L’économie de l’organisation Etat Islamique : emplois et ressources du djihadisme contemporain

L’économie de l’organisation Etat Islamique : emplois et ressources du djihadisme contemporain

Dans le cadre du partenariat La Plume x Oeconomicus, pour chaque article écrit par un étudiant de Dauphine pour Oeconomicus, retrouvez la version courte écrite par un rédacteur de La Plume. La version longue est directement accessible en cliquant sur le bouton en bas de l’article. Bonne Lecture ! 

 

L’état islamique est l’organisation terroriste la plus riche de l’histoire de l’humanité. En juin 2014, elle disposait d’un capital de 2,3 milliards de dollars. Ce pactole inédit lui a permis de s’étendre territorialement et de mener des actions à l’étranger. Une telle fortune a pu être constituée grâce aux pillages, à la mise en esclavage des populations locales et à l’exploitation des ressources des territoires conquis. Ces flux de revenus sont venus s’ajouter aux flux plus classiques, c’est-à-dire les donations extérieures. Ce bouleversement dans la manière de se financer a généré une réorganisation de la gestion des ressources et s’est inspirée de la finance et du commerce moderne. Dès lors, il est intéressant de se demander comment s’articule l’économie de l’organisation Etat Islamique de 2006 à nos jours ?

L’organisation Etat Islamique : une tentative d’étatisation des finances à partir de groupuscules islamistes épars

Les fondements du modèle économique de l’organisation Etat-Islamique tirent leur genèse des groupes tels qu’Al-Qaeda et Al-Nosra dont ils sont issus. Le financement de ces réseaux djihadistes provenaient majoritairement des flux étrangers. Ils pouvaient prendre la forme de dons de particuliers (sympathisants ou ONG caritatives), d’apports en numéraire des engagés (Oussama Ben Laden par exemple), de sociétés de blanchiment d’argent et d’aides cachées d’États (Lashkar-e-Taiba pour le Pakistan avec des camps d’entraînement fournis par le renseignement). C’est par ailleurs à travers leurs exactions (prises d’otages par exemple) que les groupes terroristes obtiennent une part non-négligeable de leur financement. Enfin, les djihadistes pouvaient également lever des impôts auprès des populations locales pour décrocher une source supplémentaire de financement. C’est dans ce contexte que de nombreux groupes terroristes islamistes apparaissent de manière éparse, d’obédiences différentes et qui servent également les États dans leurs luttes d’influence. Si les ressources des groupes djihadistes entre les années 1990 et 2010 sont assez homogènes, les dépenses sont, elles,plus diverses. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le budget réservé aux opérations terroristes reste faible en comparaison aux dépenses organisationnelles. Pour Al-Qaïda, il s’agirait de 90% de fonds organisationnels contre 10% d’opérationnels. En effet, le maintien de la structure d’un groupe terroriste reste couteux. On note par exemple les dépenses en nourriture, en armes et en matériel ainsi que les frais de préparation militaire. Les coûts opérationnels restaient assez limités du fait des structures en « réseau » des organisations (et non de groupe unifié) qui ne leur permettaient pas de réaliser des opérations de grandes envergures. Ces coûts ont commencé à augmenter dès 1998 avec l’internationalisation du djihadisme.

La proclamation d’un califat par l’organisation Etat-Islamique vient bouleverser le modèle de financement de cette organisation. Si les dépenses restent similaires (camps d’entraînement, entretien des djihadistes par des vivres et des logements, moyens logistiques afin de mener des exactions terroristes), les ressources se diversifient progressivement. Les dons extérieurs ne représentent plus que 2% des fonds propres de l’organisation en 2014 alors que les ressources naturelles en représentent 82%. Le reste (16%) provient des exactions criminelles. L’organisation Etat-Islamique cherche donc à disposer d’un véritable budget de plus long terme dans le but d’obtenir une certaine légitimité.

 

Le djihadisme souhaite établir une économie d’Etat pour asseoir sa légitimité

L’objectif ultime de l’organisation terroriste est d’incarner un véritable Etat structuré. Cela passe d’abord par la disposition d’une structure hiérarchique et stable. Daech a donc mis en place des ministères et des commissions financières afin de suivre les sources de flux financiers et leur attribution. Ensuite, l’organisation a dû constituer une économie forte et autosuffisante. La construction de cette économie est permise par trois types de ressources, celles naturelles, celles criminelles et celles issus de dons. Les ressources naturelles concernent la majeur partie des fonds de l’organisation. Cela concerne principalement le pétrole qui est extrait des champs de pétrole syriens et irakiens. Il représente près d’un milliard de dollars en 2014 et 600 millions en 2015. Le gaz naturel est également une ressource précieuse extraite dans la région de Palmyre. Notons que Daech s’appuie sur des intermédiaires indépendants pour effectuer les tâches les plus techniques comme la distribution du pétrole et l’extraction des minerais. On compte de même des ressources minières et agricoles. Une autre partie importante des fonds de l’organisation provient des revenus criminelles de l’organisation. En 2015, l’extorsion devient la première source de financement du groupe terroriste. Les 8 millions d’individus vivant sur le territoire contrôlé par Daech doivent s’acquitter de toute sorte de taxes et d’impôts. Pour conserver son avantage, l’organisation terroriste cherche donc à inclure pleinement les populations civiles et des entreprises indépendantes dans le processus de production. Cela lui permet de conserver des ressources sans devoir investir en infrastructure et en savoir-faire. Toutefois, le maintien des populations en place sur le territoire constitue la principale source de dépense avec la distribution des salaires des combattants. Viennent ensuite les dépenses liées à la guerre aux frontières, à l’application de la charia dans les terres contrôlées et aux dépenses de propagande. En général, toutes les dépenses sont tout de même liées à l’effort de guerre.

Toutefois, les offensives de la coalition internationale, des forces démocratiques syriennes, des kurdes et d’autres mouvements ont mis à mal le système économique de l’organisation. En effet, les frappes ciblées de la coalition associées aux actions de terrains ont permis de diminuer les ressources de l’organisation et de neutraliser les dirigeants du groupe, désorganisant tout le système mis en place. L’Etat islamique, dépossédé de son territoire, a alors perdu toute légitimité. Si l’organisation salafiste djihadiste a eu accès à un vaste territoire, elle n’a pas su prévoir la conservation de son territoire et des populations. Cela s’explique dans le fondement de son idéologie et l’illusion de force qu’elle se donnait, se révélant être une fragilité.

L’instauration d’un califat a permis de diversifier les ressources et de développer une toute nouvelle forme de djihadisme salafiste. Les dépenses, si elles admettent une forte composante militaire, ont également fortement évolué. L’organisation a favorisé l’expansion de son territoire et la mise en place d’une hiérarchie bureaucratique. Toutefois, malgré ses tentatives de structuration, Daech n’a pas su maintenir son territoire et installer une vision à long terme.

Antoine Gaudin, L3 EIF

Basé sur un article de Quentin Petitjean pour Oeconomicus

 

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