Le 33e baromètre de la confiance dans les médias publié dans « La Croix » début 2021 annonce la couleur : 60 % des interrogés jugent les médias « pas crédibles » et 64,5 % affirment ne pas croire en l’indépendance des journalistes, tous types de supports confondus (télévision, radio, journal et internet). À l’heure où l’information est plus concentrée que jamais entre les mains de quelques grands groupes financiers aux méthodes de management parfois discutables, les Français ont-ils raison de douter de la véracité de l’information relayée ?
Cessons d’invoquer l’inaccessible leitmotiv de « l’objectivité journalistique »
Disons-le une bonne fois pour toutes : non, un journaliste n’est pas objectif. Il peut, au mieux, tendre à l’être. Il peut également choisir de ne pas l’être, et de faire du journalisme engagé. C’est grave docteur ? À priori, non. L’opinion et la sensibilité sont l’essence même de l’humanité, l’une des dernières choses qui nous différencient des robots.
Le journaliste doit répondre à un certain nombre d’obligations définies dans la sacro-sainte Charte de Munich de 1971, aussi appelée Déclaration des devoirs et des droits des journalistes. Si le respect de la vérité est exigé et la diffamation formellement interdite, rien ne réglemente la prise de position. Au contraire, d’après l’article 2, le journaliste est encouragé à défendre sa liberté de commentaire et de critique.
Ainsi, il est tout à fait possible qu’un journaliste prenne parti de manière assumée, sans pour autant déroger aux principes fondateurs de son métier. Hugo Clément se revendique défenseur de la cause animale et son désamour pour Hugh Grant, PDG de Monsanto, ne l’empêche pas d’être un journaliste compétent. Au contraire, un reporter doit souvent se fier à son instinct pour trouver des pistes d’investigation. Une personne engagée sera nécessairement plus encline à mettre son nez dans des affaires auxquelles le quidam n’aurait pas prêté attention. C’est ce qu’il s’est passé début 2021 quand Hugo Clément a lancé l’alerte sur une vidéo de l’influenceur Johan Papz (700 k sur Instagram). Sur Youtube, il a fait la promotion déguisée, mais rémunérée, du Bonolan, un herbicide très controversé. Ainsi, contrairement à ce que l’on pourrait penser, le journalisme engagé permet, lorsqu’il est exercé dans les règles de la profession, de mettre en lumière des sujets souvent délaissés par les rédactions plus traditionnelles. En cela, il est absolument nécessaire à la diffusion d’une information transparente.
Mais cette subjectivité n’est pas l’apanage du journalisme militant. Des programmes que la plupart des Français érigeraient à première vue en exemple d’information neutre, comme le Journal de 20H, sont eux aussi empreints de la partialité de leurs auteurs. Les sujets de reportages, les invités, ou encore les questions posées lors des interviews… Tous ces choix sont loin d’être anodins. Ils reflètent des partis pris, même si ces derniers ne sont pas politiques. L’année dernière, en plein confinement, Télérama a comparé le JT de TF1 à celui de France 2 afin de répondre à la question suivante : “qui nous informe le mieux en temps de crise ?”. Si le premier traite l’information de manière efficace et très chronométrée, le second est plus protéiforme et analytique. Quelle manière de faire est la bonne ? À chacun d’en juger. Mais ce qui est sûr, c’est que ces stratégies éditoriales impliquent de sélectionner une certaine information sous un certain angle, en dépit de l’idéal d’objectivité. Ces différences de traitement de l’actualité sont davantage une richesse qu’une tare. Puisque l’objectivité n’est qu’un fantasme inatteignable dans la réalité, il est absolument nécessaire de conserver une pluralité de lignes éditoriales et politiques, au risque de rendre l’information monochrome.
Le vrai problème ne vient pas des journalistes, mais de leurs patrons
Si la liberté de la presse est en principe garantie en France par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) de 1789, l’indépendance des médias est en réalité de plus en plus menacée. Le paysage médiatique est aujourd’hui presque totalement détenu par des grands patrons ou des groupes industriels puissants. Bolloré possède les chaînes Canal+ ( CNews et C8 compris), Dassault détient Le Figaro, le groupe Lagardère Europe 1, Paris-Match ou encore le JDD… L’Homme le plus riche de France, Bernard Arnault, s’est quant à lui offert le groupe Les Échos-Le Parisien en 2015. Et la liste est encore longue. Depuis quelques années, un combat permanent de la part des rédactions s’est engagé pour faire valoir leur droit à l’indépendance face à des financiers de plus en plus intrusifs.
Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontière (RSF), interrogé début décembre 2020 au micro de France Culture, justifie ainsi la 34e place (sur 180) de la France au classement international de la liberté de la presse : « La situation française est marquée par des interférences capitalistiques assez fortes. C’est ce que l’on appelle des concentrations verticales : le fait que des médias appartiennent à des groupes qui ont d’autres intérêts, et ça crée des conflits d’intérêts ». Or, ces dernières années, ces conflits d’intérêts se matérialisent à juste titre très concrètement et sous différentes formes.
Des cas de censures directement ordonnées par les patronats ont été recensés à diverses reprises. En 2016, des syndicats de journalistes du Parisien ont dénoncé la volonté explicite de Bernard Arnault de passer à la trappe le film de François Ruffin « Merci patron ! ». La raison ? La mise en cause du dirigeant de LVMH. Mais la couronne du plus redoutable prédateur de la liberté de la presse revient incontestablement à Vincent Bolloré. RSF a consacré un cours documentaire (« Le Système B ») à l’analyse de ses méthodes brutales et nuisibles mises en place pour étendre son empire médiatique. Au-delà de la censure de certains sujets qu’il ne trouve pas à son goût, Bolloré n’hésite pas à aller jusqu’à changer les lignes éditoriales des médias qu’il possède sans consulter les journalistes, s’il le juge nécessaire.
Cependant, les journalistes luttent constamment pour garder le contrôle, allant parfois jusqu’à la démission. En juillet 2020, le groupe Vivendi, détenu par Bolloré, devient le premier actionnaire de Lagardère, propriétaire d’Europe 1. Dès son arrivée, la ligne stratégique est claire : opérer un virage à droite pour, officiellement, “faire repartir les audiences à la hausse”. Dans les faits, il met en place des ponts d’émissions avec la chaîne conservatrice CNews et envisage des changements radicaux au sein de la rédaction. Cette droitisation forcée du média a entraîné un mouvement de grève inédit ainsi que des démissions… y compris de certains présentateurs au micro depuis des dizaines d’années.
Tous ces événements sont symptomatiques du malaise grandissant au sein des médias français, plus concentrés que jamais. Parallèlement, la baisse d’adhérents, et donc des revenus issus des abonnements, rendent les journaux de plus en plus dépendants de la publicité et de leurs actionnaires. On ne mord pas la main de celui qui nous nourrit… Il est donc aujourd’hui primordial, en tant que lecteur ou auditeur, d’être au courant de ces pratiques afin de défendre la liberté de la presse, nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie.
La recette en trois ingrédients pour s’informer tout en conservant son libre-arbitre
Bien que les dires des journalistes ne soient pas dénués d’opinion politique et malgré le poids croissant des intérêts privés au sein des rédactions, il est tout à fait possible de s’informer sans être influencé ! Pour cela, trois grands principes doivent être respectés. Il faut diversifier ses sources. Plus l’on s’informe à travers des médias aux lignes éditoriales différentes, plus l’on tend à se rapprocher de l’objectivité. Il est également important de s’intéresser aux médias que l’on choisit. Connaître leurs journalistes et leurs actionnaires pour être capable de prendre du recul par rapport aux positions adoptées : c’est primordial. Enfin, et sans doute est-ce le point le plus important, il est absolument nécessaire de toujours conserver un esprit critique. On ne doit pas être passif vis-à-vis de l’information que l’on reçoit. Au contraire, il est nécessaire de la mettre en perspective et de la questionner afin de se positionner.
Il faut rappeler l’importance de soutenir les médias indépendants, comme Le Canard Enchaîné, Médiapart, Alternatives Économiques ou Les Jours (et bien d’autres) pour garantir une information libre et pluraliste. Comme le disent 45 médias français dans leur appel au soutien publié sur Rue89 le mois dernier, « Ouvrez les fenêtres, lisez la presse indépendante ! ».
By La Plume, Dauphine
Références :
- 33e baromètre de confiance dans les médias : https://www.la-croix.com/Economie/Medias/Barometre-medias-pourquoi-4-Francais-10-boudent-linformation-2020-01-15-1201072072
- Chartre de Munich : https://fr.wikipedia.org/wiki/Charte_de_Munich
- Comparaison J.T. TF1 / France 2 : https://www.telerama.fr/television/on-a-compare-les-jt,-voici-le-bilan-a-tf1-lefficacite,-a-france-2-lanalyse,n6628703.php
- France Culture, La liberté de la presse française est-elle menacée ?, 08/12/2021 : https://www.franceculture.fr/emissions/la-question-du-jour/la-liberte-de-la-presse-francaise-est-elle-menacee
- Classement RSF de la liberté de la presse 2021 : https://rsf.org/fr/classement
- Documentaire RSF « Le Système B » : https://rsf.org/fr/actualites/le-systeme-b-le-documentaire-choc-de-rsf-sur-le-systeme-bollore
- Appel au soutien de 45 médias français indépendants :https://rue89bordeaux.com/2021/10/ouvrez-les-fenetres-lisez-la-presse-independante-lappel-des-medias-independants/
Images :
Citations :
“Depuis quelques années, un combat permanent de la part des rédactions s’est engagé pour faire valoir leur droit à l’indépendance face à des financiers de plus en plus intrusifs”.
“Tous ces événements sont symptomatiques du malaise grandissant au sein des médias français, plus concentrés que jamais”.