Exposition Gerhard Richter au Centre Pompidou
par Juliette Broudin
En ce matin pluvieux, je ne m’étais pas rendue initialement à Beaubourg pour cette exposition mais pour celle consacrée à Matisse. Le nom de Gerhard Richter m’était familier, l’artiste étant reconnu comme l’une des figures majeures de l’art contemporain. Pourtant, son travail et sa pratique si particulière de la peinture m’étaient totalement étrangers.
Et c’est ainsi que je fus agréablement surprise de découvrir un artiste qui a su profondément transformer, réinterpréter, réinventer, l’histoire de l’art tout au long de sa vie.
L’exposition « Panorama » s’organise de manière à la fois chronologique et thématique afin que le visiteur découvre les diverses facettes de l’œuvre de Richter et ressente cette tension évidente entre des œuvres figuratives comme Ema (Nu sur un escalier) de 1966, et des œuvres abstraites, tel Strip, un travail sur l’image numérique datant de 2011. Le visiteur oscille donc autour d’une salle centrale triangulaire à travers les différents thèmes dans l’ordre chronologique. Encore une fois, la scénographie du Centre Pompidou participe à la réussite de l’exposition.
Le parcours débute alors sur une expression « Peindre la photographie ». Richter apparaît en effet sur la scène européenne au début des années 1960 avec des œuvres photographiques qu’il appelle les « photos-peintures ». L’artiste élabore ses tableaux à partir de ses propres photographies ou d’images sélectionnées dans la presse.
L’émotion face à ces premières œuvres figuratives vient de l’effet final de flou que Richter donne à ses travaux en frottant la peinture encore humide avec une brosse.
L’artiste pop allemand, maniant avec grâce ce flou délicat et l’abstraction, s’inscrit d’abord avec de grands paysages comme un héritier de la tradition romantique allemande. Trois grands tableaux, de forme carré, de nuages nous transportent, nous laissent nous échapper d’une réalité parfois morose. C’est d’ailleurs le côté sensuel de ses toiles qui capte le visiteur.
Mais, progressivement, l’abstraction prend le dessus, parfois jusqu’à « l’extrême ». Pour les Nuanciers, Richter s’est inspiré des échantillons de couleur présents dans les magasins de peinture et compose ainsi une œuvre dénuée de toute figuration et de tout message. Heureusement, l’artiste parvient à dépasser ces expérimentations sans expression pour offrir à partir des années 1980 des compositions pleines de lyrisme. Aplats et traits minutieux forment de nombreuses couches de peinture successives. L’aspect monumental des toiles confère un supplément de force dans son travail.
La salle centrale, le « promontoire », est un clin d’œil à la première exposition de Richter au Centre, regroupant des monochromes gris et des œuvres réalisées à partir de plaques de verre.
Puis deux salles se succèdent, presque en opposition : une salle de paysages et une autre de portraits. La mélancolie nous emporte à la vue de ces territoires brumeux et de cette peinture si opaque. Comment ne pas être touché par cet Iceberg d’une rare beauté et d’une grande fragilité antinomique avec sa taille imposante. La galerie de portraits présente elle des proches de l’artiste et son seul autoportrait. On se sent familier avec la tante Marianne ou l’oncle Rudy par la forte intimité que l’artiste parvient à dévoiler. Là encore, une tonalité sombre submerge ces visages, sans doute une expression des expériences de la seconde Guerre mondiale.
Enfin, dernièrement, Richter développe toute une réflexion sur la confrontation (disparition ?) de la peinture face au développement rapide et récent de l’image numérique. Richter choque en faisant le constat que « Beaucoup de gens estiment que d’autres techniques sont plus séduisantes : mettez un écran dans un musée, et plus personne ne regarde les tableaux ».
Gardons espoir que l’art d’aujourd’hui mais surtout l’art de demain conserve sa richesse, et ne se résume pas à une œuvre issue exclusivement d’un logiciel informatique. L’homme ne doit pas se délaisser de cette aptitude essentielle, cadeau de la nature, qu’est la peinture.
L’invitation est claire : allez voir cette exposition, pour bien saisir que l’art contemporain ne se résume pas à une abstraction dénuée de sens et un art cinétique dont certaines œuvres à la modernité exacerbée ne délivrent finalement que des messages faciles.