Jean-Luc Sadourny : « Devenir sélectionneur de l’équipe de France, ce serait grandiose ».
Jean-Luc Sadourny est un ancien joueur de rugby professionnel. Celui qu’on appelle La Vieille a passé toute sa carrière à Colomiers, le club de son cœur. Sélectionné pour la première fois contre le Pays de Galles le 4 septembre 1991, Sadourny a finalement joué 71 fois avec les Bleus et a parfaitement succédé à Serge Blanco au poste d’arrière. Auteur de «l’essai du siècle» contre les Blacks le 3 juillet 1994, Sadour a participé aux Coupes du Monde 1991 et 1995, et faisait partie du groupe qui a réalisé les Grands Chelems de 1997 et de 1998. Mettant fin à sa carrière de joueur en 2004, il a enchaîné avec une carrière d’entraîneur. Après avoir passé quatre saisons à Colomiers, il a entraîné Blagnac puis Saint-Gaudens. Désormais, l’originaire de Toulouse se concentre sur sa carrière professionnelle, sans pour autant dire adieu au rugby.
Commençons par parler de votre carrière de rugbyman au cours de laquelle vous n’aurez finalement connu qu’un club, l’US Colomiers. Que retenez-vous de vos années là-bas ?
J’ai commencé à jouer au rugby avec Colomiers dès l’âge de cinq ans, en poussin. J’ai donc vraiment tout connu là-bas, et notamment plusieurs saisons merveilleuses en Championnat de France et en Coupe d’Europe. Les années 1998, 1999 et 2000 où nous avons atteint à chaque fois une finale restent comme mes meilleurs moments passés à Colomiers.
D’autres grands clubs, français ou étrangers, vous ont-ils contacté au cours de votre longue carrière ?
Il faut savoir qu’en rugby, même si le professionnalisme a changé pas mal de choses, il n’y a pas un marché des transferts comme en football, les joueurs ne changent pas de club tous les ans. Pour ma part, j’ai surtout été contacté entre 1997 et 1999, notamment par Perpignan et Castres en France, et par Richmond en Angleterre.
Vous êtes né à Toulouse, et pourtant, vous n’avez jamais joué là-bas. Pourquoi ?
Tout simplement car je n’ai pas été contacté par le club, contrairement à Stéphane Ougier. Et puis, je ne me voyais pas quitter Colomiers. Je m’entendais très bien avec Michel Bendichou, président à l’époque où j’ai eu des contacts avec des clubs. De plus, Colomiers devenait de plus en plus ambitieux. Je suis donc finalement resté et je pense avoir fait le bon choix. La preuve, nous sommes allés trois fois en finale en trois saisons.
Vous n’avez donc aucun regret, comme par exemple, celui de n’être jamais devenu champion de France, ni champion d’Europe ?
Non, comme je l’ai dit plus tôt, je ne me voyais pas quitter Colomiers. L’ambiance était très bonne, le groupe, le président et tout le staff très ambitieux. Il s’en est fallu de très peu pour que nous ne devenions champions de France. Il ne faut pas non plus oublier que nous avons remporté le Challenge Européen en 1998. Et puis, personne ne sait ce qui se serait passé si j’étais parti dans un autre club. Peut-être que je n’aurais gagné aucun titre.
Justement, revenons sur les finales de 1999 et de 2000 perdues respectivement contre Ulster et contre le Stade Français. Quel est votre sentiment sur ces deux défaites ?
Mes sentiments sont très différents sur ces deux finales perdues. La finale de la Coupe d’Europe 1999 contre Ulster était très particulière. Cette année-là, nous étions vraiment très forts et pourtant, nous avons pris une petite déculottée (21-6). Je ne sais pas si c’est l’ambiance (le match se déroulait en Irlande, ndlr), l’enjeu ou tout simplement un jour sans, mais quoi qu”il en soit, nous étions passés totalement à côté de ce match, incapables de renverser une situation très délicate dans laquelle nous nous étions mis tous seuls. En ce qui concerne la finale du Championnat de France 2000 perdue contre le Stade Français (28-23), je n’en garde pas un goût amer. Bien sûr, on joue une finale pour la gagner et on ne se souvient que du champion, mais je préfère retenir notre superbe parcours au cours duquel, grâce à une grande réussite et à un état d’esprit énorme, nous avions battu Bourgoin (20-18) en barrage avant d’éliminer Castres (15-29) et de réaliser un exploit en demi-finale à Pau (22-24). Fabuleux.
Vous avez été sélectionné à 71 reprises en équipe de France. Que retenez-vous de toutes ces années en Bleu ?
Je ne retiens que du positif de mes sélections en équipe de France. Bien sûr, les deux Grands Chelems de 1997 et 1998 font partie de mes meilleurs souvenirs en Bleu. Le tournoi est toujours un instant magique pour un joueur de rugby. Mais, étonnamment, si je devais ne retenir qu’un seul moment, je choisirais la Coupe du Monde 1995 et la demi-finale perdue contre l’Afrique du Sud (19-15). D’une part, il y avait eu trois préparations pour ce match à cause de la pluie qui rendait le terrain impraticable et, d’autre part, malgré l’immense déception de la défaite après un match qu’on aurait vraiment pu gagner, l’événement, le peuple derrière l’Afrique du Sud m’ont vraiment marqué. Je pense aussi que c’est l’année où l’équipe de France avait le meilleur groupe pour devenir championne du monde. Et puis, la victoire contre l’Angleterre lors de la petite finale, c’était la cerise sur le gâteau ! Je crois que l’on avait perdu nos six ou sept dernières confrontations contre les Anglais et cette victoire nous permettait en plus de finir troisième de la Coupe du Monde et d’être directement qualifiés pour celle de 1999.
Votre surnom de «successeur de Serge Blanco» a-t-il été difficile à porter ?
Non, je ne me suis même pas posé la question. Quand Serge a arrêté, j’avais tout à prouver à l’arrière. Je me suis remis en question après chaque match. Je n’ai jamais essayé d’être un second Serge Blanco, de l’imiter, j’ai toujours joué à ma façon, avec mes qualités et mes défauts. Je crois que cela a plutôt bien fonctionné.
Regrettez-vous de ne pas avoir été retenu dans le groupe pour la Coupe du Monde 1999 ?
Oui bien sûr, mais malheureusement, je n’y pouvais rien, ce n’est pas moi qui décidais. Il y a des moments difficiles dans une carrière de sportif, ce fut l’un des plus gros. Cela ne m’a pas empêché de soutenir les Bleus et notamment Hugo Mola et Xavier Garbajosa, les deux arrières retenus pour cette Coupe du Monde.
Vous avez pris votre retraite de rugbyman en 2004. Vous êtes ensuite devenu entraîneur. Rester dans le rugby était indispensable pour vous ?
J’ai effectivement pris ma retraite de joueur en 2004. J’ai grandi dans le rugby, c’est ma passion, et ça le sera toujours donc pour moi, devenir entraîneur était une suite logique. Je voulais rester dans un état d’esprit de solidarité, de convivialité et garder les valeurs qui font que j’aime tant ce sport.
Que retenez-vous de vos différentes expériences d’entraîneur ?
Après avoir pris ma retraite de joueur, j’ai eu l’opportunité d’entraîner Colomiers, mon club de toujours. Je n’ai pas hésité. J’ai passé de très bonnes années en Top 16 (devenu Top 14 en 2005, ndlr) mais également en Pro D2 et en Fédérale 1. Malheureusement, les aléas du poste font que, quand les résultats ne sont pas là, c’est l’entraîneur qui trinque. Je n’étais plus d’accord avec les idées de la direction. Un peu poussé vers la sortie, j’ai fini par démissionner. L’aventure à Blagnac a été très courte et pas forcément très enrichissante pour moi, contrairement à celle à Saint-Gaudens, qui venait de monter d’Honneur en Fédérale 3, et où j’ai passé de très bonnes années en compagnie de Jean-Marc Goranti. J’ai essayé d’apporter mon expérience de joueur, mais je n’ai pas pu rester plus longtemps à cause de mes activités professionnelles parallèles. Malgré tout, je suis toujours ce club de près et j’essaie parfois de leur donner quelques conseils. J’espère que Saint-Gaudens pourra se pérenniser en Fédérale 2, voire en Fédérale 1.
Que pensez-vous de l’évolution du rugby professionnel ? Toujours les mêmes clubs en haut de l’affiche, des clubs historiques (Bourgoin, Colomiers entre autres) en pro D2 ou en Fédérale…
L’évolution du rugby professionnel a fait que les clubs les plus riches se sont retrouvés, pour la plupart, en haut de l’affiche. Mais il n’y a pas que l’argent. Certains ont su prendre correctement les tournants de ce nouveau rugby, contrairement à Colomiers par exemple. Il faut aussi dire que le fait qu’il y ait eu plusieurs clubs dans la même région a été difficile à gérer, notamment pour Colomiers qui peut tout de même être un très bon club de Pro D2, voire pourquoi pas l’antichambre du Stade Toulousain.
Faut-il limiter le nombre d’étrangers dans chaque club pro en France pour continuer à sortir des jeunes des centres de formation ?
Oui, il faut limiter le nombre d’étrangers. En effet, sur certains postes stratégiques il n’y a plus que des étrangers et c’est l’équipe de France qui en pâtit. Il y a également de moins en moins de jeunes qui réussissent à sortir des centres de formation, mais le grand nombre d’étrangers n’est pas la seule raison à cela : à cause des enjeux très importants, les clubs ne laissent pas leurs jeunes joueurs apprendre le haut niveau. La victoire étant primordiale, ils ne sont que rarement lancés dans le grand bain.
Envisagez-vous de redevenir entraîneur de rugby, que ce soit en France ou à l’étranger ? Ou peut-être même sélectionneur du XV de France…
Ce qui est sûr, c’est que je ne peux pas dire que je n’y pense pas. J’adore entraîner et j’ai le rugby dans la peau. Aujourd’hui, je suis concentré sur mes projets et ma famille, mais je me remettrai peut-être sur le marché des entraîneurs. Et puis, devenir sélectionneur de l’équipe de France, ce serait grandiose, un accomplissement !
Quentin Moynet