La visite d’Etat du Président français en Algérie, du 20 au 23 Décembre, à l’occasion des cinquante ans de l’indépendance, a remis la grande absente des révolutions arabes à la Une des médias français.
Comment expliquer qu’un tel peuple, connu pour son esprit révolutionnaire, n’ait pas fait parler de lui pendant le printemps arabe ? L’influence de la Tunisie et de la Lybie aux frontières n’y a rien fait. Le peuple algérien, malgré des manifestations de violence réprimées dans certaines régions côtières, n’a pas fait peser de réelle menace sur le gouvernement. Et pourtant il est de notoriété publique que l’Etat algérien est une kléptocratie aux mains d’un groupe de vieux militaires se cachant derrière la figure d’Abdelaziz Bouteflika, ancien activiste du FLN qui s’est fait connaître lors de la guerre d’indépendance.
Lorsque l’on va en Algérie, le plus frappant est la misère et la saleté des rues et des bâtiments qui tombent en ruine. L’urbanisme sauvage a saccagé le paysage : des multitudes de bâtiments en construction et qui ne seront sûrement jamais finis, s’étendent à perte de vue et occupent les flancs des montagnes. Je suis allée la dernière semaine de décembre à Draa-ben-Khedda en Grande Kabylie. J’y retourne tous les deux ans pour voir la partie de ma famille qui est restée au « bled ».
A première vue, la ville m’a semblé plus pauvre que la dernière fois. Les routes sont en mauvais état, des moutons broutent des poubelles entre deux immeubles en décrépitude, des voitures tiennent la route par on ne sait quel miracle.
Je me suis alors demandé comme n’importe qui l’aurait fait : comment se fait-il qu’un pays qui possède autant de ressources pétrolières et en hydrocarbures soit dans un tel état ? L’Etat semble totalement absent de la vie publique. Sa présence apparaît seulement sur les routes lors des nombreux barrages routiers mis en place pour lutter contre le terrorisme qui sévit encore dans la région, les groupuscules islamistes s’étant réfugiés dans le maquis kabyle.
Mais lorsque l’on observe plus attentivement la ville, il apparaît que certains immeubles ont été construit récemment, qu’en moyenne les voitures ont l’air fraichement achetées (et de marque française), que les paraboles fleurissent aux balcons des appartements et même sur les toits des bidonvilles qui entourent la ville. Après avoir posé des questions sur ces nouveaux chantiers, on m’a répondu qu’ils étaient entièrement faits à l’initiative des habitants qui, après avoir obtenu des prêts à faible taux d’intérêt par les banques, ont mis en commun leurs budgets pour permettre de financer la construction de ces immeubles. C’est un trait essentiel des communautés algériennes : la solidarité à toutes épreuves. Malgré les impôts monstrueux qu’ils doivent payer chaque année, les Algériens se retroussent les manches pour créer leurs propres entreprises, se former sur le tas, construire leurs propres maisons et les laisser incomplètes pour que leurs enfants et petits-enfants les agrandissent à leur tour. Le sens de la famille y est aussi extrêmement développé. Avec la difficulté croissante de vivre correctement dans les villes, des familles retournent vivre dans les montagnes et construisent des petits hameaux familiaux où ils exploitent la terre par la culture de vergers, d’oliviers et de bétail. Là-bas il y a toujours un cousin ou un oncle pour faire le taxi jusqu’à la ville et amener les enfants à l’école.
Les politiques interventionnistes qui avaient succédé à l’indépendance dans les années 1960 et 1970 ont totalement disparu. Aujourd’hui, les prix des logements sont extrêmement élevés, ainsi les familles s’entassent à dix ou quinze dans des espaces réduits. Les jeunes diplômés ne trouvent pas de travail correspondant à leur niveau d’étude. Leurs seules alternatives sont de partir en Europe ou de se satisfaire d’un emploi moins bien payé.
Mais pourquoi est-ce aux citoyens de prendre toutes ces initiatives ? Pourquoi les Algériens, dans la vague du Printemps arabe, n’ont-ils pas fait leur révolution pour écarter du pouvoir des dirigeants qui leur volent leur argent et les exploitent ?
La réponse à cette question est inscrite dans le paysage et dans la mémoire des Algériens où la guerre civile (1991-2002) est ancrée pour longtemps. « Nous ne voulons plus de bain de sang. Ce n’est pas la solution. » m’a-t-on dit, « Notre révolution nous l’avons faite il y a vingt ans déjà ! »