La question de la surfréquentation des transports parisiens va au-delà des mauvaises conditions de voyage et des retards des usagers du réseau : à quelques mois des JO, les transports sont également au centre d’enjeux environnementaux qui semblent délaissés par les pouvoirs publics.
10 millions. C’est le nombre d’usagers empruntant le réseau de transports francilien chaque jour. Parmi eux, bien rares sont ceux qui ne se sont jamais dit, par un jour de grève ou d’intempéries, qu’il y a “trop de monde dans les transports !”. Sur le réseau RATP, il y aurait environ 10 malaises voyageurs chaque jour, le plus souvent à cause du manque d’espace dans les rames. Sur X, les usagers fustigent : “C’est honteux d’avoir autant de monde sur le RER A avec l’interruption de la @Ligne14_RATP ce week-end du coup gros bouchon où tout le monde se sert et se pousse à mort”. Chaque semaine ou presque, un problème vient bloquer une ligne importante pendant plusieurs heures. Un cercle vicieux se développe : il y a trop de monde donc des problèmes apparaissent et le trafic ralentit, ce qui entraîne une surpopulation encore plus importante dans les rames. D’où vient ce ressenti généralisé qu’il y a “trop de monde” ? La principale explication réside dans le fait que l’offre n’est toujours pas revenue à la normale depuis la crise du COVID-19 alors même que la demande a retrouvé des taux semblables à avant la pandémie. Même si la part de télétravail a considérablement augmenté, il est concentré sur les journées du lundi et du vendredi : les autres jours, on assiste donc à une surutilisation des rames. Le décalage entre l’offre et la demande entraîne des situations chaotiques, particulièrement sur des lignes en tension comme les lignes de métro 8, 6, 12 et 13 ou les RER B et D. D’après Ile-de-France Mobilités (IDFM), ces lignes étaient toutes en-dessous des 85% de régularité en novembre dernier. “Le soir c’est un enfer parce qu’elle arrive toutes les 10 minutes et qu’elle est toujours mais toujours bondée” se plaint une étudiante utilisant quotidiennement la ligne 8. En effet, cette dernière fait partie de ces lignes qui fonctionnent parfois à moins de 80% de ses effectifs et font face à de gros problèmes de surpopulation dans ses wagons. Mais quelle est donc la raison de ce sous-effectif ? Pour Laurent Probst, PDG d’IDFM, la réponse est claire : l’indisponibilité des conducteurs (absentéisme, maladies) est la première cause des trains supprimés. «La vérité, c’est que si la question du manque de conducteurs était réglée, nous serions à plus de 90% de régularité sur toutes les lignes de métro aujourd’hui en difficulté» a lancé Valérie Pécresse aux représentants de la RATP et de la SNCF à l’occasion des voeux 2024 d’IDFM. La présidente de région, déplorant un retour à la normale post-Covid qui se fait toujours attendre, juge la situation innacceptable à seulement six mois des JO: «D’ici mars, j’attends un service à 100%» a-t-elle défié.
Quid de nos voisins européens ?
Si la situation en région parisienne semble à première vue réellement problématique, il faut la remettre en perspective par rapport aux autres capitales européennes. Le cas de Paris est-il vraiment le pire ? Pour répondre à cette question, la rédaction s’est rendue à Londres et à Copenhague afin d’observer la situation sur d’autres réseaux de transports. A Londres, le Thameslink, équivalent du RER (mais au prix exorbitant !) affiche sur des écrans quels wagons des trains sont les plus remplis afin que les usagers se répartissent au mieux. Cela permet d’éviter des rames bondées entraînant des malaises voyageurs. Cependant, les rames du Tube sont désuètes et autant, voire plus, bondées qu’à Paris en heure de pointe. Il faut aussi souligner que les prix londoniens sont presque insoutenables : les ménages doivent débourser en moyenne 10% de leur budget rien que dans les transports. En comparaison, les franciliens ne s’en sortent pas si mal avec en moyenne 3% du budget destiné aux transports. A Copenhague, les 4 lignes de métro aux tickets très abordables pour les danois sont totalement automatisées et fonctionnent tous les jours 24h/24. En plus de wagons modernes et spacieux où il est presque impossible de ne pas trouver de place assise, le temps d’attente moyen sur les tronçons du centre-ville est de 3 minutes. Même si la faible population de la ville (600 000 habitants) facilite grandement les choses, les conditions de voyage dans les transports sont nettement supérieures à celles de Paris. Disons le clairement : il n’y a pas “trop de monde” !
L’automatisation, la solution ?
En constatant les bonnes performances des réseaux de transports modernes et souvent automatisés, on peut se demander si la solution à la congestion des trains franciliens ne serait pas finalement d’automatiser toutes les lignes. Les lignes 1 et 14, les seules lignes automatiques du métro parisien font également partie des rares lignes RATP à avoir atteint les objectifs de régularité contractés avec IDFM en 2023. Elles figurent aussi parmi les lignes les moins saturées et les plus résilientes aux problèmes du réseau. “La une elle est bien, elle est tout le temps là, il y a peu de problèmes, elle est propre” estime une utilisatrice occasionnelle de la ligne. Pour Laurent Probst, l’automatisation des métros “c’est l’avenir”. Le PDG se félicite de la récente automatisation totale de la ligne 4 et affirme réfléchir à déployer le même processus sur d’autres lignes en grande difficulté, notamment la ligne 13. En ce qui concerne les RER, des projets d’autonomisation sur certains tronçons sont envisagés à l’horizon 2033 pour les lignes B et D. Ce serait bien entendu le moyen le plus efficace pour pallier aux problèmes d’absentéisme et du manque de conducteurs, sans parler de la fin des problèmes lors des jours de grève.
Cependant, il ne faut pas oublier que l’automatisation des lignes déjà en service représente un budget immense (480 millions d’euros pour la ligne 4) et de longs travaux, les rénovations se faisant uniquement de nuit.
Un enjeu écologique majeur
D’après le groupe d’ONG Transports & Environnement (T&E), les transports dans les villes représentent 23% des émissions des gaz à effet de serre de l’Union Européenne. Alors que près de 75% des européens vivent en zone urbaine, plus de cent villes du vieux continent affichent un indice de pollution atmosphérique supérieur au seuil recommandé. Malgré la densité de son réseau de transports, Paris figure parmi le trio perdant au classement CleanCities des villes européennes en termes de saturation du trafic routier, tout juste devant Varsovie et Edimbourg. Il y a réellement une urgence à décongestionner la ville du transport routier en rendant les transports en commun plus accessibles, réguliers et fiables et en améliorant les conditions de trajet. Pour T&E, il ne fait aucun doute que les transports en commun urbains font partie intégrante de la transition écologique. Alors qu’à l’heure où est bouclé cet article, le gouvernement Attal ne comporte toujours pas de ministre des transports, l’enjeu ne semble pas pris au sérieux par les pouvoirs publics. Le sentiment se renforce lorsque l’on considère la dynamique de privatisation des transports urbains avec par exemple la fin des régimes spéciaux pour les conducteurs de trains.
Vraiment trop de monde ?
Avec la recherche d’alternatives aux véhicules polluants, les déplacements avenirs se feront de plus en plus à pied, à vélo et en transports en commun. Malgré le chaos dans les rames, la situation environnementale actuelle nous amène à penser qu’il n’y a pas trop de monde dans les transports, il n’y en a au contraire pas assez. Si Paris veut relever un des plus grands enjeux environnementaux, il faudra considérablement élever l’offre et la qualité des services. A terme, il faudrait que tout le monde utilise le métro, le RER, le transilien et le bus sans pour autant qu’il y ait “trop de monde” dans les transports.
La Plume