Gare aux voleurs d’ADN ! 

Gare aux voleurs d’ADN ! 

Avril 2018, Californie. Joseph James DeAngelo, ancien policier retraité, divorcé et père de trois enfants, est arrêté à son domicile à l’âge de 72 ans. Recherché depuis quarante ans pour une dizaine de meurtres et près de cinquante viols, le «Golden State Killer» aurait pu ne jamais être retrouvé. Toutefois, la brillante idée d’un de ses cousins éloignés de procéder à un test ADN généalogique auprès de GEDmatch, un site qui s’apparente à une base de données génomiques, va permettre aux enquêteurs de retrouver sa trace. Tout est bien qui finit bien, me diriez-vous ? Et bien, pas tout à fait. Car si cette histoire a un dénouement heureux, le procédé d’utilisation de l’ADN n’est pas sans risque. La police a pu en effet y avoir accès sans prévenir ni GEDmatch ni les clients qui ont envoyé des échantillons de leur salive. A l’heure où la recherche ADN constitue une activité ludique et commerciale, qu’en est-il des mesures de protection de notre information génétique ? 

Un succès fou aux États-Unis

Step 1 : cracher dans un tube. Step 2 : l’envoyer par voie postale. Step 3 : attendre quelques semaines. Recevoir un descriptif détaillé de nos origines ethniques n’a jamais été aussi simple. Êtes-vous à 8% européen de l’Ouest ? Issu à 5% de la péninsule ibérique ? 5% asiatique ? Êtes-vous prédisposé à certaines maladies génétiques ? Ancestry DNA, MyHeritage DNA, 23andMe, Futura Genetics… autant de sociétés spécialisées dans le traitement des échantillons d’ADN qui sauront répondre à vos questions. Le tout pour souvent moins d’une centaine de dollars. De quoi faire rêver les plus curieux ? Yes indeed! Un sondage effectué en 2019 par la MIT Tech Review nous apprend que plus de 26 millions de personnes ont déjà eu recours à ces entreprises pour faire séquencer leur génome. Tellement à la mode que les Américains s’offrent des kits de tests ADN en guise de cadeaux. Dès 2018, AncestryDNA a écoulé 1,5 millions de kits en un week-end aux États-Unis à l’occasion du Black Friday. Ces produits font partie des best-sellers récurrents du géant de l’e-commerce Amazon. Un succès qui ne cesse de progresser de manière fulgurante. En décembre 2021, en pleine période de Noël, le New York Times publie un article classant les trois meilleurs kits de tests génétiques sur le marché, études et interviews à l’appui. De quoi ravir les acheteurs de cadeaux de dernière minute, rois de la procrastination souvent en manque d’idées.

Une pratique encore interdite en France

Attention toutefois. En France, il n’est pas possible d’avoir recours à ce type de services. L’article 226-28-1 du code pénal punit d’une amende de 3750 euros l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne en dehors des conditions prévues par la loi. Les tests dits «récréatifs», comme ceux que proposent les entreprises américaines, en sont exclus. Un examen génétique ne peut être réalisé en France qu’à la demande d’un médecin, autrement dit à des fins thérapeutiques, ou à la demande de la police ou d’un juge dans le cadre d’une recherche en paternité. L’article 16-10 du code civil rappelle que l’examen des caractéristiques génétiques constitutionnelles d’une personne ne peut être entrepris qu’à des fins médicales ou de recherche scientifique. Il précise aussi les conditions dans lesquelles un tel examen peut être réalisé. Il est subordonné au consentement exprès de la personne.

Enfin, dans le cadre de la loi bioéthique promulguée le 2 août 2021, différents amendements demandant l’autorisation et l’encadrement des tests de généalogie en France sont présentés. Olivier Henno, rapporteur de la commission de bioéthique au Sénat, souhaite modifier l’article 10 de la loi. Le sénateur prône un encadrement de la pratique plutôt que son interdiction. Selon lui, c’est une pratique courante même en France. Il rapporte que 150 000 français ont effectué un test de généalogie génétique auprès de laboratoires étrangers en 2019, et plus d’un million au total. 

Cependant, tous les amendements ont été rejetés. Les tests ADN à visée généalogique restent donc interdits en France. Et la réglementation européenne protège toujours les données génétiques. En effet, notre ADN est protégé à l’échelle européenne grâce au Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) d’avril 2016. Les données génétiques sont classées comme des données sensibles, dont le traitement est interdit, sauf exceptions. 

Quid de la régulation de l’information génétique aux États-Unis ?

Transatlantique, les tests génétiques grand public sont commercialisés depuis 2013. Mais aucune loi ne réglemente leur utilisation, si ce n’est la Genetic Information Nondiscrimination Act (loi GINA) passée en mai 2008. Ses défauts? Trop générale et pas forcément appropriée aux tests généalogiques «maisons». Elle a pour objectif d’interdire aux agences d’assurance maladie d’avoir accès aux informations génétiques pour accorder ou non une couverture médicale. Dans la même optique, les employeurs n’ont pas le droit de se baser sur ces mêmes informations pour embaucher ou promouvoir leurs employés. À plus grande échelle toutefois, les examens génétiques réalisés par les médecins et scientifiques font l’objet d’un contrôle au niveau fédéral. Il repose sur trois textes, qui commencent à dater un peu… On peut citer la Federal Food, Drug and Cosmetic Act remontant jusqu’à 1938, la Clinical Laboratory Improvement Amendments (CLIA) de 1988, et enfin les règles issues de la Protection of Human Subjects de 1991.

Malheureusement, ces sources ne suffisent pas pour un encadrement optimal des fameux kits de tests génétiques. Les laboratoires qui utilisent des tests «maisons» ne sont actuellement soumis qu’à une surveillance minimale de la CLIA. Cette loi n’autorise pas les services de santé à évaluer la précision avec laquelle les tests doivent prédire un résultat clinique. La décision d’offrir un nouveau test génétique relève des directeurs de laboratoire clinique. Et c’est au fournisseur de déterminer si un test est jugé performant et commercialisable, sans besoin de justifications précises et contrôlables. Trou noir pour la Food and Drug Administration (FDA) également. Elle réglemente habituellement la plupart des produits médicaux. Mais on ne sait pas vraiment si elle est compétente en matière de tests généalogiques ludiques. Pour ne rien faciliter, l’agence a adopté à plusieurs reprises des positions différentes à leur propos. Peut-être pour se dédouaner des éventuelles complications à venir…

La protection des données génétiques, véritable casse-tête nord-américain

Surtout que, des complications, il y en a déjà. 300 millions de dollars, c’est le montant de l’accord conclu en 2018 entre la base de données 23andMe et le géant pharmaceutique GlaxoSmithKline pour que ce dernier ait un accès illimité aux données génétiques. Pourquoi un tel partenariat ? La collaboration de quatre ans - qui devrait donc prendre fin cette année - a pour objectif de créer un anticorps contre le cancer. Si les recherches basées sur l’ADN sont monnaie courante pour faire avancer la science, jamais une société de tests génétiques s’adressant directement aux consommateurs n’avait été sollicitée par le passé. Mais si la majorité des quelque cinq millions de clients de l’entreprise ont accepté de participer à la recherche, ce n’est pas le cas de tous. L’entreprise 23andMe ayant été créée en 2006, une large partie de la clientèle n’a pas donné son accord pour une utilisation a posteriori des données collectées au profit d’un géant pharmaceutique. Ainsi, le rapprochement des deux entreprises suscite beaucoup d’inquiétude au sujet de la protection de la vie privée des clients.

La protection de la vie privée est un sujet qui a généré de nombreuses réactions au Canada. Toujours en 2018, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) établit la nationalité des migrants en collectant leur ADN, qu’ils analysent ensuite via des sites web d’ascendance. En parallèle, se pose la question épineuse des discriminations et atteintes à la vie privée des migrants. Les autorités canadiennes ont même tenté d’expulser un migrant qui se disait originaire du Liberia au vu des résultats de ses tests ADN qui le situaient plutôt au Nigéria. Plus de 30 000 ont traversé la frontière entre les États-Unis et le Canada depuis 2017. L’absence de réglementation peut donc étonner. Connaître ses racines n’est décidément pas sans risques…

By La Plume, Dauphine

 

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