Le volontourisme : rencontre avec Go To Togo

Le volontourisme : rencontre avec Go To Togo

Cette interview porte autour du “volontourisme”, un nouveau concept où des “agences de voyage” allient “tourisme” et “séjour humanitaire” et donnent un côté lucratif au bénévolat humanitaire.

Votre asso, Go To Togo, elle est centrée autour de la mission originaire du voyage humanitaire, qui est le bénévolat. Je voulais vous demander votre opinion sur l’essor de ce business pour un article qui est publié dans le prochain numéro de La Plume.

                 ______________________________________________

LA PLUME : Pensez vous que l’on peut donner un côté lucratif au bénévolat, comme le font ces agences de volontourisme ? Ou au contraire, pensez vous que cela dénature la mission première du bénévolat ? Que pensez vous du fait de devoir payer pour faire du bénévolat, au delà du simple voyage dans le pays ? Pensez vous que ces pratiques commerciales nuisent même aux véritables actions ?

Paul, responsable relations Togo :
Tout d’abord, il me semble qu’il ne faut pas assimiler côté lucratif et volontourisme. A l’image des entreprises sociales et solidaires qui se développent actuellement, il n’est pas impossible d’avoir une finalité sociale et bienfaisante tout en possédant un caractère lucratif qui permet à la structure de subsister en rémunérant ses membres. Il ne faut donc pas mettre tous les acteurs dans le même sac, et il n’est pas impossible que certaines de ces structures aient à mon sens de bons fondements et une finalité positive.
Cependant les salaires dégagés doivent être des salaires de subsistance, et les projets de ces organismes doivent se former en fonction des besoins locaux, sinon nous tombons en effet dans le volontourisme. En tant que membres d’une association de solidarité internationale, vous pouvez facilement imaginer à quel point un tel concept et ses acteurs nous répugnent, dans la mesure où ils dénaturent toutes les valeurs que nous défendons, altruisme, solidarité, partage pour les vider de leur sens et s’en servir à des fins égoïstes.
Évidemment, l’idéal est l’associatif bénévole, au sein duquel la dimension de don est totale et se réalise de façon logique, dans son entièreté. C’est à dire nous !

 

LA PLUME : Question plus généraliste, Comment expliquez vous l’engouement pour les voyages humanitaires ces dernières années, quelles sont les motivations des membres de Go To Togo et des gens qui les rejoignent pour les missions d’été ?

Paul, responsable relations Togo : En effet, de plus en plus de personnes sont attirées par les voyages humanitaires, et les explications de cet engouement sont certainement nombreuses ! A titre personnel, étant parti au Togo l’été dernier, et au vu des conversations que j’ai pu avoir, cela paraît peut-être simplet mais il me semble que les gens cherchent, consciemment ou non, à donner du sens à leur vie.

Une formulation que j’aime utiliser, c’est «donner et recevoir de la beauté», se retrouver autour de valeurs communes, partager, apprendre de l’autre, et finalement construire quelque chose ensemble qui nous lie profondément.
De tels voyages, c’est finalement une ouverture sur le monde, enthousiasmante, et le ressenti, aussi bien instinctif que réfléchi de vivre avec du sens.

Claire, présidente : Je pense que plusieurs facteurs motivent cet engouement récent pour les voyages humanitaires. On ne peut pas nier que cet intérêt est pour certains motivé par la valorisation du profil « étudiant altruiste engagé » par les employeurs.
Mais ayant la chance de travailler pour Go To Togo, j’ai pu rencontrer des gens talentueux mais humbles, animés par l’envie de partager, par la curiosité, le dévouement. L’enseignement qui nous est fourni depuis notre petite enfance est une chance, il est riche et nous donne les moyens de construire notre futur. Et pourtant, il nous reste tellement à apprendre des autres. Travailler avec la Mission des Jeunes, partir au Togo, c’est simplement une volonté de donner et de recevoir, enseigner et apprendre. Cet échange devient une force, et c’est là que prend véritablement sens le terme de solidarité internationale.

 

LA PLUME : Une question plus précise sur vos actions : quelles sont les actions précises de GTT au Togo ? Je sais que vous donnez des cours et que vous participez à la construction lors des “chantiers”. Pouvez vous m’en dire un peu plus ?

Claire: Notre association n’est pas vraiment centrée autour des voyages de construction et de soutien scolaire. Nous organisons effectivement des voyages au Togo pour que les étudiants rencontrent notre partenaire local, la Mission des Jeunes, et surtout pour qu’ils découvrent l’aboutissement de notre projet de solidarité internationale. Nous reviendrons par la suite sur l’intérêt même de ces voyages. Le cœur même du travail des membres de GTT est le financement des infrastructures scolaires où les voyages sont ensuite organisés.

1. Choix du projet
Afin d’identifier au mieux les besoins locaux, ainsi que la façon la plus adaptée d’y répondre, Go To Togo travaille depuis 2001 avec la Mission des Jeunes, ONG de développement Togolaise. De par sa connaissance du Togo et de sa population, la MDJ est en mesure de répondre à des enjeux cruciaux dans les régions rurales du Togo, tels que l’éducation et la santé. Chacun des projets de construction portés par Go To Togo a été sélectionné par la MDJ, garantissant une contribution optimale au développement durable dans ces régions pauvres.

2. Financement
C’est ensuite au tour de l’association Go To Togo de financer en amont la construction d’infrastructures scolaires. Pour donner un exemple concret, le projet qui a été sélectionné cet été est la construction d’un collège à Atchanvé, village comptant actuellement 250 élèves scolarisés dans une école faite de paille. L’objectif est de récoler 30 000€ en deux ans pour construire 4 salles de classe, un bureau et une boutique qui permettra aux élèves d’avoir accès à des fournitures scolaires. La récolte des fonds se fait principalement par le pôle financement à travers des concours associatifs (Fondation EY, Mazars Challenge…) demandes de subvention, recherche de donateurs etc. Les membres se relaient également au magasin Nature & Découvertes de Beaugrenelle pour emballer les cadeaux des clients et communiquer autour de notre projet. Les dons récoltés à cette occasion permettent de financer environ la moitié du projet. Le reste des événements de Go To Togo (bar de février, journées africaines…) ont d’avantage vocation à faire parler de notre projet au sein de la fac, même si des revenus en sont tirés.

3. Réalisation

Un premier virement a déjà été effectué pour débuter la construction du collège. Il permet de financer la main d’œuvre, la conception et les matériaux nécessaires à la construction. Encore une fois, l’expertise de la Mission des Jeunes permet d’assurer la sécurité et la conformité des constructions, tout en faisant appel à des travailleurs Togolais. Pour chaque construction, la MDJ fournit un devis détaillé qui est validé par Go To Togo avant de lancer le projet.

4. Impact
Dans les régions rurales et pauvres du Togo, les taux de scolarisation sont en effet en décalage par rapport aux taux observés en ville (Taux net de fréquentation à l’école primaire de 2008 à 2012 dans le milieu urbain : 94.3 contre 86.2% dans l’ensemble des zones rurales – Unicef), et un professeur enseigne en moyenne à 41 élèves. Le manque de professeurs et le facteur d’éloignement jouent en la défaveur de la scolarisation des garçons et surtout des filles.
Grâce aux infrastructures construites par GTT et la MDJ, les élèves des villages bénéficient de meilleures conditions d’études et les effectifs par professeur sont réduits, ce qui engage d’avantage de parents à scolariser leurs enfants. En outre, les collèges construits sont rapidement reconnus par l’État Togolais, qui y envoie par la suite des professeurs et se charge des frais occasionnés, assurant la viabilité des établissements.
De manière générale, de tels projets ont des effets positifs sur l’ensemble de la communauté en soulageant la population d’une partie des efforts à fournir pour maintenir la stabilité des paillotes. C’est autour de telles initiatives que se développe le reste du village. A titre d’exemple, un village a été raccordé au réseau électrique pour permettre l’utilisation des ordinateurs offerts par l’Université Paris-Dauphine.
L’intérêt de nos projets réside en partie dans le fait que les frais à engager pour le développement des régions rurales sont généralement mis de coté au profit du développement des villes, et que la MDJ et Go To Togo permettent d’engager ces frais de «démarrage» qui seront ensuite assumés par l’Etat Togolais. La présence de la MDJ et l’action de l’État Togolais assurent la viabilité de nos projets d’un point de vue financier, technique et organisationnel.

LA PLUME : Et enfin, une question un peu “plus controversée”. Certains critiquent les voyages humanitaires, surtout étudiants, qui avancent que certains jeunes sont trop amateurs et s’improvisent par exemple professeur ou même encore médecin, parfois en se sentant “supérieur” aux médecins / professeurs locaux. Que pensez vous de ces remarques ? Pensez vous qu’elles sont justifiées ?

Claire: Je pense que ces remarques sont pertinentes concernant certains projets. Notre point de vue centré sur l’occident nous fait nous positionner comme les pays du « Nord » et présente notre mode de vie comme le produit unique du développement des sociétés. Ainsi les résultats de ce positionnement se font sentir lorsque des jeunes souhaitent prêter main forte là où le matériel médical, les médecins ou encore les professeurs se font rares. Il paraît ainsi normal d’aller vacciner des enfants, construire des bâtiments là bas, alors que ces étudiants ne seraient jamais autorisés à le faire en France. C’est malheureusement une réalité, les enfants des pays développés vont enrichir leur CV en allant pratiquer sur le « terrain de jeu » que représentent les pays où l’aide humanitaire est la bienvenue. Inutile de préciser que les effets de ces pratiques sont néfastes lorsque l’on parle d’apprentis médecins qui se placent aux cotés de médecins diplômés, de jeunes professeurs d’anglais qui se relaient pour des séjours de 3 semaines, sans aucune notion de pédagogie ou de programme fixe. Eux, en repartent la conscience tranquille, enrichis, « changés », tandis qu’il n’ont rien apporté au pays d’accueil.

Les jeunes étudiants ont des connaissances qui méritent d’être partagées, mais il faut toujours veiller à ce que cet échange soit à bénéfices réciproques. Il ne faut pas imposer un mode de développement que l’on croit préférable, mais au contraire s’ouvrir à ce que ces pays aux cultures et histoires différentes ont construit, pour les comprendre, les respecter, et leur apporter une aide adéquate, là où elle est requise.

Chaque été, Go To Togo organise 3 chantiers d’une quinzaine d’étudiants, leurs permettant de passer 3 semaines au coté de la MDJ, aider à la construction ou faire du soutien scolaire, et de visiter le Togo. Bien sur ces étudiants ne peuvent remplacer les ouvriers ou les enseignants, ils assistent les maçons, et donnent des cours de soutien scolaire aux enfants, favorisant l’échange culturel avec les enfants et les habitants. Un chantier dédié à la sensibilisation au enjeux environnementaux permet également de communiquer autour de modèles de développement durables qui ont fonctionné, pour améliorer la vie en communauté dans les villages. Le but de ces voyages étant de voir le projet de GTT et de la MDJ se concrétiser, d’échanger avec les habitants et de briser les clichés en découvrant le Togo au cotés de la population en ville comme dans les régions rurales.

Laisser un commentaire

Fermer le menu