L’univers philosophique d’Hayao Miyazaki

L’univers philosophique d’Hayao Miyazaki

Platon surplombant la vallée du vent, Kant au rebord de Laputa ou encore Aristote sur le ventre de notre voisin à tous, Totoro… Tous ces grands philosophes seraient-ils des personnages non cités dans les crédits des films Ghibli ? Que ce soit volontaire ou non, les représentations de la société que nous offrent les œuvres de Miyazaki sont accompagnées des plus grandes notions philosophiques. 

La guerre ou le désir 

La guerre est un thème récurrent dans les films de Miyazaki. Avec 5 longs-métrages sur 12 traitants du sujet, le dessinateur semble avoir subi un traumatisme. S’il n’a pas connu la guerre étant jeune, il a été confronté au climat de peur qui a traversé le Japon. Il le représente sur le grand écran, et dépeint notamment l’origine de ces conflits, le désir. On peut notamment y voir une conception Platonicienne « On ne désire que ce qui nous manque ». De nombreux films reprennent cette notion pour donner un sens aux combats : les guerres ne seraient que des jeux de désir entre des forces plurielles. Nous retrouvons cela avec « Nausicaä de la Vallée du Vent », ou « Le château dans le ciel ». Miyazaki rejoint même le philosophe Schopenhauer : selon ce dernier, le désir n’offre que douleur et les conflits n’apportent que souffrance sur tous ceux qu’ils touchent. On retrouve cette idée dans le film « Le château ambulant ». Néanmoins, la guerre n’ouvre pas que sur de la souffrance, elle permet au réalisateur de nous recentrer sur ce qui est essentiel à ses yeux, la nature.  

La nature ou la vie 

Comment pourrions-nous parler de Miyazaki sans dire un mot sur la nature ? Elle est omniprésente dans l’univers du dessinateur. Enfant de la campagne, il donne à la nature une forme nouvelle de sacralité. Plus généralement, la vie a une importance capitale selon lui. A une époque où tout s’accélère, où la terre devient des mines, où la nature perd de sa valeur, Miyazaki critique ouvertement son temps. Dans « Nausicaä de la Vallée du Vent » et « Princesse Mononoké », il expose sa vision contemporaine d’une nature dépouillée de son vivant. Elle n’est qu’un enchaînement de particules où viennent se servir les humains pour accomplir leurs grands projets. Le philosophe Lucrèce pense le vivant comme un simple phénomène physico-chimique, la nature n’est qu’un amas d’atomes sans vie. Miyazaki s’oppose à cette idée et développe une nature bien plus complexe. La nature possèderait une finalité interne, elle n’aurait ni début ni fin. Kant partage cette idée de vivant qui ne peut se résumer à une machine, de nature qui n’a pas de but fini, qui est notre futur mais aussi notre passé. 

Le souvenir ou le bonheur

Ce passé précédemment décrit est au centre des histoires. S’en souvenir devient ici une nécessité. Pourtant, aux yeux de Miyazaki, cela n’est pas sans danger. Dans nombreux de ses films, le passé mémoriel trouble le chemin vers le bonheur. Selon le philosophe Pascal, notre préoccupation par rapport à notre passé nous empêche d’atteindre le bonheur. Chez Miyazaki, le passé a son importance, mais il ne doit pas être une entrave comme illustré dans « Mon voisin Totoro », « Le château ambulant » ou « Porco Rosso ». Ces personnages sont coincés dans un passé qui les ronge et sont pris de remords face à des éléments qui ne dépendent pas d’eux. Nous sommes face à la même vision du bonheur qu’Epictète : il faudrait accepter ce qui ne dépend pas de nous et ainsi éviter le mal. 

Le mal ou la morale

Ce passé dangereux et ce souvenir douloureux sont des passions qui peuvent nous pousser à agir avec « le mal ». Miyazaki le voit bien : son monde est contaminé par des êtres qui n’agissent que pour eux-mêmes. Ses films nous amènent à adopter une position kantienne pour motiver nos actions, nous devons agir dépourvus de tout égoïsme, de toute intention de nuire à autrui, de toute volonté de faire du tort.  La morale doit triompher, le mal doit succomber. 

Avec l’univers de Miyazaki, nous sommes bien loin des « petites morales » à la Disney. Les enjeux sont de transmettre des messages tant pour les enfants que pour les adultes, avec une portée philosophique indéniable. L’arrivée des longs-métrages sur la plateforme de streaming Netflix fin 2019 et le climat anxiogène de cette période constituent deux bonnes raisons de se détendre devant ces chefs-d’œuvre de l’animation japonaise. L’occasion aussi de découvrir (ou redécouvrir) cet univers magnifique visuellement, scénaristiquement et intellectuellement. 

Godeau Wilhem – L2 LSO

 

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