L’année 2014 est marquée par les anniversaires : celui de la Grande Guerre, du débarquement en Normandie, de la chute du Mur de Berlin, mais un évènement semble pourtant être passé inaperçu. Le 20 juillet dernier, Chypre a fêté, si l’on peut dire, ses quarante ans de séparation. Celle-ci est matérialisée par la « ligne verte », la ligne de cessez-le-feu protégée par les casques bleus onusiens, entre la République de Chypre hellénophone, reconnue par la communauté internationale, et la République turque de Chypre du Nord (RTCN) qui a proclamé son indépendance en 1983, mais qui n’est reconnue que par Ankara. La Grande-Bretagne est aussi présente et maintient quatre bases militaires sur l’île qui accueillent de nombreux agents de renseignement et des stations d’écoutes pour espionner le Proche-Orient. Chypre demeure ainsi « la dernière capitale divisée d’Europe ».
Ancienne colonie britannique, Chypre obtient son indépendance en 1960. Le Royaume-Uni, la Turquie et la Grèce signent à cette occasion un « traité de garantie ». Ce traité les désigne comme garants de l’équilibre chypriote et les autorise à intervenir militairement si nécessaire. Malgré tout Chypre a gardé les traces de ses nombreuses conquêtes, et assurer un gouvernement représentatif de nombreuses minorités est un défi. Pour lutter contre ce rêve grec de l’Enosis – unification de Chypre à la Grèce – la Turquie lance en 1974 l’opération militaire Attila au nom de ce « traité de garantie » afin d’assurer la sécurité des Turcs sur l’île. En dépit de la dissolution de la Junte à Athènes en faveur du retour de la démocratie, la Turquie n’entend pas quitter l’île. Le 13 août 1974, Ankara rompt les pourparlers et lance une deuxième offensive, Attila II, qui lui permet d’occuper 38% du territoire. Les pires conséquences de l’offensive sont principalement humaines. Le conflit a fait près de 4000 morts et au moins autant de disparus. Suite à l’intervention militaire, l’île a fait l’objet d’échanges de population massifs entre la Grèce et la Turquie. Dès lors, deux entités « ethniques » se font face.
L’année 2004 représente un moment clé dans l’histoire de Chypre. Le plan de réunification proposé à l’époque par Kofi Annan, Secrétaire général des Nations Unies, a été rejeté par la communauté grecque qui ne se satisfait pas des conditions de dédommagement des pertes subies en 1974. L’échec de cette réunification a renforcé les nationalismes des deux bords et c’est donc divisée que Chypre entre dans l’Union européenne la même année.
D’un point de vue économique, la République de Chypre n’a pas été lourdement impactée après la guerre, elle a même connu un véritable « miracle économique ». Avec une politique fiscale généreuse, elle est devenue dans les années 1990 la plate-forme préférée des riches oligarques de l’ex-URSS. Néanmoins, la crise économique a rattrapé la République de Chypre. Dès 2011, la restructuration de la dette fait plonger le secteur bancaire qui avait massivement investi dans les bons du trésor grec. Tandis que le Sud de l’île est asphyxié par une crise financière, le Nord n’est pas mieux loti et vit toujours sous perfusion économique de la Turquie. De fait, la RTCN dépend étroitement des subventions de la Turquie et subit les conséquences sévères de sa non-reconnaissance par la communauté internationale. Cette non-reconnaissance est une « arme » classique utilisée par le Conseil de sécurité des Nations Unis. Ce dernier considère que la RTCN n’est pas un État au regard du droit international car non seulement le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes n’est pas respecté mais, parce qu’en outre elle est le fruit de violations de l’intégrité et de la souveraineté de la République chypriote.
En 2014, la donne pourrait changer. Le 11 février dernier, le président chypriote Nikos Anastasiades et le représentant de la République turque de Chypre du Nord Dervis Eroglu, sont parvenus à un accord sur la reprise des pourparlers de paix en vue de la réunification du pays. Cependant, aucune avancée concrète n’est à déclarer, notamment en ce qui concerne le retrait des troupes turques, le retour des réfugiés ou les droits de propriété. Mais de réelles considérations géopolitiques – Chypre pourrait constituer un point stratégique pour la sécurité en Méditerranée orientale – et des questions énergétiques avec la découverte de gisements de gaz naturel au large des cotes chypriotes jouent en faveur du règlement de ce conflit. De tels enjeux ne sont d’ailleurs pas négligés par les Américains ou les Européens qui soutiennent ce processus de résolution du conflit. Le professeur d’histoire et de sciences politiques Hubert Faustmann de l’Université de Nicosie s’est prononcé à ce sujet et estime qu’il s’agit de « la plus grande opportunité de paix depuis 2004 en raison du pétrole et du gaz ». La résolution du conflit et l’amélioration de la situation économique de l’île doivent passer par l’exploitation de ces ressources. Reste à savoir à présent quelle position adoptera le nouveau Président turc, Recep Tayyip Erdogan, sur la question : sera-t-il en faveur ou non d’une solution insulaire ?