs de France Associés) avait publié un manifeste pour demander « à ce que la différence d’âge dans les couples de fiction soit plus proche de la réalité lorsque cela ne change pas le sens de l’histoire ». Depuis, aucun signal de l’industrie cinématographique. 

Ferraris Salomé, master 1 journalisme, IPJ

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