Critique de Atomic Habits de James Clear
crédit : Wikiphoto

Critique de Atomic Habits de James Clear

En un an, devenez 37.78 fois meilleur dans ce que vous faites, sans avoir à vous transformer drastiquement. Voilà ce que vend James Clear dans son livre “Atomic Habits”. 

“Habitudes atomiques”: c’est la traduction directe du titre du bestseller de James Clear, qui, sorti en 2018, s’est vendu à plus de 9 millions de copies. Drôle de nom, quand on connaît le double-sens que l’on attribue à “atomique”. On lui attribue tout autant ce qui fait référence au microscopique, au tout-petit, à l’atome. On se réfère également à la puissance de la rencontre de ces atomes : bombes atomiques, puissance atomique. 

James Clear a en réalité pertinemment choisi ce nom : la thèse qu’il défend dans ce livre, c’est que des minuscules changements dans notre quotidien peuvent finir par donner de grands résultats. Des changements d’habitude à l’échelle atomique peuvent donner des résultats explosifs (ou atomiques). Ainsi, nous dit-il, “Les habitudes sont l’intérêt composé de l’amélioration de soi. De la même manière que l’argent se multiplie grâce aux intérêts composés, les effets de vos habitudes se multiplient à mesure que vous les répétez. […] Ce n’est qu’en regardant en arrière deux, cinq ou peut-être dix ans plus tard que la valeur des bonnes habitudes et le coût des mauvaises deviennent évidents.” Il nous suffit de faire les maths, nous dit-il : 1.01 à la puissance 365 donne 37.78. En cherchant à ne s’améliorer que de 1% chaque jour, on atteint des résultats incroyables : James Clear souhaite nous rappeler qu’un résultat massif ne requiert pas une action massive, mais un ensemble d’actions à toute petite échelle. 

Il souhaite également nous faire changer par nos systèmes, pas par nos objectifs. Après tout, l’objectif de ceux qui réussissent et de ceux qui échouent est le même, peu importe qu’on ait décidé de créer des objectifs “SMART” (Spécifique, Mesurable, Acceptable, Réaliste, Temporellement défini). Et puis, si on atteint l’objectif, le changement n’est que momentané : rien ne nous empêche de re-plonger dans nos mauvaises habitudes ensuite. Cela passe nécessairement par un changement de la définition que l’on veut donner de soi, son “identité”. Il nous donne alors cet exemple : si l’on est un ancien fumeur, à qui l’on propose une cigarette, on peut donner deux réponses possibles, entre “non merci, j’essaye d’arrêter”, et “non merci, je ne fume pas”. Avec la première réponse, on se définit encore en tant que fumeur, tandis que dans la deuxième, on se définit en tant que non-fumeur. 

S’ensuit alors une description longue et exhaustive de méthodes permettant de sortir des mauvaises habitudes et d’en créer de nouvelles. Cela passe par décortiquer son quotidien, avec nos habitudes et les signaux auxquels nous réagissons (une odeur de nourriture peut automatiquement nous donner envie d’acheter à manger, s’ennuyer peut automatiquement nous donner envie de nous distraire avec des réseaux sociaux,…) Il faut également chercher à se créer de nouvelles habitudes avec de nouveaux signaux : voir une telle heure ou un tel endroit doit nous pousser à une habitude positive, comme lire un livre pendant 15 minutes. On peut également accumuler les habitudes en chaîne, ou routines, comme faire suivre le brossage de dents par des étirements et une séance de méditation, ou encore faire en sorte de rendre les nouvelles habitudes attirantes, comme arranger son environnement pour éviter les distractions, associer des habitudes saines avec des habitudes qui apportent du plaisir ou de la dopamine (faire du sport en regardant Netflix, par exemple), se lier d’amitié avec des personnes à qui l’on veut ressembler, etc. 

James Clear, en bref, nous vend du rêve, et ce rêve se réalise pour beaucoup. Mais pas pour tous. Ces créations d’habitudes, l’éloignement des distractions, s’apparentent pour certains à du dressage d’animaux comme nous l’indique Elina Halonen, experte en stratégie spécialisée dans les comportements. James Clear donne également, tout au long du livre, de nombreux exemples qui font penser à l’anorexie ou à d’autres troubles de l’alimentation, comme par exemple “Bad habits are autocatalytic : the process feeds itself. They foster the feelings they try to numb. You feel bad, so you eat junk food. Because you eat junk food, you feel bad.” En suivant la description de l’anorexie du site Ameli, cet argument ressemble à certains comportements existants dans les troubles de l’alimentation, “un rapport obsessionnel avec la nourriture s’installe avec la volonté de perdre toujours plus de poids”. James Clear recommande également de cacher les nourritures et boissons qui peuvent mener à une augmentation de poids, une forme de comportement également associée aux troubles de comportement alimentaire. On pourrait même apparenter les conseils de James Clear à la création d’un programme informatique : associer certaines habitudes à d’autres, afin de créer une réaction en chaîne, de mécaniser chacun de ses gestes. On se croirait presque dans un mauvais livre de science-fiction, où hommes et machines ne deviennent plus qu’un. 

Outre certains de ces défauts, le livre possède la qualité importante de délivrer de manière claire, avec de nombreux exemples, une méthode à appliquer dans sa vie quotidienne, au lieu d’un simple ensemble de principes ou valeurs que l’on pourrait trouver dans d’autres livres de “développement personnel”. Toutefois, notons que ses conseils s’appliquent à un nombre limité de personnes. Tout d’abord, un nombre limité de personnes a la possibilité d’installer une routine ou un ensemble de routines dans leur vie personnelle et professionnelle, comme les employés d’entreprise, les sportifs, les restaurateurs. Pour un médecin urgentiste, dont les jours se ressemblent peu, et pour lequel chaque minute compte, ces conseils ne s’appliquent pas, ou peu. Que dire des personnes ayant des métiers artistiques ou les travailleurs indépendants, aux quotidiens souvent décalés, ou déterminés par l’urgence d’un projet ou de la demande d’un client?

De même, ces conseils s’appliquent seulement aux personnes qui ont les capacités de les appliquer sans trop de difficulté. Ainsi, ce genre de système peut être complexe pour toute personne possédant des TDAH (Troubles du Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité), pour laquelle un ensemble de routines est difficile à implémenter, notamment lors de problèmes de gestion de l’impulsivité ou de concentration. Ainsi, une étude de 2010 faite sur un ensemble d’étudiants d’université avec et sans TDAH nous montre que les étudiants ayant un TDAH avaient significativement plus de difficultés scolaires que le groupe de contrôle, notamment à cause de difficultés de concentration. De même, une autre étude de 2014 nous montre une corrélation entre la possession de TDAH et la difficulté à garder un rythme régulier de prise de repas. Il semblerait, selon des études assez récentes, qu’un système s’appuyant sur les capacités des personnes en possession de ces troubles à entrer dans un mode d’hyperconcentration, notamment une étude réalisée à l’université d’Ankara en 2016, leur permettrait mieux d’atteindre leurs objectifs, en-dehors de la création de routines.

Une dernière critique peut être émise, qui pourrait s’appliquer au monde du “développement personnel” en général. Il est bon de rappeler que nous sommes avant tout humains. En tant que personnes humaines, nous pouvons décider de chiffrer, ou de ne pas chiffrer, notre quotidien et nos “performances”. La beauté de la vie humaine ne repose pas sur la capacité de l’homme à accomplir quelque chose de grandiose ou d’important dans son quotidien, mais à apprécier ce qu’il fait en tant que tel. Un pianiste est un pianiste avant tout car il apprécie les morceaux qu’il joue et qu’il compose, non pas parce qu’il est capable de jouer “Gaspard de la Nuit” de Maurice Ravel sans faire une fausse note. Et une personne est une personne avant tout lorsqu’elle vit, pas lorsqu’elle performe. Certains performent encore alors qu’ils sont dans la tombe : Michael Jackson a généré un milliard de dollars de chiffre d’affaires dans l’année suivant son décès, et il n’en a pas eu une miette. 

By La Plume, Dauphine

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