Migrants, mi-hommes :  la déshumanisation verbale

Migrants, mi-hommes : la déshumanisation verbale

L’analyse sémantique des réactions politiques et médiatiques ces dernières semaines témoigne d’une posture de fond, façonnant l’opinion publique : « la crise des migrants » n’est plus le générique pertinent pour décrire le drame humain. Il nie toute la spécificité des situations. Ce court article est un plaidoyer pour la justice linguistique : migrants et réfugiés ne doivent pas être confondus.

Alors que le deal de migrants alourdit les bourses des nouveaux mafieux du 21ème siècle,  la Méditerranée, elle, s’alourdit d’un cimetière humain. Face au trafic d’hommes, la justesse linguistique ne doit  pas s’accommoder d’une imposture intellectuelle : confondre sous un diminutif commun le migrant, l’exilé et le réfugié c’est s’accommoder d’un déterminant commun, qui nie la complexité même de la situation. Les enjeux ne peuvent être mesurés qu’en étant mesurables : c’est tout l’intérêt de la précision sémantique qui confère aux concernés une consistance, et même l’objet d’une politique. La politique migratoire n’est pas le droit d’asile. L’une est un choix, l’autre, une obligation.

Et pour cause : le générique de migrant ne témoigne plus de l’horreur de leur périples homériques. Pas de répit pour la conscience européenne tant que l’homme trouve le trépas sur le pas de chez elle : fermer la porte ne résout pas le problème, ça ne fait que laisser du sang sur la poignée. La bonne politique à adopter n’est cependant pas l’objet de cet article. Mais l’humanisme de ceux qui, sur le terrain, accompagnent ces réfugiés doit-être loué : ils sont l’idée qu’on se fait de l’Europe.

Une froide sémantique accompagne souvent une glaciale idéologie : le souffle impassible du populisme pointe le bout de son nez. Invasion[1], nuée[2], canalisation qui explose[3] ; véritables homme-sauterelles envahissant  nos territoires. Les dix plaies ne seraient donc plus très loin…
Pour sortir de la déshumanisation, il faut sortir du discours politique. Le vocabulaire utilisé doit refléter la complexité du phénomène : le matraquage d’une rhétorique simpliste et péjorative alimente les peurs et les attitudes de rejet.

 

[1] « L’immigration est un problème fondamental (…).L’immigration n’est pas une chance, c’est un fardeau ! » Marine Le Pen, 06/09/15, en clôture de l’université d’été du Front National, à Marseille

[2] Interviewé par la chaîne ITV au Vietnam, où il est en visite officielle, David Cameron a déclaré que la situation à Calais était « très difficile parce qu’une nuée de migrants traverse la Méditerranée à la recherche d’une existence meilleure, et cherche à venir au Royaume-Uni parce qu’il y a du travail, que son économie est en pleine croissance et que c’est un endroit incroyable pour vivre ».

[3] « [Dans] une maison, il y a une canalisation qui explose, elle se déverse dans la cuisine » Nicolas Sarkozy à propos de la crise migratoire

 

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