Suite au refus du Sénat argentin d’adopter le projet de légalisation de l’avortement, des centaines d’Argentins ont décidé de se faire « débaptiser » afin de protester contre le Clergé. Ceci est un exemple parmi d’autres d’une des nombreuses vagues d’apostasie collective connue au cours des dernières décennies. Qu’elle manifeste une envie de rupture avec la religion en elle-même, un éloignement de l’Eglise (en particulier suite à des événements jugés comme « polémiques » par certains croyants), la débaptisation a de nombreuses sources. Elle peut aussi se manifester sous forme individuelle comme collective. L’article présent a pour but de retracer quelques périodes intenses de débaptisation, leurs causes, ainsi que de faire un bref tour du monde de ce phénomène.
Pour rappel, la débaptisation est le processus par lequel un individu « baptisé » renie sa religion d’origine. Les modalités de sortie peuvent être diverses, comme une demande de sortie des registres paroissiaux, l’apposition d’une mention d’apostasie dans le registre, et bien d’autres. In fine, la débaptisation revient à une excommunication « volontaire ». Non pas que les débaptisés décident systématiquement de ne plus suivre les enseignements religieux, mais, du moins, de ne plus être affiliés à l’Eglise officielle et au lien qu’elle implique avec ses fidèles. La religion catholique n’est pas la seule concernée, bien que nous nous focaliserons surtout sur elle.
Comme nous le mentionnions en introduction, le cas le plus récent d’un mouvement de débaptisation collective est le cas argentin. En effet, l’Eglise, ayant mené une vaste campagne de lobbying contre le projet de légalisation de l’avortement et ayant eu de forts liens avec la dictature de 1976-1983, certains fidèles, au-delà même du pays du tango, ont collectivement décidé leur détachement vis-à-vis du clergé officiel. La loi ayant été refusée au Sénat Argentin, et les manifestants considérant que cela constitue encore le reflet d’une non séparation entre l’Eglise et l’Etat, cela a amplifié le phénomène. Il faut aussi y rajouter la déclaration, presque simultanée, du Pape François sur l’homosexualité. Très controversée, elle a provoqué un certain émoi à l’international, entre autres parmi les fidèles ; les mots « psychiatrie » et « tendance » étant associés aux homosexuels, ce qui n’est pas sans rappeler les heures sombres où l’on considérait l’homosexualité comme une maladie et où on la traitait chimiquement dans certains pays.
Ce phénomène, s’il n’est pas si ancien que cela, émerge de manière collective depuis les années 1990. Comme événements marquants ayant entraîné des débaptisations, nous pouvons évoquer la déclaration de Jean-Paul II sur le préservatif à la fin des années 1990, les affaires de pédophilie dans l’Eglise, la position de Benoît XVI sur certains sujets sociétaux, l’excommunication scandaleuse au Brésil d’une mère qui a fait avorter sa fille de 9 ans victime d’un viol[1] ; et d’innombrables autres faits. Des causes plus structurelles comme le refus de l’accès des femmes à la prêtrise sont aussi sources d’une telle prise de distance. Il apparaît aussi que beaucoup de débaptisés, et ce partout où le mouvement prend, considèrent qu’en réalité leur baptême n’était pas voulu, puisqu’il s’est déroulé peu après la naissance ; et, en ce sens qu’il était « non-désiré » ou non-consenti[2].
Si les chiffres globaux de la débaptisation dans le monde sont opaques, on peut toutefois affirmer que le phénomène, bien que marginal, n’est pas négligeable ; ce qui explique aussi la préoccupation de l’Eglise catholique à son sujet. Rien qu’en Italie, pays très croyant et contenant l’enclave du Vatican, certaines années ont connu près de 3000 demandes d’apostasie.
Pour ce qui est de l’Hexagone, la campagne du clergé contre la loi Taubira a aussi entraîné une hausse des débaptisations. En France, il y aurait près de 1000 demandes par an ; contre 3500 à 4000 baptêmes adultes par an pour se donner une idée de l’ampleur du phénomène[3]. Une bataille juridique est même menée depuis deux décennies, par les tenants de l’apostasie, afin que les noms des débaptisés soient rayés des registres paroissiaux, chose que le Conseil Constitutionnel a récemment refusée par sa décision rendue en 2014 sur le cas René Lebouvier. En effet, le registre est toujours considéré de nos jours comme un lieu de mémoire d’un événement public, chose qui pourrait faire débat dans les années à venir, tant il est à la fois basé sur un système ancien où les paroisses assuraient le recensement de la population, et tant cela remet en cause la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
Les motivations peuvent toutefois aussi varier légèrement selon les pays. Si en France, pays de « culture laïque », la séparation entre l’Eglise et l’Etat fait qu’un baptême n’a aucune incidence « civile » sur la personne, « en Allemagne, au contraire, enlever son nom des registres de baptêmes permet de ne plus payer l’impôt d’église. Les motivations peuvent être économiques, alors qu’en France, elles sont purement militantes! »[4]. Dans d’autres pays, il est à l’inverse compliqué de se faire débaptiser puisqu’une partie de la sécurité sociale est assurée par l’Eglise ; comme aux Etats-Unis où, en l’absence d’une protection sociale forte, l’Eglise assure des services sociaux non négligeables.
A noter que récemment, le 10 Octobre 2018, le pape François a assimilé l’avortement au recours à un « tueur à gages »[5]. Pas sûr qu’une telle analogie calme un phénomène qui risque de prendre d’autant plus d’ampleur que la religion catholique et ses valeurs perdent du terrain…
[1] https://www.lexpress.fr/actualite/societe/bresil-un-archeveque-excommunie-la-mere-d-une-fillette-violee_745569.html
[2] https://www.lexpress.fr/actualite/societe/religion/le-mouvement-pro-debaptisation-tisse-sa-toile_750392.html
[3] https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/ils-ont-choisi-de-se-faire-debaptiser-7780772607
[4] Ibid
[5] Le Monde, rubrique Religions, Le pape François compare l’avortement au recours à un « tueur à gages »
Robin Taillefer