« Les malfaiteurs sont-ils mauvais dès la naissance ? Qu’est-ce qui les rend mauvais, avec le temps ? Est-ce le désir ? La jalousie ? Ou bien la paresse ou la colère ? Ou encore l’innocence ? » (1)
Jojolion, Tome 9, par Hirohiko Araki, auteur de Jojo’s Bizarre Adventure
Ironique, peut-être, d’utiliser une citation venant de l’auteur d’un des mangas phares de notre décennie, tandis que ses personnages principaux sont la représentation même du héros, porté à l’extrême. Ironique, peut-être, mais pas anodin. La multiplication des personnages principaux atypiques et divers est le signe de notre envie d’un héros à notre image, c’est-à-dire unique. Plus qu’une échappatoire, la fiction devient un moyen d’être soi-même le personnage. Les séries dans lesquelles nous sommes le héros, les jeux vidéo aux scénarios multiples et les téléréalités où le spectateur peut décider pour le participant se multiplient chaque année. Suzanne Collins poussa le concept à l’extrême dans sa dystopie devenue best-seller, Hunger Games, en donnant le choix aux spectateurs d’aider les personnes qui leur plaisaient le plus. Rappelons que les Hunger Games ont été inspirés des jeux de gladiateurs de Rome, où les spectateurs pouvaient, eux aussi, décider à leur guise de la vie ou de la mort de personnes bien réelles. Preuve que les êtres humains ont toujours aimé être maîtres de destins qui ne leur appartenaient pas, au risque d’accélérer leurs fins, et de manière irréversible. Glaçant.
Le héros, produit d’idéalisme
En ouvrant mon Petit Larousse de 1870 pages, je trouve cinq définitions au mot « héros ». Trois de ces définitions décrivent un héros tel que le voulaient les grecs anciens : s’il n’est pas un demi-dieu ou un grand homme divinisé, il doit être au moins un « personnage légendaire à qui l’on prête des exploits extraordinaires », ou bien une « personne qui se distingue par des qualités ou des actions exceptionnelles, par son courage face au danger ». Deux autres définitions décrivent un personnage principal, soit d’une œuvre de fiction, soit dans un événement bien réel.
Pas facile d’être un héros. Seules deux de ces définitions, minoritaires, allaient en accord avec ma pensée. Pourtant, tels qu’ils sont décrits, nous en connaissons beaucoup. Hercule, Achille, Persée, David contre Goliath, Samson, Jean Valjean, Antigone, Ichigo Kurosaki, Mulan, Lucy (Narnia), Power Rangers, Superman… voyez-vous même. Ces personnages ont souvent extrêmement souffert, ont dû se battre contre des monstres bestiaux ou humains, physiquement ou moralement, et ont fait preuve d’une valeur inégalée. Dans l’imaginaire collectif, notamment enfantin, ce sont des modèles à suivre, des objectifs à atteindre. En effet, si ces personnages ont réussi malgré les difficultés, pourquoi moi, je ne réussirais pas ? Les héros qui sont confrontés à un dilemme mais qui en sortent plus forts sont nombreux, et populaires, car leurs admirateurs s’y retrouvent, et s’y échappent.
Quand l’espoir perd de sa saveur
Tandis que les épilogues figent l’histoire dans un bonheur infini, certaines de nos souffrances ne finissent jamais. Les récompenses attendues pour les efforts menés se font souvent attendre. Et ces personnages idéaux qui se relèvent après chaque épreuve ne nous sont plus aussi proches, alors que leurs ennemis ne nous semblent plus aussi éloignés. Le monde n’est plus blanc et noir, mais dans des tons de gris. Certains s’en veulent de ne pas réussir à vivre plus heureux, d’autres rejettent la faute sur les autres, les derniers ne trouvent pas de cause à leur mal.
On cherche alors à nouveau à se retrouver dans la fiction, de nouveaux héros viennent à la rescousse de notre imaginaire. En 2019, le top 5 des films les plus appréciés selon SensCritique étaient Parasite, Joker, Once Upon a Time … in Hollywood, Green Book : sur les routes du Sud, Les Misérables. Un cocktail de films sur des personnages en conflit avec des autorités supérieures, la société, ou avec eux-mêmes. Et, plus important encore, ces conflits ne se résolvent pas ou seulement partiellement. Ces personnages n’étant pas des « héros » ordinaires, il leur faut trouver un nouveau nom, et peut-être bien de nouvelles catégories.
Les antihéros, un mal nécessaire
Tous les non-héros sont différents. Comment pouvoir comparer Deadpool, psychopathe et mégalomane au grand humour, au Joker, à Walter White, Thomas Shelby ou encore Bilbon Sacquet, qui par son courage malhabile, ne ressemble pas au héros habituel ?
Chaque antihéros est alors si unique qu’il semblerait falloir une catégorie pour chacun d’entre eux. La page tvtropes.org en énumère jusqu’à 78. Une part de leur originalité réside souvent dans leur relation avec le monde qui les entoure, et il existe pour cela en psychologie morale un concept essentiel : la théorie du développement moral de Kohlberg (2). Celui-ci distingue trois paliers de développement du jugement moral, chez l’enfant notamment : la morale préconventionnelle, quand l’individu est égocentrique et n’obéit aux normes que par peur des punitions, la morale conventionnelle, quand il soutient l’ordre social volontairement et cherche l’approbation d’autrui, et enfin la morale postconventionnelle, quand il a des opinions personnelles et soutient les lois qui ont été choisies démocratiquement. Parfois, l’antihéros semble avoir sauté une étape : un cœur perdu, une incapacité à aimer, une impression de ne pas s’intégrer ou de ne pas savoir bien faire… L’antihéros nous emmène dans sa perdition, à sa façon. Ainsi, l’auteure Sophie Renaudin(3) catégorise cinq types d’antihéros principaux trouvés dans la fiction :
- Les antihéros classiques : protagonistes médiocres, sans talent ou confiance en eux. On trouve par exemple Bilbon Sacquet, Donald Duck, Gaston Lagaffe, Narrateur de A la Recherche du Temps perdu, Emma Bovary.
- Les antihéros Disney : personnages pouvant et voulant faire le bien, mais ayant une attitude négative ou cynique. On y trouve Shrek, Edward Elric de Fullmetal Alchemist etc.
- Les antihéros pragmatiques : ils peuvent accomplir des actions éthiquement contestables pour atteindre leurs buts, bien que ceux-ci soient honorables. Severus Rogue dans les livres d’Harry Potter et Batman en sont de bons exemples.
- Les héros sans scrupules : Ils ont de bonnes intentions, mais sont prêts à tout pour accomplir leurs objectifs. Ce sont aussi les personnages neutres, sortes de mercenaires mais avec un code de l’honneur. Des personnages notables sont Sherlock Holmes, Wolverine, Light Yagami de Death Note.
- Le héros nominal : Un héros qui n’en a que le nom. Le héros nominal combat pour le bien, mais ses motivations sont très douteuses. C’est par exemple Kurt Hendricks dans Mission : Impossible, Steven the Irishman dans Braveheart, Blondie dans Le Bon, la Brute, et le Truand, Rick dans Rick et Morty.
« Je suis comme toi / Ah oui ? / Tu es comme moi » Rien de mieux que de finir par une citation de Barbie : Cœur de Princesse pour décrire notre relation avec l’antihéros : il nous ressemble. Bourré de défauts, il nous apprend que nous aussi, nous sommes les héros de nos histoires. Il ne tient qu’à nous de les écrire, et tant pis si elles ne sont pas parfaites.
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(1) PERELLO, Romain. « Jojo’s Bizarre Adventure, histoire d’un shônen hors-norme », 3 décembre 2014. https://www.journaldujapon.com/2014/12/03/jojos-bizarre-adventure-histoire-dun-shonen-hors-norme/. Brève explication de la révolution Jojo.
(2) Says, Augustave Nochel. « Les stades de développement du jugement moral de Kohlberg ». OBSERVATOIRE DU DROIT À LA SANTÉ (blog), 1 décembre 2008. https://droitsante.wordpress.com/2008/11/30/les-stades-de-developpement-du-jugement-moral-de-kohlberg/. Vous y trouverez plus en détail la réflexion sur le développement moral chez l’enfant par Kohlberg, expliquée simplement.
(3) Sophie Renaudin est une auteure de livres pour la jeunesse, tels la série « les Enfants de Prométhée » ou « Réel ». Elle a eu un parcours original, ayant commencé par des études en informatique, avant de se tourner vers l’écriture de livres de fantasy et de science-fiction.