Les rencontres annuelles du FMI et de la Banque Mondiale eurent lieu dans un contexte d’incertitude économique, certes, mais aussi politique et sociale. La crise économique est protéiforme : touchant à l’origine le marché du crédit immobilier américain (les fameux crédits subprimes ou monétisation des actifs par titrisation des crédits immobiliers), la crise s’est étendue de la sphère bancaire, financière aux sphères monétaire et réelle. A cet égard, les institutions internationales ont un rôle à jouer dans l’analyse et la résolution des problèmes économiques mondiaux. Via les financements aux pays développés et aux pays en développement, l’intervention des institutions dépassent le cadre national et tentent de tracer un chemin de retour à la croissance mondiale. Ainsi, plusieurs sujets furent débattus pendant ces rencontres, nous avons décidé de nous focaliser sur l’un d’entre eux, à savoir la stabilité financière.
La crise des dettes souveraines renvoie à la probabilité qu’un Etat ne puisse rembourser le montant de la dette contractée auprès des investisseurs étrangers. Etant donné le montant de la dette publique dans les pays de l’OCDE – en moyenne ; 100% du PIB-, le risque de défaut est sous-jacent aux débats, d’autant plus que des pays comme la Grèce sont incapables d’assurer le service de leur dette. D’un côté, la crise économique a poussé la majorité des Etats à proposer des plans de relance, censés éviter les erreurs des années 1930 ; cette relance a mobilisé les marchés de capitaux et accru le montant de la dette publique. De l’autre, les marchés sont désormais réticents à prêter à certains Etats de peur que la dette souveraine ne puisse être assumée. Les pays sont donc dans une impasse : la croissance économique ne permet pas de dégager suffisamment de ressources pour rembourser la dette et la peur du risque souverain créée des spreads d’intérêts, notamment en Europe, où ces derniers peuvent varier fortement entre les pays.
Ce débat est d’autant plus légitime que la crise des dettes souveraines dépasse le cadre strict de la gestion du budget étatique et des marchés financiers. Comme l’a souligné justement Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France, dans la zone euro, « il existe un lien particulier entre le marché des dettes souveraines et le système bancaire ; ce lien existe partout ». En effet, les banques de second rang achètent des obligations étatiques pour financer les investissements des Etats, et en temps de crise, il est admis que l’Etat intervienne pour assurer les banques en cas de crise de liquidité. Cette intervention est censée être coordonnée avec la banque centrale, bien entendu. La question porte donc tout autant sur les moyens de pallier à ces anticipations pessimistes que sur la régulation des marchés financiers.
Ainsi, comme le note Toshiro Mutoh, Président de l’Institut de Recherche Daiwa, « Les banques centrales ont comme mission fondamentale d’assister les marchés financiers qui sont devenus inopérants », Tout le monde semble s’accorder sur ce principe d’interventionnisme des banques centrales ; heureusement !
La politique discrétionnaire des autorités monétaires ne suffit évidemment pas ; il faut redonner confiance aux marchés financiers. Comment ? En approfondissant la consolidation fiscale, si défendue par Angela Merkel et François Hollande. Ce terme barbare renvoie à l’ensemble des mesures visant à réduire les déficits publics, ainsi que la dette. Comme le souligne Christine Lagarde, Directrice Générale du FMI, le rôle des autorités politiques est de redonner confiance aux investisseurs à moyen terme ; pour se faire, il faut réduire les dettes et déficits publics. A terme, il y a un risque non négligeable d’éviction de l’épargne pour rembourser les emprunts publics : ce qui est prêté aux Etats n’est plus disponible pour les investissements privés, à l’origine du processus de croissance économique. « La dette publique n’est pas soutenable à long terme », martèle ainsi Christine Lagarde !
Mais il semblerait que les critiques sur l’état des finances publiques ne sont que partielles.
En effet, Christian Noyer admet que la zone euro traverse desdifficultés structurelles. David Lipton, Directeur Général adjoint au FMI, n’a cesse de répéter que les ajustements fiscaux sont nécessaires pour la zone euro.
Cependant, il n’a pas tort car le service de la dette ampute les budgets nationaux ; le remboursement du capital ne se fera pas via une augmentation pure et simple des impôts, qui risquerait d’imputer négativement les activités productives. Les plans de consolidation fiscale doivent être un savant mélange entre baisse des dépenses publiques et réduction de certaines niches fiscales. Si les choses ne changent pas, les investisseurs resteront frileux : « Les marchés ne croient pas aux décisions politiques », déclare Laurence Fink, PDG de BlackRock.
La tension est palpable lorsque les discussions abordent le cas de la zone euro ; cette dernière cristallise les griefs qu’ont les investisseurs vis-à-vis du pouvoir politique, notamment incarnées par Laurence Fink.
Mais, les Etats-Unis ne sont pas mis au même rang d’accusation que la zone euro ! Janet Yellen, Vice-présidente de la Fed, est pourtant présente lors des débats. Alors que les chiffres américains sont nettement plus alarmants que ceux de lazone euro, cela ne semble pas suffisant pour attaquer directement les Etats-Unis sur l’état de leurs politiques de résorption des déséquilibres. Pour illustrer cet état de fait, appuyons-nous sur les chiffres : dans la zone euro, la moyenne des déficits publics atteint 6.2% du PIB et la dette publique, 87.4% du PIB ; aux Etats-Unis, même si le montant du déficit reste sensiblement le même (6.9% du PIB), le montant de la dette publique explose (107% du PIB).
Pourquoi les deux zones ne sont pas mises sur un même pied d’égalité ? La raison est sans doute à trouver dans la profondeur du marché des bons du Trésor américain, qui fournit en liquidités les marchés mondiaux de capitaux, sans égratigner la confiance en l’avenir des fondamentaux de l’économie américaine. Les choses sont en train de changer : certaines agences de notation menacent la notation des bons du Trésor américain et, le FMI met en garde le pays contre les effets de tels déséquilibres. Mais aux rencontres annuelles, il faut croire que seule la crise de la zone euro semble attirer l’attention. Ceci est sans doute lié en partie au manque de coopération et de synergie des pays européens quant à la résorption des problèmes fondamentaux d’une zone monétaire unifiée. Quand allons-nous comprendre que la crise est mondiale, et que le cas de la zone euro n’est qu’une manifestation des déséquilibres structurels de nos économies ? Pas cette année en tout cas, où cette asymétrie des reproches était un fait incontestable…et malheureux en termes de coopération internationale !