30 ans après, le Mur de Berlin est-il réellement tombé ?

30 ans après, le Mur de Berlin est-il réellement tombé ?

9 Novembre 1989. Peu avant 19 heures. Günter Schwabowski, représentant du gouvernement d’Allemagne de l’Est tient une conférence de presse, annonçant que des visas permettant aux Est-Allemands de voyager seront délivrés. Alors qu’on lui demande quand cette annonce sera effective, il rétorque « Autant que je sache – immédiatement ». Une déclaration qui a créé une ruée vers la frontière entre Berlin-Est et Berlin-Ouest. Face à la marée populaire, les gardes-frontières cèdent : le Mur est ouvert.[1]


30 ans après la chute du Mur de Berlin, l’Allemagne reste marquée par les divisions entre l’ancienne République Démocratique d’Allemagne (RDA, à l’Est) et la République Fédérale Allemande (RFA, à l’Ouest). D’importantes disparités économiques et politiques subsistent, divisant le pays : le Mur a laissé sa trace dans la société allemande.


Une économie allemande à 2 vitesses

La chute du Mur et la réunification allemande ont mis en lumière des différences de développement économiques. En 1989, le PIB par habitant est estimé à 9 442 euros à l’Est, contre 22 030 euros à l’Ouest. Malgré un regain économique après la réunification, les disparités subsistent. En 2009, le PIB par habitant atteint 22 702 euros dans les Länder de l’ancienne RDA, contre 33 086 en ex-RFA. Bien que le développement économique ait été plus rapide à l’Est, le niveau de vie y reste nettement inférieur. 

La transition économique de l’ex-RDA à l’économie de marché ne s’est pas faite sans heurts. Seule la moitié des entreprises publiques Est-Allemandes ont été privatisées, les autres, liquidées. Ce sont en tout plus de 2,5 millions d’emplois supprimés. La production industrielle chute, le chômage augmente, atteignant près de 20% dans certains Länder.

Le poids économique de l’Ouest est aujourd’hui encore supérieur à celui de l’Est. Malgré les investissements privés effectués à l’Est (usines automobiles en Saxe pour BMW et Volkswagen), l’économie à l’Est enregistre un retard par rapport à l’Ouest. Le taux de chômage y est toujours aujourd’hui près de 2 fois supérieur en ex-RDA (4,5% à l’Ouest, près de 8% à l’Est). Parmi les entreprises du DAX30, indice boursier des plus grandes entreprises allemandes (équivalent du CAC40 en France), aucune n’a son siège social implanté à l’Est.


Des disparités démographiques

Si la conséquence immédiate de la libre-circulation a été observée à l’échelle locale, à Berlin, le constat à plus long-terme est similaire : les Est-Allemands ont quitté l’ex-RDA pour rejoindre l’Ouest du pays. Ainsi, entre 1990 et 2006, près d’1 million d’Est-Allemands[2] – plus de 6% de la population – ont émigré, majoritairement vers les Länder de l’Ouest, à la recherche de meilleures conditions de vie à l’Ouest. La population dans la région est aujourd’hui d’environ 12 millions d’habitants, contre 16 millions en 1989.

Un des enjeux démographiques de l’Allemagne moderne est la gestion de son taux de fécondité, l’un des plus bas d’Europe. Le vieillissement de la population et la baisse de la natalité entraînent une chute de la population active du pays, et donc un ralentissement économique important. Là encore, la situation peut être comparée entre l’ex-RFA et l’ex-RDA. A l’Est, si le taux de natalité était plus élevé qu’à l’Ouest avant la réunification (environ 1,7 enfants par femme en 1990), il chute à 0,77 enfants par femme en 1994 (quand il est légèrement supérieur à 1,4 à l’Ouest). Cet affaiblissement de la fécondité peut s’expliquer par la fuite des jeunes Est-Allemands en âge de procréer.

La réponse à la chute de la natalité allemande a été l’accueil d’immigrants au niveau national. Avec plus d’1 million d’immigrés en 2015, l’Allemagne est le premier pays européen dans l’accueil de migrants. Malgré le déclin de démographie Est-Allemande, c’est bien l’Ouest du pays qui accueille le plus d’étrangers. C’est le cas notamment de la Rhénanie du Nord-Westphalie, Land Ouest-Allemand très industrialisé. En 2015, les Länder Est-Allemands représentent moins de 20% des demandes d’accueil.


Des conséquences politiques

Bien qu’elle soit destinée en majorité à l’Ouest de l’Allemagne, la politique migratoire nationale divise le pays politiquement. En ex-RDA, à Dresde, le mouvement PEGIDA est lancé et manifeste contre « l’islamisation de l’Europe », en réponse à l’afflux d’étrangers. Le mouvement craint la perte de l’identité occidentale face à l’afflux de migrants issus du Moyen-Orient. Si le mouvement s’est depuis dissipé, ses arguments restent ancrés dans le débat politique, notamment à l’Est.

Le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD, Alternative für Deutschland), fondé en 2013, avance des arguments qui séduisent les électeurs Est-Allemands. Ils reprennent un discours anti-immigration, mais misent également sur les inégalités économiques entre les deux régions pour s’ancrer dans le paysage politique. Ainsi, lors des élections régionales de 2019 en Saxe, Thuringe et Brandebourg (3 Länder d’ex-RDA), le parti est systématiquement arrivé 2ème des élections, dépassant les 20% dans les 3 régions. Au niveau national, lors des élections européennes, celui-ci dépassait tout juste les 10%.

Björn Höcke, tête de liste de l’Afd dans le Land de Thüringe, arrivé en 2ème position avec 23,40% des voix, et figure de l’aile dure du parti.

C’est également à l’Est que le parti d’extrême gauche Die Linke fait ses meilleurs scores. Ils sont d’ailleurs arrivés en tête en Thuringe lors des dernières élections régionales, Land qu’ils gouvernaient déjà depuis 2014, en coalition avec le SPD (sociaux-démocrates) et les écologistes. Le parti, ouvertement anticapitaliste, est souvent associé à l’ancien parti socialiste d’Etat de la RDA par ses adversaires et accusé d’alimenter une « nostalgie politique de la RDA ».


Après 30 ans de réunification, le clivage est-ouest ne s’est toujours pas dissipé. Si les inégalités économiques entre les deux régions ont baissées, elles restent marquantes dans les esprits. A l’Est, les partis Sociaux-démocrates (SPD) et Chrétiens-démocrates (CDU), issus de la RFA, sont de plus en plus rejetés par la population, qui souhaite être mieux reconnue à l’échelle nationale. A l’Ouest, la taxe de financement de la réunification (5,5% sur le revenu des ménages et des entreprises) est critiquée, notamment par les libéraux, anciens alliés de Merkel au Parlement entre 2009 et 2013.

Léandre Bierré, M1 Finance

[1] https://www.liberation.fr/planete/2015/11/01/mort-de-schabowski-l-homme-qui-a-anticipe-la-chute-du-mur_1410455

[2] Emigration nette : environ 3 millions d’Est allemands partis à l’Ouest pour 2 millions faisant le chemin inverse.

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