Aristote avait tout faux.

Aristote avait tout faux.

Vous le connaissez tous, le chouchou de votre professeur de philosophie, qui lui préférait néanmoins toujours Michel Foucault : Aristote. Quand on discute de tout, on se trompe, surtout quand on a parlé suffisamment pour poser, pour deux millénaires, les bases logiques du raisonnement académique. Voici donc un florilège de quelques-unes des erreurs fondamentales qu’a exprimé Aristote. Nous ne reviendrons pas sur les conceptions sociales reprises par le philosophe, mais qui ne lui sont pas propres : oui, Aristote considérait les femmes comme moins humaines que les hommes, et les esclaves, comme incapables par nature d’être libres.

Nous avons cinq sens.

Vous aussi, vous y croyiez, néanmoins, l’Homme dispose de bien plus de sens que les cinq listés dans De Anima, à savoir, la vue, le goût, le toucher, l’odorat et l’ouïe. La proprioception est la capacité à connaître la position de nos membres, même sans les voir. Vous vous retrouveriez fortement déstabilisé sans le sens de l’équilibre et la perception de l’accélération, gérés en partie par l’oreille interne.  La capacité à ressentir la douleur et la température, sont également omis par le philosophe qui oublie l’intéroception, regroupant grossièrement toute sensation relative à l’état physiologique. L’intéroception inclut ainsi la faim, l’envie de vomir, l’impression de suffocation en apnée, la perception des maux de têtes et bien d’autres.

Il est impossible de faire une liste exhaustive des sens humains, pour la simple et bonne raison que nous ne connaissons pas exactement les limites de nos perceptions. Une étude de l’Université de l’Hertfordshire suggérait que les infra-sons, inaudibles pour l’Homme, leur insufflaient néanmoins un sentiment d’angoisse, de stress ou de peine. Voilà peut-être une piste vers la découverte d’un nouveau sens…

La monnaie a trois fonctions.

Les élèves studieux de ES ont pu apprendre par le passé, que la monnaie se caractérisait par trois éléments : la monnaie est un intermédiaire dans les échanges, c’est-à-dire qu’elle peut s’échanger contre des biens. Elle est une réserve de valeur, elle ne se déprécie pas et elle sert d’échelle de valeur en permettant de d’exprimer la valeur d’une marchandise en fonction de la monnaie. Voilà encore un fondement posé par Aristote dans son Ethique à Nicomaque, fondement que nos homologues anglo-saxons n’apprennent pas.

À la place, on leur enseigne que ces affirmations reviennent à William Stanley Jevons, qui les expose dans Money and the Mechanism of Exchange (1875), en y ajoutant la fonction de standard de paiement différé. Il s’agit de la capacité d’une monnaie à être utilisée pour une dette : si le paiement  est effectué en différé, il doit être déterminé dans une unité censée conserver sa valeur. Les Anglais résument d’ailleurs ces quatre fonctions en un couplet : Money is a matter of four functions: a medium, a measure, a standard and a store.

Le périmètre de la Terre est de 74 000 kms.

Si Aristote a le mérite d’avoir assis la sphéricité de la terre comme une vérité absolue, dans l’Antiquité grecque, ce n’est certainement pas à lui que l’on pense quand on songe au calcul de son diamètre, mais plutôt à Eratosthène. Pour cause, Aristote s’y est essayé près de cent ans plus tôt sans succès. Dans De Caelo, livre II, Chapitre 14, il estime la circonférence terrestre à 400 000 stades, soit environ 74 000 km. Eratosthène passe à la postérité grâce à son exploit de mesurer la circonférence terrestre à 39 375 kms, soit moins de 100 kms de différence avec la valeur que nous admettons aujourd’hui. Quant à Aristote, un parle d’un écart avec la réalité de près de 34 000 kms…

La Terre est au cœur de l’Univers.

Comme pour son maître Platon, Aristote est persuadé que le géocentrisme est une réalité, aussi partagent-ils à deux le poids de cette erreur, qui attendra jusqu’à Copernic, Kepler et Galilée pour être démentie, au profit de l’héliocentrisme. Non, la Terre n’est pas le centre de l’Univers, même si c’est ce qu’avançaient les deux vieux philosophes. Aristote découpait d’ailleurs dans cette idée l’Univers en deux : la partie se situant sous l’orbite lunaire, sublunaire, et l’espace fini et délimité s’étendant par-delà, supralunaire. Sans nous arrêter sur cette séparation somme toute arbitraire, parlons plutôt de ce que l’Univers est fini.

 

L’Univers est fini et borné.

Lorsque les astrophysiciens ou les cosmologistes parlent de l’Univers, ils parlent généralement de l’univers observable, qui lui, est fini. Il s’agit en pratique d’une sphère de rayon de 13.8 milliards d’années lumières, dont le centre est la terre englobant tout ce qui est visible depuis notre planète. Mais, ne venons-nous pas de dire que la terre n’est pas au centre de l’Univers ? Non, la terre n’est pas au centre de l’univers, mais au centre de l’univers observable, sous-entendu, observable depuis la Terre. Lorsqu’Aristote parle de l’univers, il parle de l’Univers comme un tout, comme l’ensemble des choses qui existent.

Là-dessus, trois modèles semblent plausibles : l’Univers est infini, l’Univers est fini sans bornes, et l’Univers est fini et borné – c’est celui choisi par Aristote. Si la communauté scientifique n’est pas unanime en ce qui concerne les deux premières hypothèses, celle de notre philosophe ne tient pas la route. Si l’Univers est borné, par quoi est-il borné ? Existe-t-il une sorte de mur infranchissable ? On voit rapidement qu’il est impossible de soutenir cette hypothèse.

Le cerveau sert à refroidir le sang.

L’importance du cœur et du cerveau n’avait pas échappé aux Grecs anciens, mais ils se trompaient fondamentalement. Platon, dont Aristote fut le disciple, établit que le cœur est le siège de l’intelligence. Aristote compléta cette affirmation, en expliquant que la taille du cerveau est corrélée avec l’intelligence de son propriétaire. L’observation est juste, mais l’explication qu’en donne le philosophe l’est un peu moins. Remarquant que le sang d’un chien est plus chaud que celui d’un humain, il en déduisit que la température du sang déterminait finalement l’intelligence de l’individu, et donc que le cerveau avait la fonction de le refroidir. Dommage, on y était presque.

On ne peut vivre à l’équateur.

Dans le deuxième volume de son traité de météorologie, Aristote tente de déterminer différentes zones climatiques sur Terre. Il parvint à la conclusion que la Terre se divise en trois parties : deux zones habitables au nord et au sud, séparées par une zone torride. Là encore, bien essayé. La climatologie moderne définit entre-autres les climats tempérés et chauds, correspondant aux trois zones définies dans l’Antiquité. Là où l’analyse du philosophe pèche, c’est où selon elle, la vie est impossible dans la zone chaude qui entoure l’équateur tant les températures sont élevées. Peut-être était-il visionnaire en prévoyant les effets du réchauffement climatique… ?

Il existe un sens à l’évolution.

Pas besoin d’attendre la Renaissance pour s’intéresser aux processus qui ont menés à faire des êtres vivants ce qu’ils sont. Empédocle, un des contemporains d’Aristote, théorise que la combinaison aléatoire des formes de vie a donné naissance à nombre de créatures : bêtes à tête sans cou, à bras sans épaules, Homme à tête cornée ou bœuf à visage humain. Toutes ont disparu d’elles-mêmes, sauf dans les cas où le hasard avait convenablement arrangé les éléments. Cela ressemble bien à une anticipation de la théorie de l’évolution de Charles Darwin.

De son côté, Aristote se persuade qu’il existe un finalisme dans l’Univers, et que si l’Homme s’est retrouvé doté de bras, c’est parce qu’il a l’intelligence de s’en servir. Si les puissances divines à l’œuvre dans le processus de création n’ont pas cru bon de pourvoir le bœuf de mains, c’est qu’il n’aurait su qu’en faire. On n’y aurait pas pensé…

Concluons rapidement cette petite série en rappelant qu’Aristote est un grand visionnaire, qu’il est le témoin de toute l’ingéniosité dont est capable l’être humain. Il est, non seulement le porte-parole de ce qu’a pu être la pensée de son temps, mais il a aussi guidé le raisonnement académique de toute l’élite occidentale, jusqu’à la Renaissance. Aussi, pour reprendre le syllogisme de Socrate : Aristote est un homme, l’erreur est humaine, donc Aristote est l’erreur. A bon entendeur.

Laisser un commentaire

Fermer le menu