Nous pourrions appeler cela une routine. La fin de l’année approche et la fatigue commence à se faire ressentir. Maman chérie, bien-pensante, m’a racheté une boîte de vitamine C : un cachet tous les matins pour être en forme. J’avale rapidement une tasse de thé, l’heure tourne, le rythme s’accélère. J’arrive à la bibliothèque, la nuit fût courte, et un autre café s’impose. Mais rapidement, face à la page blanche, je panique. Tous ces chiffres, toutes ces équations et autres démonstrations, je ne sais pas, ou du moins je ne sais plus. J’arrive à un constat : en une semaine, je n’arriverai pas à tout réviser, c’est impossible. Au déjeuner, j’ajouterai donc un Red Bull sur le plateau. Un goût détestable, peu importe : cette boisson énergisante devient à mes yeux la solution miracle. Ce semestre, je n’ai pas le droit à l’erreur et mon dossier scolaire doit être irréprochable. Ces rituels déterminent ma réussite.
Certes, nous ne sommes que des étudiants. Certes, ce ne sont – pour l’instant – que de simples « stimulants ». Pourtant, nous répondons déjà à ce culte de la performance. Dans l’entreprise, les problèmes d’addiction et de consommation de produits dopants sont sous-estimés, alors que l’on constate depuis plusieurs années une augmentation des risques professionnels. Ce phénomène est particulièrement connu chez les sportifs. Ils font la Une pendant que les dopés du quotidien restent dans l’ombre. Avec des liquides énergisants, des médicaments illégaux importés, ou un peu cocaïne, les travailleurs d’aujourd’hui justifient le recours à ces produits pour « rester dans la course ». Lorsqu’ils sont interrogés, les mêmes mots reviennent : rentabilité, rendement, productivité. Du top manager au salarié du bas de l’échelle, le travailleur cherche à se construire une image d’homme infaillible. Aucune place laissée pour le moindre stress ; un refus d’afficher des faiblesses potentielles. Face au monde entrepreneurial exigeant, ces dopés « nouvelle génération » se créent une carapace pour « survivre au quotidien », négligeant le risque d’un burnout.
La consommation de ces produits témoigne de la pression qu’exerce la société. Nous nous devons d’être les meilleurs, les plus performants, en permanence. Des entreprises ont mis en place des vagues de dépistage régulières face à ce fléau peu médiatisé et encore tabou. Elles valorisent des statistiques dans leur politique social et leur communication externe. Pour autant, ce ne sont que les extincteurs d’un incendie à peine éteint. Lorsque le feu survient, il convient d’identifier la cause du drame. Or, dans notre cas, la médecine du travail reste souvent impuissante. Les procédures mises en place sont principalement réparatrices alors qu’elles devraient être préventives. Le salarié addict sera accompagné médicalement pour tenter de se soigner. Du point de vue de la direction, ce salarié constitue un danger pour l’entreprise, avant même de l’être pour lui-même. Image, normes de sécurité, les enjeux sont élevés.
Les réflexions sur les causes de l’addiction sont négligées. La loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi est venue donner plus de pouvoir au Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT), présent dans les entreprises de plus de cinquante salariés. Mais au-delà de nouvelles dispositions juridiques, un débat national semble être important, ainsi que de vastes campagnes de prévention. Aujourd’hui, les débats se focalisent sur le temps de travail, alors que c’est une discussion sur le « mode » de travail qui doit prioritairement être engagée. Le champ de l’innovation sociale dans le monde du travail ne semble pas être une priorité du législateur français.