Whitewashing à Hollywood : L’industrie américaine un peu trop blanche comme neige
Dans le livre, Katniss est décrite comme ayant la peau mate et de longs cheveux noirs. Cependant, le casting n’était ouvert qu’aux actrices caucasiennes.

Whitewashing à Hollywood : L’industrie américaine un peu trop blanche comme neige

Une Gal Gadot trop blanche, voire trop israélienne pour incarner la célèbre reine d’Égypte dans le prochain biopic de Patty Jenkins ? Sur Twitter, l’annonce de son casting a été accueillie avec fureur et consternation. La figure de Cléopâtre s’est trouvée au cœur de conflits et de luttes très contemporaines : tensions entre Israël et le monde arabe, problématiques liées à la décolonisation mais également accusations de Whitewashing culturel.

Le whitewashing : kesako ? 

Non, on ne parle pas de laverie automatique ou de linge sale. Le néologisme whitewashing nous vient tout droit du mouvement militant antiraciste américain. Ce terme, qui peut se traduire par « blanchissement », désigne en réalité une pratique qui consiste à choisir des acteurs et actrices blanc.he.s pour incarner le rôle - fictif ou non - de personnes racisées. Selon Lester Andrist, professeur de sociologie à l’Université du Maryland, l’expression renvoie à « la tendance qu’ont les médias à être dominés par des personnages blancs, joués par des acteurs et actrices blanc.he.s, et qui vont se frayer un chemin à travers une histoire qui va toucher principalement des audiences blanches, sur la base de leur vécu, leurs expériences et leur vision du monde ».

Le blackface à l’origine du whitewashing

La mode du « blackface » et du « yellowface » constitue un des plus anciens – et des moins subtiles – exemples de whitewashing sur grand écran. On se souvient du Chanteur de jazz, premier film parlant et sonore de l’histoire, où l’acteur d’origine lituanienne Al Jolson incarnait un chanteur grimé en noir. Nous sommes alors en 1923. Pourtant cette pratique perdure aujourd’hui et les acteurs de couleur restent sous-représentés à Hollywood : selon une étude réalisée par l’UCLA (University of California, Los Angeles), en 2006, 81% des personnages principaux étaient incarnés par des acteurs blancs. 

Ces pratiques, si elles persistent, sont devenues plus insidieuses au cours du temps. Aujourd’hui, les personnages dont l’ethnicité peut s’avérer ambigüe sont presque exclusivement incarnés par des acteurs caucasiens. On se retrouve alors avec un Jake Gyllenhaal dans Prince of Persia (2010) ou une Zoë Saldana pour jouer Nina Simone. Et ce ne sont pas les seuls exemples. Christian Bale, Angelina Jolie, Johnny Depp… Beaucoup de ces acteurs ont déjà joué des personnages racisés. Hollywood n’hésite pas à remplacer des personnages de couleur dans plusieurs de ses adaptations, jugeant les têtes d’affiche caucasiennes plus bankables pour les studios. Ce qui donne lieu à des situations… incongrues. Comment expliquer que dans le film – plus que médiocre – Dragon Ball Evolution, Goku soit interprété par le Canadien Justin Chatwin ?

Une question d’argent… qui cache un racisme structurel 

Face aux polémiques, les studios dégainent rapidement le sacrosanto argument financier. Dans un communiqué au sujet d’Exodus (2014), Ridley Scott avait déclaré : « Je ne peux pas monter un projet de film à 140 millions de dollars et dire que ma star est Mohammed untel de tel pays. Je ne me ferai pas financer ». Cette logique de chercher uniquement des acteurs « qui font vendre » apparaît comme un cercle vicieux : tenir les personnes racisées loin des rôles forts les empêche de se faire connaître et donc, de devenir plus « bankables »

Cet argument économique banalisé témoigne du racisme institutionnel d’Hollywood. Dès le départ, l’industrie américaine du cinéma a construit la blanchéité comme étant « la norme » du milieu. Il suffit d’observer les Oscars : sur 3000 récompenses données depuis 1929, seul.e.s 43 acteur.rice.s afro-américain.e.s ont remporté la statuette dorée. Hollywood privilégie ainsi les acteurs blancs en leur permettant d’incarner n’importe quel rôle, en jouant simplement sur l’accent ou le costume, tout en refusant ces mêmes opportunités aux acteurs de couleur.

Ces derniers se retrouvent dans l’incapacité de se faire une place dans l’industrie du cinéma. Plus encore, les personnages de couleur sont sous-représentés et invisibilisés car remplacés par des acteurs caucasiens. Le whitewashing participe alors à la création d’un imaginaire collectif où tous les individus ayant un rôle important sont blancs. 

Héros blancs et méchants noirs, à quand la fin ? 

Des héros blancs versus des méchants ou des personnages secondaires noirs ? C’est le schéma classique des films Hollywoodiens. Tous les personnages positifs du film sont blanchis à l’exception du méchant. Avatar, le dernier maître de l’air (2005) en est l’exemple type. Si, dans la série animée, les personnages sont d’origines assez diverses, dans le film, seuls des acteurs blancs ont été choisis pour incarner les rôles principaux, à l’exception de Zuko qui incarne le « méchant » dans le film. Quand l’acteur de couleur ne joue pas l’antagoniste du film, il est souvent relégué au rang de personnage secondaire, destiné à mourir pour sauver le héros. Regardez par exemple Le Chant du loup (2019) : Omar Sy, seul acteur noir, meurt dans un dernier acte héroïque…mais bien inutile.

Or, pour se construire, il est important de pouvoir s’identifier à des personnages qui nous ressemblent, et qui ne soient pas juste secondaires ou mal écrits. Pour une petite fille noire, mieux vaut grandir devant Black Panther (2018) dont les personnages peuvent faire office de modèles, plutôt que devant des films où l’unique personnage noir meurt avant la fin du film. Mais, des lueurs d’espoir scintillent dans la nuit. Si Barry Jenkins n’avait jamais vu « un homme noir faire la cuisine pour un autre homme dans un film », il a désormais remédié à cela. Dans Moonlight (2016), les personnages afro-américains du film échappent aux stéréotypes habituels. Barry Jenkins raconte avec émotion et poésie l’histoire de jeunes noirs pauvres, élevés sans pères par des mères droguées, sans jamais tomber dans la caricature. 

Une pratique de plus en plus médiatisée 

Si la pratique du «whitewashing» est monnaie courante à Hollywood, elle n’a jamais été autant dénoncée qu’aujourd’hui. Certains médias, comme le site américain Racebending.com, militent pour encourager la diversité au cinéma à travers des campagnes adressées aux studios américains. Dernièrement, les spectateurs eux-mêmes n’ont pas hésité à essayer de faire réagir l’industrie du cinéma en lançant des pétitions qui dénoncent le casting de certains films. C’est le cas de l’adaptation du manga Death Note (2017) produite par Netflix et dont l’ensemble de la distribution est désespérément blanche. La pétition «Boycott Netflix’s Death Note for Whitewashing» a recueilli 16 595 signatures.

L’industrie du cinéma n’est pas en reste. Le documentaire « L’ennemi japonais à Hollywood » a été présenté l’an dernier au festival lumière de Lyon. Ponctué d’extraits de films comme Les fils du dragon (1944) ou le plus récent Ghost in the shell (2017), celui-ci dénonce la représentation des asiatiques dans le cinéma américain. Si elle a évolué, elle n’en reste pas moins caricaturale. Il aura fallu attendre la sortie de Crazy rich Asians en 2018 pour avoir un casting 100% Asiatique. Et encore…Kevin Kwan, le réalisateur, a affirmé avoir refusé une première adaptation dans laquelle l’actrice principale aurait été blanche.

Pour combattre le whitewashing, certains acteur.rice.s n’hésitent pas à auditionner pour des rôles caucasiens. Aujourd’hui, les scénaristes semblent aller dans ce sens et mettre les minorités sur le devant de la scène, quitte à faire du blackwashing…qui ne plaît pas à tout le monde. Face aux polémiques concernant son rôle de Torche humaine, Michael B Jordan avait déclaré : « Parfois vous devez être la personne qui se lève et qui dit «Je vais prendre le poids de toute cette haine sur mes épaules”. Je vais encaisser ça pour les générations futures. (…) Les gens verront toujours la couleur de peau mais peut-être que ce ne sera plus un sujet dans le futur. Peut-être que si je deviens un exemple, Hollywood choisira plus d’acteurs noirs en rôle principal et on changera les mentalités ». Espérons que ces prises de conscience suffisent à washer Hollywood de tout soupçon d’absence de diversité.

Salomé Ferraris, L3 LISS

 

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