Poupées de son ? La place des femmes dans la musique

Poupées de son ? La place des femmes dans la musique

L’industrie musicale fascine. L’industrie musicale choque. L’industrie musicale n’a pas fini de créer la controverse. De l’économie à la création artistique, en passant par l’impact écologique, les débats sont nombreux. Mais sans artistes, et sans femmes, pas de musique.

Les femmes subissent du sexisme. Et oui, quel choc ! Le sexisme et la misogynie affectent à peu près tous les aspects de la vie. Mais ils sévissent aussi dans le domaine de la musique. La position des chanteuses au sein de l’industrie musicale est déterminée par leur qualité de femmes. Que ce soit par la sexualisation constante, les attentes différentes ou tout simplement la dévalorisation de leur travail, leur genre joue un rôle essentiel dans leur carrière. 

« Elles n’écrivent que sur leurs ruptures, c’est redondant à la fin! »

Non, les femmes n’écrivent pas uniquement sur l’amour. Elles ne sont pas les seules à utiliser leurs expériences romantiques pour nourrir leur art. De très nombreux artistes masculins écrivent tout autant de chansons « d’amour », sans pour autant se voir qualifier de ringardes. Ed Sheeran, Drake, John Legend - pour ne citer qu’eux, écrivent principalement sur l’amour et sur leurs expériences. Quoiqu’on pense de leur musique, on ne leur a pas souvent reproché leur sujet de prédilection. 

Les projets des femmes sont vus comme trop “sentimentaux”, trop “poétiques”, trop “abstraits”. Souvent, les hommes ont tendance à les délaisser, n’arrivant pas à en saisir l’intérêt. La raison ? Une certaine méconnaissance du sujet et un détachement des émotions. Dans son livre “When boys become boys”, J. Y. Chu montre que c’est vers l’âge de 5 ans que les jeunes garçons apprennent à affirmer leur qualité de garçons. Cela se fait principalement en rejetant des traits traditionnellement féminins. L’expression des émotions, par exemple. Avec le temps, les hommes apprennent à s’en détacher. C’est ce qui entraînerait une incompréhension des sujets abordés dans certaines chansons, et donc une incapacité à s’y rattacher. Le problème n’est donc pas tant la trop grande émotivité des textes écrits par des femmes, que l’incapacité de certains à les comprendre. 

Une étude de l’University of Southern California parue en 2021 montre que dans les dix  dernières années, le femmes ne représentaient que 21,6% des artistes les plus écoutés. Il peut y avoir une certaine honte attachée au fait d’écouter des artistes féminines. Bien sûr, cela relève d’une masculinité toxique qui ne touche pas tous les hommes. Mais certains ont tout de même du mal à assumer leurs goûts musicaux. Le problème n’est pas les artistes en question, mais le regard de la société. M. Oransky et J. Marecek soulignent dans leurs travaux que ce qui est “féminin” est souvent moins valorisé. Il est donc peu surprenant qu’on admire plus souvent len travail d’un homme que celui d’une femme. Messieurs, laissez-moi vous rassurer, vous avez le droit d’aimer Britney Spears !

Vie amoureuse et jugement de la presse

Bien souvent, le statut de « star » implique une certaine attention des médias et des fans sur la vie privée. Un comportement courant, mais parfois poussé à l’extrême pour les femmes. Les journaux people dressent des listes des petits-amis, ex-petits-amis, ou juste supposés petits-amis d’à peu près toutes les femmes un tant soit peu connues. Or, pour les hommes, ce n’est pas  — ou en tous cas moins — le cas. Jamais un artiste ne s’est vu rabaisser pour son nombre d’exs. Plus encore, jamais un homme n’a vu sa carrière résumée à ses ex-copines. Pour les femmes, c’est un jugement constant des relations amoureuses. Elle a eu plusieurs exs ? Elle est nymphomane. Elle n’a jamais été vue en couple ? C’est une sainte-nitouche. Un exemple frappant est celui de Taylor Swift. On lui reproche souvent son nombre d’ex-petits amis – neuf depuis le début de sa carrière, en 2007. En revanche, lesdits  ex-copains ne sont pas soumis au même traitement. Harry Styles a, lui, eu 12 petites-amies depuis 2011… Mais ça ne semble poser problème à personne. Et encore moins remettre sa carrière en question. 

Lorsque le succès d’une femme est résumé à son compagnon, sa légitimité est remise en cause. Dans un magazine datant de 2006, Vanessa Paradis était présentée comme “la petite amie de Johnny Depp”. Aujourd’hui, Ariana Grande n’est pas que l’ex de Pete Davidson. Et ce n’est surtout pas lui qui l’a rendue célèbre. Ces associations décrédibilisent le succès des artistes. Comme si elles n’avaient pas été capables de réussir sans l’aide d’un homme. Leur place est questionnée, et ce, continuellement. Un peu sexiste, non ?

Mais tout cela revient à se poser une question. Pourquoi les relations amoureuses d’un artiste devraient-elles avoir de l’importance ? Lorsque l’on écoute un morceau de musique, on ne s’intéresse pas à la vie privée du chanteur, mais plutôt à la qualité de son art. Alors, pourquoi, en tant qu’artistes, les femmes devraient-elles être réduites à leurs relations ? 

La chanteuse Lizzo, souvent critiquée et harcelée sur les réseaux sociaux à cause de son poids

Si les relations amoureuses jouent un rôle dans la carrière des artistes, l’apparence physique est, elle aussi, essentielle. Le culte du corps est présent dans toute l’industrie musicale. Mais, ici encore, les femmes en sont davantage victimes. Leur poids, leurs formes, les changements de leur corps, sont scrutés. Pour avoir du succès aujourd’hui, au-delà du talent, il faut avoir un corps conforme aux normes de beauté. Lorsqu’une femme connait le succès « malgré son physique», la presse et les internautes le lui rappellent continuellement. La chanteuse et flûtiste Lizzo subit des remarques régulières de fans « s’inquiétant pour sa santé ». Comme elle l’a fait remarquer, ces commentaires n’ont rien de bienveillants. Ils cachent un racisme et une grossophobie ancrés profondément. 

Dans le même registre, les corps des femmes sont bien plus sexualisés que ceux des hommes. Réseaux sociaux, magazines, ou même managers jouent un rôle essentiel dans l’objectification du corps de (très) jeunes artistes. Dès ses 17 ans, Britney Spears fait la couverture du magazine Rolling Stones en sous-vêtements… Une décision largement influencée par son entourage. Idem, certains “fans” avaient créé un compte à rebours jusqu’à ses 18 ans. Sa majorité a été fêté car elle signifiait que la chanteuse avait l’âge légal pour avoir des relations avec des adultes. 

Cette pression autour du corps peut créer des problèmes de santé mentale. Ces dernières années, Demi Lovato et Taylor Swift ont révélé souffrir de troubles du comportement alimentaire. Adèle et Lady Gaga, elles, se sont confiées sur leur anxiété. 

Le problème du White Feminism : effacer les difficultés propres aux artistes non-blanches

Si les femmes subissent un préjudice dans le domaine de la musique, les femmes non-blanches le subissent doublement. En plus de leur genre, leur ethnie joue un rôle important dans la façon dont elles sont perçues par le public et les médias. On appelle ça la “misogynoir” : elles sont victimes d’un double préjugé. Elles sont souvent invisibilisées, il est plus difficile pour elles de se faire connaître. En dehors du rap ou RnB, peu de femmes racisées sont vraiment connues. Et si elles arrivent à un niveau de reconnaissance satisfaisant, elles sont souvent hyper-sexualisées, voire fétichisées. Cette attention constante est commune à toutes les musiciennes, mais est exacerbée chez les femmes noires, métisses, latinas… Idem, elles seront plus souvent perçues comme “vulgaires”.

 

Le traitement médiatique diffère selon l’origine ethnique. La presse est plus clémente avec les femmes blanches. Elles sont prises au sérieux, et respectées avec moins de difficulté que leurs consœurs issues de minorités. L’origine ethnique joue un rôle clé dans la carrière des chanteuses. On ne peut pas oublier ou effacer ce problème. On ne peut pas parler de misogynie dans la musique sans parler de toutes les femmes. 

Ce n’est pas qu’à l’étranger que les musiciennes sont mises de côté. En France, Aya Nakamura a longtemps été snobée par les médias classiques, et ce malgré son succès fulgurant. Tout au long de leur carrière, les musiciennes font face à des préjugés de genre. Alors comment faire de l’industrie musicale un espace plus accueillant pour les femmes ? Et, surtout, comment  faire de la musique un art dans lequel chacun peut se retrouver ?

Iliana Fages-Gouyou, L2 LSO

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