Vendredi. Jour tant attendu. C’est celui qui marque le début des festivités.
Comme un vendredi, nous nous sommes retrouvés entre amis entassés dans un appartement bien trop petit.
Comme un vendredi, nous avons ri aux éclats.
Comme un vendredi, nous avons fumé et bu.
Comme un vendredi, nous étions insouciants.
Ainsi, tout a commencé comme ces fameux vendredis mais les vibrations incessantes de nos téléphones portables nous indiquaient le contraire.
21h30 : je reçois ce fameux « t’es où ? ». Comme à mon habitude, je ne réponds pas tout de suite. Sauf que ce soir, je n’étais pas la seule à le recevoir.
Nous allumons alors la radio et écoutons. Impassibles. Muets.
On entend alors parler d’une fusillade au Bataclan. Tout le monde me fixe.
Le Bataclan ? J’y étais vendredi dernier. Je mets alors plusieurs minutes à réaliser.
Mes yeux se brouillent peu à peu mais une seule question me traverse l’esprit : pourquoi eux et pas moi ?
Comme un vendredi, nous nous sommes retrouvés entre amis entassés dans un appartement bien trop petit.
Mais ce soir, les rires font place aux larmes.
Comme un vendredi nous avons bu et fumé mais cette fois-ci c’était pour oublier.
Comme un vendredi nous étions insouciants mais cette insouciance s’est envolée en l’espace d’une soirée.
J’ai mal pour ces gens. Mal pour ces inconnus qui comme nous, le vendredi 13 novembre, ont ri, bu, fumé et abusé de leur insouciance.
Nous ne les oublions pas et au nom de tous ces innocents, nous continuerons ce que nous avions entrepris ce vendredi.
Sarah Eber
Je ne sais pas vraiment par où commencer, je ne suis ni douée d’une plume extraordinaire ni d’un sens de l’éloquence et de la rhétorique phénoménal mais ce soir j’ai besoin de mettre des mots sur ce que je ressens. Les gens me disent « stop on n’en parle pas c’est badant » mais moi j’ai besoin d’en parler, ça finira par me bouffer sinon. Je rejoue en boucle les images de cette soirée dans ma tête. Chaque fois que je ferme les yeux ou que je laisse mon regard divaguer, les souvenirs de ce 13 novembre reviennent; le son des coups de feu qui résonnent dans la rue, le ballet incessant de camions de pompiers, de samu, de croix rouge, de police et les corps qui défilent et qui défilent sous leurs linceuls… Des sirènes, encore des sirènes, toujours des sirènes. Deux jours et deux nuits à vivre au son des sirènes de police. Je revois les policiers armés, casqués, retranchés derrière l’immeuble d’en face. J’ai l’impression d’être dans un mauvais film américain : quelle personne normalement constituée peut penser ne serait-ce qu’un seul instant qu’une telle scène puisse se produire à Paris ? Irréaliste. D’ailleurs la situation toute entière est irréaliste. On apprend que République, le bataclan, le petit Cambodge, le carillon sont attaqués, j’apprends qu’on attaque ma vie ou devrais-je plutôt dire mon quotidien. Mon quotidien parce que ces paysages, que je les côtoie ou non, ce sont les endroits par lesquels je passe tous les matins et que tous mes amis de lycée et moi fréquentons. Ce sont des paysages que j’ai parfois enviés plus jeune, j’ai envié la légèreté, l’allégresse et l’ivresse de ces jeunes installés au baromètre ou au café du bataclan dès 17h le vendredi. Parce que c’est ça la vie de ce quartier, c’est des jeunes ou plus tout jeunes, un peu communistes, un peu hypocrites, un peu (trop) branchouilles, un peu non chalands qui profitent tous les soirs de la vie. La vie parisienne c’est eux, ce sont ces amoureux des musiques « sans paroles », les amoureux de la bière, les amoureux des pique-niques sur les quais du canal St martin, les amoureux des soirées trop alcoolisées et toujours trop enfumées. Vendredi on s’est attaqué à notre vie, à notre liberté et surtout à nos joies.
On me dit de ne pas avoir peur mais c’est si dur. Je n’ai pas spécialement peur de me faire attaquer, ce qui me fait peur c’est l’oubli. J’ai peur que les gens oublient et passent à autre chose, qu’ils ne se rappellent de cet événement que comme un des faits marquants de 2015. J’ai peur qu’on oublie les visages et les prénoms des victimes. Il faut continuer à vivre pour la France, pour les victimes et pour nous je le sais bien, mais comment reprendre son train-train quotidien? Comment oublier la peur et la tétanie dans laquelle mon petit frère, ma sœur, mon beau-frère et moi étions vendredi soir? Comment oublier l’inquiétude de tous nos proches et l’inquiétude que j’ai ressentie pour nos familles/amis qui étaient retranchés dans un bar ou qui étaient en train d’assister au carnage du bataclan?
J’ai l’impression que quelque chose est mort à l’intérieur de moi, cette lumière si puissante en temps normal j’ai l’impression qu’elle s’est éteinte. Je me dis que je suis ridicule de me mettre dans des états pareils : qui suis-je pour me sentir abattue comme cela? Qu’ai-je vécu? J’ai l’impression de voler la peine et la tragédie des victimes en me comportant comme cela mais j’y peux rien je suis hypersensible apparemment.
Je sais qu’il faut continuer à vivre pour montrer à la barbarie que nous, justement, la barbarie on l’emmerde. Ça va prendre du temps, ça va me prendre du temps mais je vais réussir à reprendre ma vie et cette lumière intérieure, affaiblie par les événements, va reprendre de sa lueur. Cette lumière, elle va briller plus fort que jamais, elle va briller pour les âmes des victimes du 13 novembre, de Charlie et de l’hypercacher; elle va briller pour l’humanité.
Anonyme