« Je crois profondément au modèle de Dauphine » : Rencontre avec M. El Mouhoub Mouhoud, Président de Dauphine

« Je crois profondément au modèle de Dauphine » : Rencontre avec M. El Mouhoub Mouhoud, Président de Dauphine

M. El Mouhoub Mouhoud, Professeur d’économie, a été élu le 3 décembre dernier Président de l’Université. Arrivé en pleine crise sanitaire, les défis à relever sont nombreux. De ses ambitions pour Dauphine, à l’international, dans PSL et sur les enseignements entre autres sujets, La Plume a eu l’honneur de discuter avec lui.

  • Qu’est-ce qui vous a poussé à vous présenter à la présidence de l’Université ?

Pour le comprendre, il conviendrait de parler de mon parcours personnel, ce que je n’ai jusque-là que rarement fait. Je suis le résultat du modèle républicain. Je suis arrivé en France à l’âge de 10 ans dans les années 1970. Mon père, travailleur immigré, rêvait de faire de nous faire venir en France avec un objectif prioritaire : notre réussite scolaire. Le savoir est LA valeur fondamentale dans ma famille. En outre, dans mon parcours académique, j’ai beaucoup reçu de mes professeurs qui m’ont insufflé la préoccupation du collectif. Lorsque je suis à mon tour devenu professeur des universités, j’ai réellement pris conscience de l’engagement collectif des enseignants-chercheurs. Tout en poursuivant mes travaux académiques je me suis aussi engagé dans le collectif. Par exemple, j’ai créé avec mes collègues du laboratoire d’informatique, le programme de Master « Peace Studies » ainsi que la mention AID en y intégrant le développement durable et je dirige le master 212 Affaires internationales depuis 2011.
J’ai aussi été élu, entre autres, au Conseil d’Administration et au CFVE (auparavant CFVU). J’ai le sentiment d’être redevable de ce que j’ai pu recevoir de mes professeurs, c’est pourquoi, en tant qu’enseignant-chercheur je me aussi suis toujours pleinement investi dans la pédagogie

Concernant mon parcours professionnel, j’ai enseigné dans beaucoup d’universités, mais lorsque je suis arrivé à Dauphine en 2006, j’y ai posé mes valises. Dauphine est une belle université, qui sait allier recherche, formation initiale et formation continue. Elle accueille un grand nombre d’étudiants tout en sélectionnant sur l’excellence. Mon implication dans l’université m’a conféré une grande légitimité auprès de mes collègues, qui m’ont poussé à me présenter après la démission d’Isabelle Huault. J’ai d’ailleurs récolté 76% des voix de mes pairs dont le taux de participation a été de 96%.

J’ai vraiment envie de construire de belles choses dans et avec PSL pour nos étudiants en particulier ; je crois profondément dans le modèle de Dauphine. C’est pour toutes ces raisons que je me suis présenté à la présidence de l’Université.

  • Quelles sont vos ambitions auprès des étudiants et de Dauphine en général ?

Tout d’abord, je suis l’un des présidents d’université qui a le plus milité pour faire revenir nos étudiants sur le site. Je pense que le présentiel est fondamental pour l’enseignement. Mais on a aussi investi 300 000 euros dans des équipements pour permettre de dispenser des cours à distance convenables.

Dans mon programme, le chantier numéro un est la formation. Aujourd’hui, on fait face à une nouvelle sociologie des étudiants, qui ont de nouveaux besoins. Ils sont désormais habitués à choisir des options du fait de la réforme du Lycée. C’est dans cette perspective que je souhaite développer les doubles-diplômes. Pourquoi un étudiant qui est excellent dans deux ou trois champs ne devrait se consacrer qu’à un seul ? Former des étudiants avec une double compétence devient d’ailleurs nécessaire pour les besoins du monde socio-économique qui nécessite de mieux anticiper les chocs, qu’ils soient climatiques ou sanitaires, qui se répètent. Des étudiants formés à l’aide d’une approche pluridisciplinaire fondée sur l’excellence absolue dans chacun des domaines peut aider les entreprises. Il faut créer ce que j’appelle une division cognitive du travail. Attention, la pluridisciplinarité ne signifie pas la dilution des compétences, mais plutôt leur mise en complémentarité. L’important est de bien cerner ses blocs de compétences. Pour Dauphine, ce sont les sciences des organisations de la Décision. La complémentarité peut d’abord se faire en interne, avec un double-diplôme LSO-MIDO, mais aussi au sein de PSL. On peut par exemple penser à un double diplôme avec l’École des Mines. Les étudiants seraient formés à être des managers, obtenant un diplôme à Dauphine, mais aussi des ingénieurs, en obtenant un diplôme des Mines et réciproquement.

Il faut agir sur ce qui fait la force de Dauphine pour se différencier des autres universités. Lorsque nous avons créé le programme Peace Studies, nous avons axé sur les compétences de notre université : les recherches opérationnelles en informatique, la gestion de crise, la théorie des jeux en économie, la géopolitique internationale, les langues étrangères.

Concernant le Doctorat il faut faire comprendre au monde socio-économique l’intérêt de recruter des docteurs ainsi formés à compétences multiples (intelligence artificielle et sciences sociales ou droit par exemple).

J’ai vraiment cette volonté de développer la complémentarité, de créer des ponts entre la recherche et l’enseignement, entre les disciplines, entre le monde académique et le monde professionnel. La question pluridisciplinaire m’a toujours habité. Lorsque j’étais Professeur à l’université d’Évry, j’ai par exemple créé un IUP de droit et d’économie.

Enfin, la question de la diversité est essentielle. Le programme égalité des chances doit être amplifié. Cette problématique ne me touche pas seulement parce que je suis moi-même issu de la diversité. Elle a aussi à voir avec la question de l’excellence de l’université : la diversité doit être promue mais toujours sur la base de l’excellence. Je préfère d’ailleurs le terme d’égalité d’accès à égalité des chances. L’égalité d’accès à la culture, aux infrastructures, aux transports, au savoir… Ce n’est donc pas seulement une question d’équité mais aussi d’efficacité. Comme le montrent plusieurs enquêtes, la défiance prédomine singulièrement en France dans les relations sociales.  Faire entrer des étudiants aux parcours différents permettrait de favoriser la dynamique de confiance et donc de prise de risque et d’innovation. Il faut bien comprendre que ce programme égalité des chances n’est pas une dépense, c’est un investissement pour l’excellence de notre université et pour faire la différence dans le monde de l’entreprise.

  •  Quels sont vos objectifs concernant la place de l’Université à l’international ?

PSL se place 36ème du classement de Shangaï et on montera encore dans ce classement dans les prochaines années. Mais ce n’est pas seulement une affaire de classement, même si cela est très important car il rejaillit sur la renommée des diplômes. S’étendre à l’international ne doit pas se faire sur n’importe quels thèmes mais doit dépendre de nos compétences. Si on réussit à faire valoir nos forces à l’international, on aura tout gagné. La production scientifique doit aussi être internationalisée afin de gagner en visibilité et de renforcer l’attractivité pour les étudiants.

Lorsque j’ai commencé à réfléchir à mon programme pour Dauphine, il m’est apparu qu’au lieu de subir les effets restrictifs liés à cette pandémie, il fallait transformer cette crise en opportunités pour se développer à l’international. Notre stratégie à l’international doit être double. Il faut d’abord concentrer nos efforts sur les mobilités de long terme, comme les programmes d’échanges pour nos étudiants, les stages, les postdoctorats à l’étranger, les professeurs invités (sortants et entrants) et revoir la manière dont on organise les mobilités courtes plus facilement remplaçables via le numérique. Il faut de plus accentuer le développement de doubles- compétences à l’international. Je pense par exemple à la jonction entre le droit et l’intelligence artificielle, ou de celle-ci avec les sciences de la société. Nous pouvons être pionniers dans ces domaines. Il s’agit de mettre en place une stratégie séquentielle, du numérique pour faire connaitre nos domaines d’excellence à un grand nombre d’étudiants au niveau mondial pour ensuite en sélectionner une partie et les faire venir en présentiel. Je prône donc une approche dynamique de l’international, et les technologies numériques sont essentielles dans cette perspective.

  • Comment comptez-vous renforcer la position de Dauphine au sein de PSL ?

Je suis totalement partisan de la construction de PSL dans le cadre d’une relation de complémentarité, de coopération, de co-traitance. Dauphine a bien identifié ses blocs de compétences. Nous sommes très actifs dans PSL. Sur dix-huit Programmes Gradués, sept sont portés par Dauphine dans nos six laboratoires de recherches : en management, finance, mathématiques, informatique, économie, sciences sociales et droit. Nous représentons également 40% des effectifs étudiants de PSL. Dauphine ne peut que bénéficier de PSL, et inversement. PSL est un très belle histoire de mariages entre établissements prestigieux, mais je ne conçois pas cette intégration comme simplement opportuniste. Je le répète donc, l’idée est de créer une complémentarité des compétences, ce qui n’est en aucun cas synonyme de dilution.

  • C’est un point qui importe pour les étudiants : comptez-vous intégrer une dimension écologique et sociale aux enseignements ?

Effectivement il y a un changement dans la sociologie des étudiants. Ils sont beaucoup plus sensibles aux enjeux environnementaux. Et ils ont raison, il nous faut promouvoir la transition écologique.

Dauphine agit déjà en ce sens avec la création fin 2016 d’un Vice-Président à la Responsabilité Sociale de l’Université. L’enseignement sur les enjeux écologiques a été rendu obligatoire en L1, et sera poursuivi en L2.

Dans notre programme Demain Dauphine, nous avons prévu la création d’un Conseil Environnemental et Social rassemblant des élus et les autres Conseils pour que tous les acteurs de l’université soient parties prenantes de la transformation écologique. Cela permettra d’intégrer les impératifs environnementaux à tous les domaines.

En formant des étudiants avec une culture de la question environnementale, de ses enjeux, on influe aussi sur les entreprises, avec lesquelles Dauphine entretient des liens privilégiés, et qui prônent eux aussi la dimension écologique. J’aimerais que notre Business Advisory Board, comprenant plusieurs grandes entreprises, soit missionné sur deux thèmes : la question environnementale et celle de la diversité sociale. Ces grandes entreprises seront celles qui agissent réellement sur ces questions et pas seulement en façade.

  • Quel message souhaitez-vous adresser aux étudiants ?

 Je voudrais passer deux messages. Tout d’abord, dans le contexte actuel, si vous voulez que nous reprenions une vie normale, respectez les mesures sanitaires. Au moindre cluster, c’est la fermeture de l’Université. Je crois beaucoup au présentiel, tant du point de vue psychologique que pédagogique. Il faut un comportement strict et respectueux pour que ce retour à l’Université que nous avons organisé depuis le mois de janvier continue à bien se passer. Là encore, on voit l’intérêt d’avoir la double compétence d’enseignant-chercheur pour gouverner une Université. Lorsque les étudiants de première année sont revenus sur site, il y avait une attente incroyable au Crous, les consignes sanitaires n’étaient pas du tout respectées. J’ai sollicité mes collèges du Laboratoire d’Analyse et de Modélisation de Systèmes pour l’Aide à la Décision (LAMSADE) pour nous aider à réfléchir à la manière de mieux fluidifier la restauration pour minimiser les risques de contamination.

Mon deuxième message porte sur la réussite. Il y a deux facteurs essentiels de la réussite, peu importe comment vous la définissez : la passion et le travail. Il faut avoir l’envie de faire les choses, car travailler sans passion est laborieux. Cette alliance de la passion et du travail est aussi l’objectif des doubles-diplômes dont je parlais précédemment. Soyez passionnés par ce que vous faites, et travaillez pour réussir. Je suis aussi convaincu qu’en dépit de la détresse psychique des jeunes créée par la gestion de la pandémie, il en sortira des choses positives. Il faut avoir l’optimisme de la volonté, pour se projeter dans l’avenir, et le pessimisme de la raison, pour diagnostiquer les problèmes et y apporter des solutions. Lorsque j’ai élaboré mon programme, je me suis demandé « Quelle Université pour 2030 ? ». Je ne suis pas parti des contraintes mais de l’université que nous rêvons de construire. Il faut partir de sa volonté tout en prenant en compte les contraintes, et non l’inverse. Finalement, croyez en vous, aimez ce que vous faîtes, travaillez pour cela et le reste suivra.

 

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