Élu en novembre dernier, Bruno Bouchard est le nouveau président de l’Université Paris-Dauphine PSL. Il succède à El Mouhoub Mouhoud devenu président de PSL. Pour La Plume, nous avons pu le rencontrer pour discuter de son parcours et de sa vision de l’université.
Quel est votre parcours à Dauphine ? Pourquoi avoir choisi de faire vos études dans cette faculté ?
J’ai un profil “mathématiques”, mais contrairement à la plupart de mes collègues, tourné vers les sciences économiques. À Dauphine, j’ai notamment suivi le magistère BFA (Banque Finance Assurance). Toutefois, les modèles mathématiques abordés au sein de ce magistère n’étaient pas assez poussés à mon goût, c’est pourquoi je me suis réorienté à l’issue de ma formation vers le département MIDO pour approfondir ma formation dans ce domaine. Choisir Dauphine était d’abord un choix motivé par le rythme de travail, différent de celui d’une classe préparatoire. La réputation de l’établissement a évidemment joué dans ma décision, car elle était déjà élevée, comme on la connaît aujourd’hui.
Comment devient-on président d’une université ?
A vrai dire, je n’en sais rien !
Dans mon cas personnel, cela ne s’est pas fait en un jour et n’était pas une stratégie de carrière. Sous la présidence d’Isabelle Huault, il m’a été proposé de prendre le poste de vice-président chargé de la recherche. C’était en 2016, soit 8 ans avant ma prise de fonction en tant que président de Dauphine-PSL.
Mon engagement était déjà à ce moment assez important. Durant ces années de vice-présidence, j’ai développé cette envie de faire progresser notre université sur le temps long. Lorsque El Mouhoub Mouhoud a repris le flambeau, notre collaboration était étroite, et mon engagement a fini par faire de moi un candidat naturel pour la conduite d’une campagne. Cette campagne passe tout d’abord par la constitution de listes pour les conseils centraux. On retrouve souvent à Dauphine une liste dite « majoritaire », au côté de listes d’opposition et/ou syndicales. J’ai mené la liste dite « majoritaire ».
L’élection du président de notre université est le fruit du vote de toutes et tous, parfois sans que certains ne le sachent. Chaque collège (professeurs, maîtres de conférence, personnels administratifs, doctorants, étudiants) élit ses représentants au sein des instances telles que le CA, la CFVE (Commission de la Formation et de la Vie Etudiante) et le CS (Conseil Scientifique). Ce sont ces représentants qui sont appelés à élire le président.
En ce qui concerne les étudiants, vous, donc, ce sont les listes étudiantes (issues de syndicats ou pas) qui mènent la campagne électorale.
Comment s’est déroulée la campagne ?
Notre campagne a été placée sous le signe de la concertation. Nous avons travaillé en collaboration avec de nombreux collèges, enseignants-chercheurs et administratifs, pour recueillir leurs points de vue, perceptions, idées et aspirations. A la rentrée de septembre (soit 2 mois avant l’élection, ndlr), 9 groupes de travail ont été formés sur diverses thématiques, pour élaborer les lignes directrices de notre projet. Les vice-présidents actuels ont d’ailleurs joué un rôle essentiel dans la conduite de ces discussions. De mon côté, je me suis toujours refusé à rédiger le programme avant la finalisation de ces concertations.
Auriez-vous un exemple de ce que ces groupes de travail ont pu faire remonter ?
Oui, l’une des participantes a par exemple suggéré la création d’une année de césure pour faire de “la mobilité intra PSL”, prendre un an de pause pour étudier dans un autre établissement de PSL, comme les Mines ou l’ENS.
Quelle a été votre première mesure en tant que président élu ?
Sortir de X (anciennement Twitter, ndlr). Cette décision est le fruit d’une concertation avec toutes les entités de PSL, à l’issue de laquelle il a été décidé de se retirer simultanément de la plateforme, communiqué de presse commun à l’appui. En tant qu’universitaire, mais aussi à titre personnel, je ne peux pas cautionner que nos communications passent par une plateforme dominée à ce point par un seul homme, qui tente d’imposer sa vision, très loin des valeurs universitaires que nous portons.
Voyez-vous, je vois l’adhésion aux réseaux sociaux un peu comme un problème d’équilibre de Nash. L’équilibre n’est peut-être pas optimal. Mais individuellement, personne n’a intérêt à en sortir. Ce n’est que collectivement que le groupe peut parvenir à faire changer les choses. En l’espèce, je pense aux départs en masse pour la plateforme Bluesky, dont nous faisons partie.
Une autre mesure ?
Oui, nous avons d’ores et déjà engagé un chantier de simplification des processus administratifs à Dauphine pour libérer du temps et rendre les activités de chacun et chacune plus agréables et valorisantes. Cela ne se fera pas en un jour, nous en sommes conscients. Afin de mettre sur pied un plan stratégique de moyen/long terme, nous prenons le temps de la concertation. Je garde évidemment en tête que de nombreuses problématiques touchent nos systèmes d’information. Les services sont déjà surchargés, nous ne pouvons pas leur demander de tout changer d’un coup. Il me paraît raisonnable de se donner une année pour travailler au mieux le projet, avant d’agir de manière progressive, pour apporter des solutions concrètes et efficaces
Si nous vous disons Dauphine dans 10 ans, quelle est votre vision ?
Dauphine et PSL sont solidement ancrés.
Actuellement, Dauphine est une marque nationale reconnue, cela ne fait aucun doute. Pour autant, nous ne rayonnons pas tant que cela à l’international.
Ce déficit de notoriété, seul PSL pourra le résorber en apportant sa visibilité. C’est au travers de PSL que nous sommes classés aux côtés d’université prestigieuses comme Yale et Princeton dans les classements internationaux, ce n’est pas rien !
J’ai la conviction que dans 10 ans, l’étudiant qui aura à choisir entre HEC et Dauphine n’optera plus si facilement pour la première option.
PSL et Dauphine, un équilibre à trouver ?
C’est indéniable. La communauté dauphinoise reste attachée à son unité et sa spécificité. On ne peut pas lui retirer sa place centrale dans les sciences de la décision et des organisations.
Mais les mathématiques et l’informatique ont, à mon sens, un plus fort rayonnement à acquérir auprès du grand public .
Aussi, on le voit, le travail conjoint des établissements de PSL permet de réaliser ce qu’aucune entité ne pourrait faire seule. Je pense ici à la Paris School of AI, devenue le premier centre académique en intelligence artificielle, devant le campus de Saclay, en termes d’impact sur la scène mondiale.
La force de notre inclusion dans PSL est la suivante : Dauphine se renforce en travaillant avec PSL et ses composantes, et PSL grandit en se reposant sur la force de ses membres. Mais nous travaillons d’ores et déjà très bien ensemble.
Les travaux rythment la vie des étudiants ces dernières années. Comment imaginez-vous le futur campus ?
Ces dernières années, la tendance était aux équipes délocalisées : la finance au pôle Léonard de Vinci (à la Défense, ndlr), l’Institut Pratique du Journalisme (IPJ) dans le IXe arrondissement etc… La volonté d’être réunis sur un site unique, propice à un véritable esprit de corps, implique certains compromis : il faut sans doute accepter de ne plus grossir.
Je tiens également à ce que la cour puisse enfin redevenir un lieu animé, et ce sera l’objet d’un travail avec les associations étudiantes. C’est aussi aux étudiants d’indiquer ce qu’ils souhaitent mettre en œuvre.
Le vote du budget de l’État a laissé craindre ces derniers temps des coupes budgétaires importantes dans le financement des universités. Qu’en est-il finalement ?
Nous avons eu chaud. Le nouveau ministre délégué à l’enseignement supérieur nous soutient réellement. Les principales coupes dans les dépenses portent sur la hausses des primes des personnels enseignants.
Mais, il faut garder en tête que les universités en France sont de toute manière sous-financées en termes réels, car les fonds alloués sont à peu près constants en nominal , et ne tiennent pas compte de l’inflation.
Et dans le cas particulier de Dauphine ?
Vous avez raison, Dauphine est une université bien particulière, avec 50% de financements propres. Ce ne sont pas uniquement les frais d’inscriptions, mais surtout la taxe d’apprentissage, la formation continue, en apprentissage, les parrainages d’entreprises etc…
Depuis quelques années, les chocs exogènes se multiplient : Covid, crise énergétique, inflation etc… Nous devons réfléchir à un modèle économique sur le long terme, qui ne nous place plus dans la réaction, mais dans l’anticipation.
La dimension financière occupe-t-elle une place importante dans votre agenda ?
Quand on est président, on doit se reposer sur ses équipes. Les vice-présidents sont en contact permanent avec les directions. Cela n’empêche pas que je porte politiquement certaines idées sur le financement, comme, cette année, l’évolution marginale des droits d’inscription, pour les tranches les plus élevées. Cela devrait permettre de ramener le budget 2025 à l’équilibre.
Vous l’avez souligné, les entreprises sont investies à Dauphine. Je suis ainsi amené à rencontrer directement nos partenaires. Pas toujours pour des levées de fonds, mais aussi pour soutenir des programmes propres à des masters, par exemple. Les entreprises cherchent par là à garantir leur marque employeur. Il faut cependant qu’elles soient en mesure de proposer aux étudiants des contenus pédagogiques enrichissants pour que ce soit intéressant pour tout le monde.