Industrie de la mode et féminisme : liaisons dangereuses  

Industrie de la mode et féminisme : liaisons dangereuses  

Ces 30 % de réduction sur ce maillot de bain pour la journée de la femme le 8 mars, on les a tous vu passer. À une époque où les marques utilisent des arguments féministes comme moyen de communication, quelle est la place de la mode dans le combat pour le droit des femmes ?

« Girl Power », « Girl can do anything ». Des messages qui fleurissent sur nos t-shirts et sur les podiums de la fashion week 2022. Et après les défilés, les réactions ne tardent pas. Peut-on vraiment mettre le blazer et les droits de la femme sur la même échelle ? Selon Léa Lejeune, présidente de l’association Prenons la Une, ces slogans n’ont rien d’engagé. Il s’agit d’arguments marketings pour vendre. Avec le « féminisme washing », les marques passent un coup de combat militant sur leur communication. L’équivalent du greenwashing, version rose. 

Salaire de 83 euros pour un t-shirt “Girl can do anything” 

Une tendance publicitaire qui ne date pas d’hier. En 1968, les cigarettes Virginia Slims déclaraient que les « femmes sont biologiquement supérieures aux hommes ». De nos jours, Chanel fut l’une des premières marques de mode à reprendre la tendance via une fausse ­manifestation-défilé avec des panneaux « History is her story ». Aujourd’hui, toutes les marques ont sauté sur le filon. Le label It’s Me and You est de plus en plus sollicité pour créer du contenu qui « donne du pouvoir aux femmes ». Des serviettes hygiéniques à la maison de luxe Coach. 

Mais toutes ces entreprises sont loin d’œuvrer pour la cause des femmes. Selon l’auteure : « sur 371 patrons de marques comptabilisés par la dernière étude du site Business of Fashion lors de quatre fashions week printemps-été 2017, seuls 40,2 % étaient des femmes. » Et c’est pire lorsqu’on s’intéresse aux conditions de travail. 80 % des ouvriers textiles dans le monde sont des ouvrières qui gagnent… 83 euros par mois au Bangladesh ou 145 euros au Cambodge selon Le Monde.

Plus encore, la mode a souvent imposé des diktats aux femmes. Objectification, hypersexualisation… L’industrie est accusée d’imposer des normes patriarcales supposées représenter ce qui attise le désir masculin. Et ça, depuis le corset, qui limitait la liberté de mouvement, en passant par la loi qui a interdit aux femmes de porter des pantalons. Une loi en vigueur jusqu’en 2013. 

Difficile d’ignorer toutes ces contradictions économiques, voire politiques. Alors comment aimer la mode sans ignorer American Apparel, qui sponsorise des événements féministes, et ses pubs hyper sexistes ?

Zendaya, féminicides et mini jupe

Si certaines marques ne font que surfer sur la tendance, Valerie Steelle, historienne de la mode, rappelle les liens ténus entre contexte politique et mode. « On a toute une génération qui parle de Zendaya et de la série Euphoria, des inégalités salariales et des féminicides. Soudain, on se rend compte que la situation des femmes dans le monde a régressé. Et le féminisme, longtemps relégué au second plan, revient finalement sur le devant de la scène. La mode est un reflet de cette situation. »

Comment oublier la couleur blanche des suffragettes ? Le rôle de Coco Chanel, qui a permis aux femmes de porter des pantalons ? Quid de Mary Quant et sa mini jupe dans les années 60 pour « permettre aux femmes de courir après un bus » ? La mode a pu permettre aux femmes de s’émanciper. De revendiquer une forme d’expression pour elle, et non pour plaire aux hommes. 

Donne de la visibilité 

Pour Maroussia Rebecq, fondatrice d’Andrea Crew, «  Que les grosses corporations soient sincèrement féministes, cela n’a pas vraiment d’importance. Ce qui compte, c’est qu’elles provoquent un résultat tangible : des femmes acceptent le terme “féministe”, longtemps tabou, partagent du ­contenu engagé, manifestent, s’expriment. »

La mode permet donc de donner de la visibilité au mouvement féministe. Il s’agit d’un support comme un autre. Au même titre qu’un discours ou qu’une publication Insta. Pour le mannequin Adwoa Aboah : « la mode a une force de frappe énorme et un potentiel de communication mondial. Il faut se servir de cette visibilité pour servir des causes urgentes, comme le combat féministe. »

Alors certes, la mode est une industrie. Le féminisme, un mouvement. Mais difficile de nier le lien entre les deux. Selon Valerie Steele, « boycotter la mode sous prétexte qu’elle est contraire au féminisme est une aberration. » l’une des clés du mouvement est l’idée que les femmes doivent réaliser leurs propres choix. Si il n’y a aucun souci à aimer le cinéma, malgré toutes ses dérives, alors pourquoi pas la mode ? 

By La Plume, Dauphine

 


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