Vous aimez tous les deux les bébés dauphins et la microéconomie ? C’est beau la magie de l’amour…. Enfin magie, pas tout à fait. Derrière tous les matchs et les swipes Tinder, se cache un algorithme bien mystérieux. Dans son livre L’amour sous algorithme (2017), Judith Duportail plonge dans les rouages de la firme au plus de 50 millions d’utilisateurs pour découvrir les travers de l’algorithme de Tinder. C’est vrai quoi : si la recette de coca est gardée secrète, elle est tout de même controlée par une autorité sanitaire. Alors pourquoi ne pourrait on pas avoir les mêmes exigences de qualité et de sécurité quand il s’agit de nos vies sentimentales ?
Elo score et retour à la cour de récré
Vous vous rappelez quand à l’école on faisait des classements des filles et garçons les plus beaux/belles de la classe ? Tinder c’est un peu pareil. L’application de rencontre met en place un Elo score, soit une note de désirabilité, basé sur le niveau de revenu, d’éducation, le succès sur l’application, «l’intelligence» supposée. Vous affichez une photo avec un chat ? Soyez certains que dans la minute, Tinder vous proposera 3 vétérinaires et une folle à chats. Si l’algorithme suggère certains profils et en écarte d’autre, il va plus loin en jouant sur le mythe de la « destinée ». Quand deux personnes tombent amoureuses, elles cherchent des points communs. Mais soyons clair : votre date est tout sauf le fruit du hasard. Tinder a déjà repéré vos passions communes grâce à vos photos ou likes sur Facebook et donc, optimisé les chances d’accroches. En bref, le serveur peut être configuré pour rendre un profil plus attirant aux yeux d’un utilisateur en signalant des coïncidences. Alors, vous croyez toujours au destin et au hasard de la proximité géographique ? Laissez moi vous achever : Tinder vous attribue une note « d’attractivité physique ». Oui oui, vous avez bien lu. L’objectif est plutôt clair : connecter les «désirables avec les désirables» et les « moches avec les moches ». Au final, l’Elo score est un savant calcul qui combine toutes ces données pour obtenir une note. Cette dernière est constamment réévaluée, dès que vous créez votre profil, en fonction de vos interactions avec les autres utilisateurs. Plus vous matchez et plus votre note remonte… mais ce n’est pas si simple. L’évolution de la note dépend également de celle des utilisateurs qui swipent à gauche ou à droite : si la personne contre vous à une cote basse et vous ignore, vous perdez des points. Si elle a une note haute et vous like, vous grimperez l’échelle de cette supposée méritocratie charnelle. Compétition quand tu nous tiens…
« Nous ne sommes pas si différents des poulpes »
Mais alors, d’où proviennent ces infos ? Comment Tinder sait que je préfère Muse à Jul ou Le seigneur des anneaux à Titanic ? La réponse tient en 802 pages. Ces 802 pages, ce sont celles des données personnelles conservées par Tinder pour étudier un profil. Heures et lieux de connexion, contenu des conversations, compte Facebook, lieu de travail, niveau d’éducation, photos Instagram, tout y est… enfin sauf votre note. Comme l’explique Judith Duportail : « Nous ne sommes pas si différents des poulpes. nous délivrons sans arrêt des infos à notre sujet, et nous sommes incapables de les voir ou de les comprendre …. au final, toute notre existence sera bouleversée, prédéterminée par toutes les données collectées sur nous ». Pourtant, un brevet de 27 pages sur l’algorithme de Tinder est disponible en libre accès sur google pattern. Mais entre langage informatique, informations cachées, et refus de Tinder de dévoiler quelles technologies sont utilisées dans l’algorithme, l’amour 2.0 apparaît comme une grande boite noire inaccessible. Enfin inaccessible, pas tout à fait. Le brevet de l’application nous en dit beaucoup sur l’état d’esprit de l’entreprise. Sous des allures de firme progressiste, se cache un modèle patriarcal.
Si Monica gagne moins que Ross : elle aura un malus
« le serveur peut être configuré pour pondérer différemment les différences et les similarités démographiques, selon le sexe de l’utilisateur ». Si vous aviez besoin de preuves, en voilà : cette phrase est écrite noir sur blanc dans le brevet de Tinder. Selon ce document, l’algorithme se laisse la possibilité de favoriser mise en relation d’hommes plus âgés, avec des femmes jeunes, moins riches, et moins diplômées. Un exemple : si Ross a un bon poste et gagne beaucoup d’argent, il aura un bonus au niveau de sa note de désirabilité. Au contraire, si Monica est dans la même situation, elle aura un malus. Le problème, c’est que cet algorithme reflète notre société. Dans son livre Dataclysm, Christian Rudder explique que, contrairement au sexe opposé, les hommes s’intéressent exclusivement aux femmes entre 21 et 24 ans. Comme le développe l’auteur, chaque jour qui passe, une femme perd de sa valeur sur le marché de l’amour. Le système décrit par le brevet est donc à sens unique, pensé par des hommes et pour des hommes. Une machine à reproduire les dogmes patriarcaux, méticuleusement assemblée par les développeurs. Normal, puisque ce sont eux qui paient le service Tinder Gold (aux États-Unis, le service compte 4 millions de clients en 2017). Contactée par Judith Duportail, l’entreprise assure que le système breveté n’est pas utilisé dans l’application et parle « d’interprétation fallacieuse ». Pourtant le 15 mars 2017, une semaine avant la sortie du livre, Tinder a annoncé avoir mis fin au fameux «score de désirabilité ». Le hasard fait bien les choses…
Salomé Ferraris, L3 LISS