Les jeunesses s’exposent sous les yeux du monde. De Brasilia à Istanbul défile une nouvelle génération au désir d’agir et de peser. Ces jeunes gens n’appartiennent à aucun mouvement et la manifestation se joue en dehors des syndicats et partis politiques. Ceci ne signifie pas la fin d’une hiérarchie pyramidale mais désormais, tout le monde peut donner un mot d’ordre. Le téléphone portable avant même l’ordinateur accroît leur visibilité et renforce les revendications. Les gouvernements se retrouvent donc face à de multiples groupes, sans leader et aux problématiques diverses, et de ce fait, formulent de vagues mesures et ne parviennent pas à intégrer dans leurs décisions l’ensemble de la population.
Photo Reuters
Nous, vieux pays européens, sommes admiratifs devant des Nations extrêmement actives sur le plan économique. Du « miracle brésilien » au renouveau turc, nous restons figés sur l’enrichissement de ces sociétés depuis une dizaine d’années.Au-delà des apparences, le miracle brésilien n’est pas tant un miracle. L’économie du Brésil repose sur des produits de base et des minerais. Le pays a su tirer profit de la globalisation et du commerce avec la Chine pour s’enrichir. Ainsi, la croissance est exogène et ne sera donc pas forte indéfiniment. D’autre part, l’insécurité, thème étouffé lors des discours politiques, reste un fléau. On dénombre encore trente mille morts violentes au Brésil et plus d’un million sur une trentaine d’années. Le pays aurait ainsi un des plus hauts de criminalité au monde. Certains experts osent même utiliser le terme de « guerre civile ».
La hausse du ticket de métro serait à l’origine des contestations, mais ce simple fait ne peut expliquer à lui seul cette mobilisation qui ne faiblit pas malgré les déclarations de la présidente Dilma Rousseff. De manière générale, l’inflation agace et l’organisation du mondial de football fait grincer les dents : la facture surpasse déjà un tiers du budget initial. Alors la question habituelle explose : fallait-il vraiment faire la coupe du monde ? Localement, les revendications diffèrent. Alors que les défilés se veulent pacifistes, de violents affrontements ont eu lieu à Rio laissant place à des scènes de chaos. Dans les rues de Sao Paulo, c’est bien l’augmentation du tarif des prestations publiques qui révolte. A Brazilia, siège des institutions fédérales, les enfants de Lula sont écœurés de la corruption installée dans tous les pouvoirs. Bloqués entre une classe populaire qui a pu avoir accès à de nouvelles mesures sociales – 17 millions de personnes ont changé de classe – et de très riches qui ont bénéficié à plein de la politique du gouvernement, les classes moyennes ne supportent plus l’absence de mobilité sociale. Ainsi, même si les manifestations ne concernent qu’une mince tranche de la population, elles sont néanmoins extrêmement symboliques.
En Turquie, le Premier Ministre trouve chaque jour un nouveau coupable : coalition européenne et internationale, complot financier ou même juif. Suite à l’interdiction de manifester place Taksim, « l’homme à l’arrêt » devient le nouveau mode d’expression des hommes (ndlr : #Duranadam sur Twitter). Alors ils restent, des heures, figés et muets, mais bien là. Erdogan lors de son dernier « contre-meeting » à Istanbul, entouré de partisans, a accusé la presse étrangère de déformer l’information et de donner une fausse image de la Turquie. Un pas avait pourtant été fait dans le sens des manifestants avec l’annonce d’un référendum sur la nouvelle organisation de la place Taksim. Mais le ton s’est depuis largement durci avec dans le collimateur du gouvernement les réseaux sociaux, considérés comme « la plus grande menace du pays ». Déjà, les médias turcs ont été mis sous le contrôle du pouvoir ces dernières années. Erdogan n’a donc pas compris qu’on ne peut empêcher la Turquie de vivre dans un monde qui est le sien. A l’image du Brésil, nous avons cru à cette nouvelle Turquie si éclatante. Mais encore une fois le taux de croissance était principalement externe et appuyé par l’aide du FMI. Avec une main d’œuvre importante et bon marché, le pays a juste su bénéficié de nombreux investissements étrangers.
Cette simultanéité des manifestations à travers le monde nous ferait presque croire à effet miroir, comme si ces jeunesses s’observaient entre elles. Pourtant, nous sommes encore loin d’une solidarité internationale. Chacun regarde ce qui se passe chez lui mais des similitudes apparaissent : ces jeunes dans les rues savent qu’on les regarde. Les médias étrangers leur procurent ce sentiment de sécurité qu’ils sont entendus quelque part. Mais une fois éloignés de cette exposition, la rue ne suffit plus et tout reste à construire.
Sarah D.
24 Juin 2013Intéressant mais entre Brasilia et Ankara … il y a justement Paris !! Que penser des manifestations hebdomadaires, voire journalières des jeunes contre la loi Taubira ? En France aussi, le peuple se soulève !! Et ces manifestations revêtent aussi bien le caractère de l’homme en «arrêt», via les veilleurs, que de celui en action !
La nouvelle génération française, au désir d’agir et de peser, existe bel et bien, elle aussi !
Daniel P.
24 Juin 2013@Sarah : Absolument ! Il est consternant qu’une fois de plus on ne s’intéresse avec bienveillance qu’aux mouvements de jeunesse qui s’éveillent ailleurs que chez nous. En France, c’est pourtant la même dynamique pré-révolutionnaire ou réactionnaire (affaire à suivre)
D’autre part, à parler de globalisation (ce qui n’existe pas, la mondialisation renforçant les identités locales et ne faisant pas apparaitre une culture globale) tu te mets à croire que le regard des médias étrangers est une lumière : mais ils s’en foutent. Ce que veulent ces manifestants c’est la liberté pour LEUR pays.
Camille G
24 Juin 2013«En France aussi, le peuple se soulève!!» Un petit groupe d’opposants réactionnaires et bornés, je n’appelle pas ça un «peuple». Comme on dit, il ne faut pas mélanger les torchons et les serviettes; les manifestations parisiennes n’ont rien à voir avec celles brésiliennes ou turques. Les jeunes brésiliens et turques on soif de droits, de plus d’égalité, de liberté, ils manifestent contre la corruption, souffrent de réels problèmes sociaux. Cette «nouvelle génération» dont tu parles, qui ne regroupe qu’une infime minorité des jeunes français, n’est non seulement pas représentative de la jeunesse française actuelle, mais au contraire lutte contre la liberté et l’égalité. Au Brésil, en Turquie, le jeune en action, c’est celui qui manifeste pacifiquement. Ici, c’est le skinhead qui bat à mort un militant, c’est l’homme qui vandalise des photos prises au service de la tolérance. Ces jeunes français, qui se «soulèvent», on juste peur, peur de l’autre, peur de la tolérance, peur de ce qui est différent.
J’imagine bien que mon commentaire ne te feras pas changer de position, après tout, chacun son opinion, mais j’espère que tu prendras quand même un peu de temps pour méditer sur la question…
Côme
24 Juin 2013Il faut quand même être taré pour comparer les bigots qui manifestent *contre* de nouveaux droits et les jeunesses qui se soulèvent *pour* de nouveaux droits.
Heureusement que l’article (au demeurant très bon et fort bien illustré) ne fait pas cet amalgame.
Arnaud
25 Juin 2013@Camille G: Je suis à peu près d’accord avec ce que tu dis, mais s’il te plait, ne prends pas Clément Méric comme martyr des peuples.
Les skinheads sont ce qu’ils sont, il n’y a quasiment pas de débats la dessus (le quasiment sert de mot diplomatique), mais Clément Méric était un millitant d’extrême gauche. Entre les deux extrêmes, il n’y a au final pas tant de différences que ça à faire. En tout cas, pas de là à faire de lui une icône.
Sinon, bravo pour l’article ! Voir la jeunesse se soulever a au moins le mérite de donner un regain d’optimisme en l’humanité, et ce, peu importe qu’on les soutienne dans leurs revendications ou pas.
Lionel P
25 Juin 2013Je suis complètement d’accord avec Camille G., les mouvements en France n’ont rien à voir et ne sont même pas représentatifs de «la rue». Comme le dit Côme, en France ce sont des gens (et en plus pas des «jeunes» mais surtout des familles) qui se permettent de donner leur opinion sur la privation de droits citoyens d’une minorité, ce qui est un scandale. Au Brésil, en Turquie, on RECLAME des libertés.
@ARNAUD : Il y a une IMMENSE différence entre l’extrême-gauche et l’extrême-droite justement, même s’ils se rejoignent sur la sortie du système. L’EG est inclusive, l’ED est exclusive.