Racisme, valeur phare du sport ?

Racisme, valeur phare du sport ?

“Donner, recevoir, partager : ces vertus fondamentales du sportif sont de toutes les modes, de toutes les époques. Elles sont le sport”. C’est par ces mots qu’Aimé Jacquet exposait sa vision du sport, une vision qui se voulait universelle. Peu importe les origines, la couleur de peau ou la religion, sur le terrain, seul le talent et la volonté comptent. La réussite du roi Pelé, né dans une famille pauvre du Brésil et pourtant arrivé au sommet au seul fait de sa « grinta » en témoigne. Et pourtant, depuis quelques années, ces vertus se perdent et cris de singes, moqueries et insultes racistes envahissent les terrains de sport.


Un phénomène en pleine recrudescence depuis quelques années

Triste réalité et pourtant simple constat : le nombre d’exemples d’agissements racistes explose.

Le volley-ball en est sévèrement touché. Le 6 décembre 2017, alors que le Club de Volley de Tours disputait un 16ème de finale de la Challenge Cup face à l’Olympiakos (Grèce), un joueur de son équipe, Nathan Wounembaina s’est vu adresser des insultes à caractère raciste. Le joueur, affecté par ces propos, décide alors de quitter le parquet. La bêtise ne s’arrête pas là puisque dans la foulée, il se voit exclu du match, et a d’ailleurs échappé de peu à une suspension pour le match retour. À la suite de cet événement, Nathan Wounembaina a pu compter sur un soutien spectaculaire du public - puisque des affiches « Say no to Racism » ont pu être aperçues dans les tribunes pendant le match retour - mais aussi sur celui de Laura Flessel, alors ministre des Sports au travers un tweet.

Ce cas n’est malheureusement pas isolé. Edwin Jackson, joueur de basket-ball au Buducnost Podgorica (Monténégro) a récemment vécu une soirée cauchemardesque face à l’Etoile Rouge de Belgrade, le 20 avril 2019. Le joueur a subi crachats, lancers de chaises et cris de singes. Il a ensuite dénoncé ces faits sur son compte Twitter. Faits qui furent finalement démentis par l’Etoile Rouge de Belgrade.


Un phénomène amplifié dans les stades de football

Mais là où le racisme est le plus visible reste les stades de football. Ce phénomène a pris tant d’ampleur, qu’il est aujourd’hui au centre des débats et des décisions footballistiques.

La semaine dernière est notamment tombée la sanction infligée à la Bulgarie (un match à huis-clos, un deuxième avec sursis et 85 000 euros d’amende) après un match de la honte face à l’Angleterre. Alors que le 14 octobre 2019, l’équipe aux Trois Lions disputait un match qualificatif pour l’Euro 2020, face à Sofia (Bulgarie), des chants racistes et saluts nazis ont visé plusieurs joueurs de couleur noire de l’équipe. Ces actes avaient provoqué émotion et indignation parmi les supporters et la presse britanniques[1]. La France non plus n’en est pas épargnée puisque, le capitaine de l’Amiens SC, Prince-Désir Gouano, avait dû faire face début avril, à des cris de singe lors d’une rencontre contre Dijon.

Cependant, un des championnats où le problème se voit le plus récurrent est le championnat italien. Les témoignages de cris de singe abondent. Romelu Lukaku, avant-centre de l’Inter Milan, en a été victime à répétition. C’est aussi le cas de Blaise Matuidi, milieu de terrain en équipe de France et à la Juventus de Turin. La liste est longue. Pourtant, les Ultras affirment que ces cris n’ont aucune connotation raciale, et sont en ce sens épaulés par les autorités qui ne reconnaissent toujours pas ces actes comme racistes.

La question ne se limite cependant pas au football professionnel. Kerfalla Sissoko jouait pour son équipe de l’AS de Benfeld (district 5) face à Mackenheim début mai 2018. Du seul fait de sa couleur de peau, K. Sissoko ainsi que deux de ses coéquipiers se sont alors fait agresser, puis tabasser en plein match, sous le regard affolé de son entraîneur qui “le croyait mort”. Le joueur a souffert de lourdes séquelles tant physiques que psychologiques. Défiguré, il devra se faire opérer s’il souhaite retrouver son visage. Cette histoire hors du commun a été relayée jusque dans The New York Times.

Quand cela s’arrêtera-t-il ? Même si la question la plus pertinente semble être : comment cela s’arrêtera-t-il ?


Des propositions de solutions qui peinent à être mises en place

Afin de répondre à ce phénomène grandissant dans le monde du sport, plusieurs solutions sont proposées, notamment par les instances sportives compétentes ou par les experts. David Terrier, ancien président de l’Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP), estime qu’il est nécessaire d’interrompre la rencontre sportive dès lors que des actes racistes sont commis. Pour lui, la responsabilité est partagée entre, certes les supporters qui sont à l’origine de ces actes, mais également les fédérations sportives, qui n’adoptent pas des actions assez sévères, contribuant ainsi à préserver le système en place.

Pourtant, des grandes organisations sportives ont fait de la lutte contre le racisme leur priorité, comme l’UEFA qui depuis 2001 organise des campagnes contre la discrimination dans les stades de football, sensibilise le public à cette problématique et soutient financièrement des associations engagées pour la tolérance et la non-discrimination. Les sanctions imposées par l’UEFA sont généralement considérées par les clubs comme strictes, mais elles ne sont toujours pas suffisantes pour résoudre le problème. D’autres associations qui ne sont pas directement liées au domaine font de la lutte contre le racisme dans le sport leur cheval de bataille. C’est le cas de la Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme (LICRA), qui déploie un comité dédié au sujet, et qui effectue “un travail de veille et d’alerte en menant une enquête nationale auprès des collectivités locales sur les dérives racistes dans les sports et accompagne les victimes, que ce soit dans le cadre des commissions de discipline ou en dernier recours, devant les tribunaux.”.

Les sportifs eux aussi s’engagent pour faire cesser ce fléau, en témoigne la récente déclaration du joueur de Manchester City, Raheem Sterling, dans les journaux anglais. Il estime que la lutte contre le racisme se fait d’abord par les joueurs, qui se doivent de voir en ce problème une « motivation à marquer des buts et à être meilleur ». Mais le jeune international anglais souligne également un point important qui n’avait pas été abordé jusqu’ici, le rôle que jouent les médias et la manière dont ils présentent les sportifs. Il dénonce ainsi l’image du sportif noir souvent renvoyée par les journaux, faisant de lui un homme « fort, physique, pas cher et puissant ». Cette observation n’est pas à faire dans l’univers du football uniquement, mais aussi dans les autres sports comme le basket-ball, où les athlètes, racialisés, se voient souvent accorder ce type de caractéristiques par les commentateurs ou les journalistes.

Toutefois, les médias eux aussi peuvent se présenter comme étant des vecteurs de valorisation de la diversité dans le sport, ils sont ainsi considérés comme des partenaires responsables et indispensables aux institutions et aux associations. D’autres solutions plus structurelles sont également envisagées, mais sont plus difficiles à mettre en route. Elles concernent notamment l’éducation qui se fait autour du milieu du sport. Un rapport récent de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), a désigné l’éducation comme étant un axe prioritaire pour faire évoluer les pratiques sportives. Cela passe par l’organisation de formations des différents responsables pédagogiques, qui incluraient des campagnes de sensibilisation, de débats et d’échanges autour de la problématique.

Toutes ces mesures insistent sur le fait que le racisme dans le sport est une affaire qui nous concerne tous, que l’on soit amateurs ou non. Malgré les efforts, parfois jugés insuffisants, des acteurs du monde du sport, les pratiques discriminatoires persistent et rendent plus difficile la promotion des valeurs du milieu. À quand la fin des lancers de bananes et des cris de singe dans les stades ?

Fatine Tahlil et Marc-Adrien Marié

[1] Hytner, David, England crush Bulgaria 6-0 but racist chants force stoppages in qualifier, The Guardian, 15 octobre 2019

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