Nike, Just Do It or Just Burn It

Nike, Just Do It or Just Burn It

La marque à la virgule a suscité la polémique en choisissant comme égérie pour sa nouvelle campagne publicitaire le quaterback Colin Kaepernick, militant contre les violences policières racistes.

 

Peu avant la reprise du championnat de football américain (NFL), le sportif a dévoilé le premier visuel de la campagne dans un tweet qui présente son visage en noir et blanc avec le slogan « Croyez en quelque chose. Même si cela signifie de tout sacrifier ». Pour le 30e anniversaire du slogan « Just do it », Nike a donc souhaité marquer le coup en s’immisçant sur le terrain de la politique.

Seul l’avenir nous dira si cette opération marketing constitue un succès mais la firme américaine peut déjà se targuer d’avoir enflammé la sociosphère tout en augmentant ses ventes en ligne de 31% le lendemain du lancement.

Colin Kaepernick, assis-debout

Le jeune homme s’est d’abord illustré sur le plan sportif avec les San Francisco 49ers. En 2013, il parvient à les emmener en final de la ligue, le SuperBowl, où ils sont battus par les Ravens de Baltimore sur le score de 34 à 31.

Puis, en août 2016, sa carrière bascule. En signe de protestation contre les violences policières subies par les noirs américains, il reste assis lors de la diffusion de l’hymne national. À l’image de Rosa Parks, restée assise dans un bus de Montgomery le premier décembre 1955, le quaterback se retrouve vent debout contre la discrimination raciale. Quelques jours plus tard, il réitère sa plainte en s’agenouillant pendant l’hymne américain. Suivi par de nombreux joueurs, il devient alors l’étendard d’une frange de la population et obtient même la récompense « d’ambassadeur de la conscience » par Amnesty International.

Dans une Amérique où le patriotisme est roi, ce scandale a semble-t-il brisé la carrière sportive de Colin Kaepernick. Ainsi, à l’expiration de son contrat avec les San Francisco 49ers début 2017, il n’a pas retrouvé de club. S’engage alors un volet judiciaire impliquant la ligue de football américaine (NFL), et les 32 équipes la composant. En effet, il semblerait que ces différents protagonistes se soient entendus afin de sanctionner le joueur en l’empêchant de signer dans un nouveau club. Cependant, l’affaire tourne plutôt en faveur de l’ex quaterback puisqu’un médiateur a statué dans son sens.

Nike, « pour faire avancer le monde » et le business

« Nous croyons que Colin est l’un des athlètes les plus inspirants de sa génération, qui a réussi à utiliser la puissance de son sport pour faire avancer le monde », a déclaré à ESPN Gino Fisanotti, vice-président de la marque à la virgule pour le secteur de l’Amérique du Nord. Nike semble avoir saisi une opportunité de mettre en scène ses valeurs dans une Amérique où la politique a amplifié les divisions culturelles. Kaepernick reste d’ailleurs la cible de Donald Trump et de ses partisans qui ont appelé au boycott de la marque, allant même jusqu’à brûler leurs chaussures sous le sceau du « Just Burn It ».

La firme américaine a donc pris un grand risque en déclenchant cette controverse nationale, mais elle se devait d’être plus authentique à travers un storytelling plus concret et un positionnement social plus visible. Il ne faut pas oublier que Nike vend sur un marché mature au faible développement. L’objectif de la marque reste de prendre des parts de marché à ses concurrents et de toucher plus fortement les « millenials » (18-35 ans). Un bref coup d’œil aux chiffres permet alors de mieux décrypter la stratégie marketing : aux États-Unis, deux tiers des clients de Nike ont moins de 34 ans selon le cabinet NPD et la majorité des 18-34 ans soutiennent Colin Kaepernick. Drôle de coïncidence…

L’hypothèse selon laquelle Nike a pris un risque démesuré afin de soutenir la cause des noirs américains quitte à perdre des clients doit donc être relativisée. En observant en détail le spot publicitaire qui accompagne la photo du visage de Kaepernick, il transparait une impression de déjà-vu : une compilation de scénettes mettant en exergue des athlètes qui ont dépassé les obstacles afin de devenir les meilleurs. La firme américaine y mêle des stars de premier plan comme Serena Williams (tennis) ou LeBron James (basketball) et des sportifs ayant surmonté les handicaps comme Isaiah Bird, un jeune lutteur né sans jambes, ou Shaquem Griffin, un joueur de football américain amputé de la main gauche.

En revanche, Kaepernick n’apparait pas sur les terrains. Il joue le rôle du narrateur en col roulé, bien loin des protestations et des polémiques. Aucune association explicite avec le message du quaterback n’est donc à signaler dans la vidéo. Nike joue ainsi la stratégie de l’évitement avec une certaine subtilité. La virgule de l’Oregon attise ici la fibre émotionnelle et cherche à vendre un message politique auquel elle n’adhère pas totalement afin de profiter de la notoriété de Kaepernick, dont l’engagement s’est traduit par des actes.

Au lieu du « Just Do It », le géant américain devrait adopter le « Just Buy It », qui rappelle sa vocation : vendre des chaussures et des maillots (le plus possible).

 

Pierre-Antoine Rouchet

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