Aux armes, citoyens

Contribution libre de Morris Habouba

20 juillet 2012, avant-première du dernier Batman dans un cinéma d’Aurora, banlieue de Denver, Colorado. En plein milieu de la projection, un jeune déséquilibré se lève et tue 12 personnes, en blessant 58 autres. Ces dernières années, de tels drames sont devenus monnaie courante au pays de l’Oncle Sam, et pas un mois ne se passe sans que l’on entende parler d’une sordide tuerie, venant s’ajouter à toutes les précédentes. Et la liste est longue : Colombine en avril 1999, Virginia Tech en 2007, Fort Hood en 2009 pour ne citer qu’elles… On ne compte plus les dizaines, les centaines de tués chaque année par des détraqués semant la mort dans des lieux publics.

Cependant, l’horreur a franchi un nouveau palier le 14 décembre dernier, lorsqu’un jeune homme s’est introduit dans une école primaire de la ville de Newtown et a ouvert le feu, tuant 20 enfants et 6 adultes, avant d’être lui-même abattu. Devant un tel déferlement de haine, on a assisté aux mécanismes tristement habituels pour des drames pareils : le choc d’abord, puis l’incompréhension et la colère. Comment est-il possible, comment est-ce humainement imaginable, qu’un fou se procure des armes et s’en aille tuer des enfants, librement, comme si de rien n’était ? Au milieu de l’émotion et des quelques larmes échappées par Barack Obama devant les télévisions du monde entier, c’est donc un sempiternel débat qui s’est rouvert aux Etats-Unis : la régulation des armes à feu.

Et en matières d’armes à feu, l’actuel gouvernement a trouvé un interlocuteur de choix avec la très puissante NRA (National Rifle Association), lobby regroupant 4,3 millions d’adhérents, dont certains illustres comme Ulysse Grant ou bien encore George Bush père et fils), qui défend les intérêts du marché des armes à feu. Marché très profitable par ailleurs, puisque les ventes sont passées de 8 millions d’unité en 2002, à 16 millions de pistolets et autres armes légères vendues en 2011, générant 7 milliards de dollars de chiffre d’affaire chaque année. Dans cette optique, la NRA, à travers son influence très largement républicaine, s’évertue à couler chaque initiative du gouvernement en matière de régulation, se réfugiant derrière le Second Amendement de la Constitution des Etats-Unis de 1791 qui exprime l’idée selon laquelle « Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, le droit qu’a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé ».

Mais depuis quelques temps, cet argument ne suffit plus, et le lobby a donc développé une grande politique de communication, en combattant le feu par le feu à travers une logique imparable. Traduction : la solution aux tueries et aux problèmes d’armes est d’introduire encore plus d’armes à feu. « La seule chose qui peut arrêter un « bad guy » avec un arme, c’est un « good guy » avec une arme nous résume si bien le porte-parole de la NRA. Croyez-le ou non : ça marche ! Avec cette argumentation, la NRA a remporté plusieurs victoires significatives devant les tribunaux, la plus importante étant la décision de 2008 de la Cour suprême déniant à la ville de Washington le droit d’interdire les armes de poing sur son territoire.

Ainsi, après la tuerie de Newtown la machine s’est remise en marche : après avoir laissé passer l’orage à travers un silence radio total, la NRA a exprimé son chagrin, en rejetant immédiatement la faute sur le manque d’armes dans les lieux publics, et plus particulièrement les écoles et les universités. Dans cette lignée, le ministre de la justice de l’Arizona, propose de fournir des armes et de former les directeurs d’école qui le souhaitent, deux semaines après la tragédie de Newtown. Plus de 200 universités à travers le pays autorisent déjà le port d’arme dans leur enceinte par un personnel habilité, chose interdite dans encore 21 Etats. Et le lobby ne s’arrête pas en si bon chemin, il va jusqu’à faire marcher le monde à l’envers. En effet, ces derniers jours une pétition circulait pour demander l’expulsion d’un journaliste britannique de CNN qui avait traité de « stupide » un dirigeant de la NRA qui présentait ces arguments lors de son émission.

Il semblerait donc que le futur des Etats-Unis passe par une course à l’armement d’un nouveau genre. Dans cette logique pourquoi ne pas armer des directeurs d’écoles, puis des professeurs, et enfin des écoliers ! La vente de cartables pare-balles s’est envolée depuis quelques jours, tout comme les ventes d’armes. En trois jours ont été vendus autant de chargeurs qu’en trois ans et demi, venant s’ajouter aux 310 millions d’armes actuellement en circulation dans le pays. Seulement quelques jours après la fusillade de Newtown, le 24 décembre, un homme a mis le feu à sa maison à Webster afin de tendre un piège aux pompiers et de pouvoir leur tirer dessus durant leur intervention. Bilan : deux morts et deux blessés. La NRA pourrait bientôt avoir l’idée d’armer les pompiers. Supputation risible mais malheureusement pas irréaliste quand on écoute la rhétorique absurde de l’organisation.

Cependant, tout espoir n’est pas perdu, et depuis quelques jours s’est levé le vent du changement, avec plusieurs nouvelles de bon augure. Tout d’abord, l’opinion publique américaine est enfin devenue majoritaire sur la question de la restriction des armes à feu en circulation. Une accumulation de drames aura été nécessaire mais nous y sommes. De plus, la criminalité est en baisse aux Etats-Unis. Rien qu’à New York, le nombre de meurtres est tombé en 2012 à son plus bas niveau depuis 50 ans . Il a même été constaté que pour la première fois dans l’histoire de la Grande Pomme, une journée entière s’est écoulée sans le moindre meurtre ; fait assez étonnant pour être remarqué dans cette mégapole de plus de 8 millions d’habitants. Les New Yorkais peuvent dire merci à Rudi Giuliani, leur maire pendant les années 1990, qui a réussi à inverser la tendance par des mesures drastiques de tolérance zéro face aux fusillades, meurtres et autres récidives.

Le contexte parait donc enfin favorable à la mise en place d’une législation, et il incombe à Barack Obama d’en avoir la lourde tâche. Le président des Etats-Unis s’est engagé à présenter un projet de loi au Congrès le plus rapidement possible, mais c’est maintenant à chaque citoyen de veiller à ce qu’une fois l’émotion passée, ce débat ne tombe pas aux oubliettes comme à chaque fois. Il est temps que les citoyens américains expriment leur mécontentement général avec leurs propres armes, inoffensives celles-là : le droit de vote et  la liberté d’expression. Il s’agira alors d’exercer une pression sur le gouvernement, sur le Président, mais aussi sur la NRA et les républicains afin de les pousser à enfin prendre les mesures adéquates. Quelles mesures me direz-vous ? L’ONU a dégagé plusieurs solutions au problème de la prolifération des armes à feu dites « légères » dans le monde. Certaines peuvent être adaptées au contexte états-unien, en dépit de l’argument du « Second Amendement ». Il serait alors possible de réduire les stocks d’armes existants, de réguler la création de nouvelles armes, de réduire leur fourniture ou bien encore de légiférer sur les transferts d’armes illicites. Aux Etats-Unis, il existe en effet un vide juridique sur ces derniers, puisqu’il est possible d’acheter des armes dans les foires et marchés itinérants sans aucune restriction, et sans aucune information préalable exigée (l’existence d’un casier judiciaire ou de troubles psychologiques par exemple).

Ainsi, des solutions existent, et la motivation est bien là elle aussi. Il semblerait que les conditions soient donc réunies pour que l’on assiste enfin à un changement crucial de la vie politique et sociale américaine. Mais attention à l’excès de confiance ;  trop souvent, après chaque fusillade meurtrière, l’espoir renait, et l’on se remet à rêver d’une Amérique enfin grandie par la régulation des armes à feu, par un gouvernement qui prendrait le problème à bras-le-corps. Et trop souvent la déception est au rendez-vous. Il s’agit alors de la responsabilité de chaque citoyen de veiller à ce que cela ne se répète pas une fois de plus, de veiller à ce que de l’émotion naisse des promesses, et que ces promesses mènent à l’action. Les citoyens américains ont toutes les cartes en mains, le temps est venu pour eux de nous montrer qu’ils sont un grand peuple et une grande nation, en se battant avec les armes de la démocratie plutôt qu’avec les armes à feu.

Pour conclure, on pourrait citer les sages paroles d’Ernest Hemingway : « Aucune arme n’a jamais réglé un problème moral. Elle peut imposer une solution, mais elle ne peut garantir qu’elle soit juste ». A bon entendeur…

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