Glyphosate : make Europe great again ?

Glyphosate : make Europe great again ?

Pour les lobbies comme en chimie : c’est la dose qui fait le poison.

Avec la décision de prolonger pour 5 ans l’autorisation du glyphosate, un fait vient de se vérifier, contre lequel les eurosceptiques ne sont pas les seuls à pester : l’Union Européenne n’est pas prête pour un vrai projet écologique.

Cette décision va à l’encontre des principes de la transition écologique dont nous devrions pourtant être le fer de lance dans le monde : après une telle décision quid d’un nouveau modèle durable ?
On nous vend souvent l’UE comme un moyen d’étendre les idées et les valeurs du progrès, un ensemble qui rend ses parties réunies plus fortes face au monde, une entité soucieuse de l’avenir de sa jeunesse, et prônant un développement économique qui comprend les enjeux de soutenabilité et de durabilité… nous voulons y croire, mais comment y croire ?

 

Pourquoi une telle décision à Bruxelles ?

A Bruxelles, après six reports d’un vote tendu, une majorité de pays membres a émis un avis favorable à la prolongation de 5 ans de l’autorisation de la molécule dans l’UE.
Les arguments des opposants au renouvèlement sont plutôt d’ordre de santé publique, tandis que les arguments des partisans sont d’ordre économique et productiviste : comment se maintenir dans la compétition globalisée si nous nous privons unilatéralement des outils agro-chimiques qu’utilisent nos concurrents ?

L’Europe se retrouve face à ses propres contradictions. Comment mener chez soi la bataille pour la transition écologique, impliquant une coordination européenne souhaitable lors d’une couteuse réorganisation des ressources productives, alors qu’on est soi-même le chantre du libre-échangisme qui impose à tous la survie par le productivisme destructeur contre lequel on entend lutter pour sauver la planète ?
Tout cela n’a aucun sens… On retrouve ainsi des syndicats d’agriculteurs Français opposés à l’interdiction du glyphosate parce que le maïs, le blé et le soja que nous produisons est en concurrence avec les plans OGM d’Amérique du Nord et du Sud… Est-il alors toujours inenvisageable de considérer un «protectionnisme» de bon sens, sans que l’on nous agite l’épouvantail de l’isolationnisme, voire du nationalisme ? Car il ne s’agit pas là de monter les peuples du monde les uns contre les autres, mais de protéger les organisation (les entreprises notamment) qui respectent nos réglementations locales de concurrents lointains qui n’en n’ont aucune à suivre.

 

On entend souvent parler d’une bataille d’experts sur la question de la toxicité du glyphosate, pourquoi ?

Le CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer, émanent de l’ONU) a classé le glyphosate comme cancérogène probable pour l’Homme. Mais les textes européens ne disposent pas qu’un tel avis soit contraignant dans la décision rendue par la commission européenne.

Pour vous renseigner sur la méthodologie du CIRC, vous pouvez consulter ce document (en anglais) qui condense les conclusions de l’organise sur le glyphosate ainsi qu’une explication de sa méthode de classification des substances.

L’EFSA (agence de sécurité alimentaire de l’UE) et l’ECHA (agence des produits chimiques de l’UE), dont les avis ont, eux, du poids dans la décision de la commission, ont classé le glyphosate comme non-cancérogène pour l’Homme.
Cette divergence s’explique par le fait que le CIRC se base sur toutes les études scientifiques disponibles pour rendre un avis, et se base sur les formules commercialisées du glyphosate pour évaluer ses effets, tandis que les agence Européenne ne se basent que sur des études réalisées sur le glyphosate seul (sans autres additifs).

Pour vous renseigner sur le rôle et les travaux de l’EFSA, vous pouvez consulter ces documents officiels détaillant les démarches de l’organisme :

Ces études ont de maintes fois été critiquées par la communauté scientifique pour leurs biais, par exemple sur le fait de tester uniquement les effets du glyphosate seul : il déjà été démontré que le glyphosate peut voir sa toxicité décuplée s’il est additivé (les fabricants le font, en l’accompagnant de substances qui améliorent sa pénétration dans les tissus organiques) ou s’il interagit avec des métaux lourds (mercure, plomb…) présents dans l’eau par exemple.
Et puis en tant que citoyen, quel crédit accorder à une étude menée par l’industrie agro-chimique ? On ne peut que rester ébahi devant la teneur naïve et candide de la réglementation européen régissant l’évaluation de ces produits ! Il faut que ça change, et l’Elysée semble vouloir formuler des propositions dans ce sens.

 

Où et pourquoi utilise-t-on du glyphosate en France ?

Les particuliers dans leur jardin, les collectivités dans leurs espaces verts et les agriculteurs dans leurs champs : voilà les usages courants du glyphosate. (Askip on en retrouve aussi au restaurant d’entreprise de Monsanto car ce produit est inoffensif pour l’homme. Mais on n’y en boit pas beaucoup… sans doute parce qu’il n’est pas d’un grand intérêt gustatif.)

Si vous vous intéressez à la géographie du glyphosate, vous pouvez consulter cette carte sur le site de France télévision.

On y constate un contraste d’utilisation du glyphosate selon les régions de France, qui nous éclaire sur les besoin auxquels il répond. On remarque de fortes consommations dans les régions du Nord de la France et de la Beauce (régions de cultures céréalières et oléagineuses), ainsi que dans les régions du Bordelais, des Pays de la Loire, et de la Champagne jusqu’en Franche-Comté (régions viticoles).

 

Pourquoi le glyphosate scandalise-t-il autant ?

Commercialisé dès les années 1970, il est l’herbicide le plus utilisé dans le monde. Outre sa toxicité quasi-certaine pour l’Homme et avéré pour la faune et la flore (il a été conçu pour cela d’ailleurs) c’est une molécule autour de laquelle s’articule tout le modèle économique des OGM vendus par Monsanto.
Refuser le glyphosate c’est refuser la main mise d’une multinationale sur l’agriculture
. En effet, les semences vendues par Monsanto sont non seulement modifiées génétiquement pour être plus productives (à priori louable) mais aussi pour résister aux effets du glyphosate qui est un puissant désherbant « non-sélectif » (il tue tout le reste). Ainsi l’agriculteur peut éliminer facilement toutes les plantes parasites et autres mauvaises herbes de ses cultures sans détruire ces dernières !
Merveilleux ? Tout à fait ! Et le glyphosate a plein d’autres avantages :

  • A certaines doses, il stérilise de façon chronique les sols : seul l’OGM peut y pousser ;
  • L’OGM est stérile, et il faut racheter les semences chaque année (création insidieuse d’un monopole sur le marché des semences)
  • Il détruit toute diversité biologique dans les champs, ce qui laisse la place pour des bactéries et champignons pathogènes qui lui résistent
  • En polluant l’eau et les cultures traitées, il peut rendre malades les animaux et les humains qui l’ingèrent (destruction de la flore intestinale chez les vaches et les cochons par exemple)
  • Etc…

 

D’un point de vue exclusivement productiviste, est-il souhaitable de se passer du glyphosate ?

Il est indéniable que les molécules mises au point par les agrochimistes ont permis depuis l’après-guerre de faire des gains de productivité colossaux dans les cultures. Mais dès lors qu’il est certain (et qui d’autre peut en douter ?) que ces produits mettent en danger la santé de l’Homme et des écosystèmes, on peut remettre en question leur utilité, et par extension s’interroger sur tout notre mode de production agricole.

D’où la question : est-il souhaitable de conserver un modèle agricole dans lequel il faut répandre massivement des produits toxiques qui menacent notre santé et celle des écosystèmes ? Question rhétorique. Si la question se pose, c’est que notre façon de produire ce que nous mangeons est problématique.

Au-delà du débat sur l’interdiction du glyphosate, ce qui se passe à Bruxelles pose finalement le doute sur un point important : une Union Européenne incapable d’interdire le glyphosate, est-elle capable de se questionner sur la durabilité de notre modèle agricole ? Peut-elle se donner l’ambition et les moyens de relever les défis du développement durable ?
Et nous, citoyens des pays d’Europe, pouvons-nous compter sur l’Union pour porter la cause écologique sur tout un continent ?
Pouvons-nous encore croire à un projet européen qui piétine le bon sens sur des questions vitales comme celles-ci ?
Où est passé le « make Europe great again » ?

 

Cet article a 2 commentaires

    1. Bonjour, je vous remercie pour votre remarque.
      L’OMS a en effet émis un avis différent de celui du CIRC, mais à ma connaissance, le CIRC classe toujours le glyphosate comme cancérogène probable pour l’homme.
      Afin de permettre à tous d’être mieux informés sur le sujet, j’ai pris soin de mettre à jour l’article en y insérant des documents du CIRC et de l’EFSA que j’ai consulté.

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