Université Paris Dauphine, 7 octobre 2014, 17h15.
Au 4ème étage, un professeur entre dans sa salle de cours : le vidéoprojecteur est en place, la classe est calme, les chaises sont vides. « Encore en retard » pense-t-il. Au même instant, deux niveaux plus bas, Valéry Giscard d’Estaing, Président de la République de 1974 à 1981, entre dans l’amphithéâtre Edgar Faure. Les fauteuils rouges, les bouteilles d’eau et les micros sont en place. La scène est éclairée, les allées, les chaises, les balcons sont quant à eux surchargés. Une large foule a même établi ses quartiers au pied de l’estrade ; à même le sol. Les applaudissements fusent. La venue de Valéry Giscard d’Estaing est un évènement mémorable : plus qu’un débat, cette visite est un moment privilégié, accordé à l’Université.
Depuis 2002, l’association Dauphine Discussion Débat (DDD) organise des rassemblements au cours desquels des personnalités politiques, des spécialistes économiques, des haut-dirigeants et des journalistes interviennent et répondent aux interrogations des étudiants. Au cours des trois dernières années, l’établissement a, notamment, accueilli Martin Bouygues, Henri Gaino, François Baroin, François-Xavier Bellamy, Nathalie Kosciusko-Morizet, Jean-François Copé et Anne Hidalgo.
Dans un contexte d’effervescence médiatique entourant les choix politiques du gouvernement national et ceux de ses opposants, la rencontre avec Valéry Giscard d’Estaing aurait pu être centrée sur des préoccupations franco-françaises. Au contraire, « l’Europe » fut le maitre mot. Deux heures durant, l’ancien Président de la République a éclairci le projet qu’il développe dans son livre Europa - la dernière chance de l’Europe ; co-écrit avec l’ancien chancelier allemand Heldmunt Schmidt et paru le 2 octobre dernier.
Europa : Pour quoi ?
Lorsque VGE commence son discours, il ne définit pas Europa. Dans un premier temps, il place « la communauté européenne dans l’espace et le temps ». C’est alors le moment d’un long rappel historique : tout commence au lendemain de la guerre. Robert Schuman propose une mise en commun du charbon et de l’acier, le 9 mai 1950. L’objectif est alors de « rendre la guerre matériellement impossible » et deux visions de l’Europe émergent. La première, supranationale, est fondée sur une logique d’intégration entre Etats tandis que la seconde, unioniste, se limite à un désir de coopération économique.
Si cette divergence au sein même de l’Union est dépassée de 1945 à 1990, notamment avec le démantèlement du système douanier, selon Valéry Giscard d’Estaing, « le temps de la réussite est révolu. L’Europe est en confusion. ». Plus qu’une crise de l’Euro, c’est avant tout une crise sociale et politique dont est victime l’espace communautaire. Pourquoi ? Car « le monde a changé » affirme-t-il. Au lendemain de la guerre, il s’agissait d’assurer l’entente entre les grandes puissances qu’étaient les Etats-Unis, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, mais la mondialisation et la montée en puissance des pays émergents (Chine, Inde, Brésil…) ont bouleversé le classement économique mondial, en même temps que l’équilibre préétabli. Les enjeux internationaux ne sont plus les mêmes.
Dès lors, avoir évoqué le passé permet à VGE d’envisager le futur : il est nécessaire de « réformer le système dépassé qu’est devenue l’actuelle Europe » pour en faire une « puissance du modèle du XXIème siècle dans sa dimension, son fonctionnement et sa capacité », afin de rivaliser sur la scène internationale.
Europa : comment ?
« En poursuivant l’intégration européenne » est convaincu l’ancien chef de l’État. L’Union européenne a multiplié les élargissements sans veiller à se réformer. Les intérêts nationaux des dirigeants européens manquent d’harmonisation et le bas taux de participation aux dernières élections européennes met en exergue le désamour des citoyens pour ce qui est… LEUR modèle. L’idée d’Europa est donc que le noyau dur – à savoir la France, l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, l’Italie auxquels pourront s’ajouter l’Espagne, le Portugal et l’Autriche – construise un espace économique unifié et libre. Il est, en effet, central que le nouvel ensemble formé, converge vers une même vision du futur communautaire. C’est pourquoi, les pays ayant refusé d’adopter une monnaie unique (cas du Royaume-Uni et de certains Etats scandinaves) et ceux ne répondant pas aux exigences d’ordre économique de l’Union européenne (cas de certains Etats à l’est), n’ont pas vocation à en faire partie.
L’enjeu est d’unifier les politiques budgétaire et fiscale, l’endettement et la solidarité financière. Les auteurs d’Europa-la dernière chance de l’Europe comptent sur la mise en place, d’une part, d’un directoire aux réunions mensuelles, et d’autre part, sur la création d’instances comme un Trésor Public, chapotant les grands pans de la politique européenne.
L’Europe se mouvra-t-elle en un Etat fédéral ? Valéry Giscard d’Estaing s’y refuse, préférant l’appellation de « fédération d’Etats nations », qui sera un système de rassemblement basé sur une prise de décisions en respect avec les divers intérêts nationaux.
« Á terme, n’y aura-t-il pas un problème culturel et identitaire ? », s’est risquée DDD, lors de ses questions. VGE a répondu : « Dans le projet Europa, il n’y a rien qui touche à la culture ou l’identité. Lorsque vous arriverez dans un aéroport, que vous soyez italien, français ou espagnol vous direz que vous êtes de nationalité européenne, mais cela ne prive de rien ! Nous serons simplement membres d’une structure plus grande. […] Les sociétés se ressembleront davantage, dans leur culture et leur politique ».
Á mon tour je m’y risque : « Alors que la montée des parties extrêmes fait rage matérialisant une revendication des identités nationales, les Européens souhaitent-ils converger ? » L’avenir répondra. Mais peut-être n’ont-ils plus le choix. Selon VGE, la pérennité du modèle européen en dépend, et comme il le conclut« ce projet est entre [nos] mains »