La critique du patriarcat est-elle vraiment dépassée ? C’est du moins ce que semble affirmer Sheryl Sandberg (n°2 du groupe Facebook) dans son livre Lean in (« s’imposer ») paru sous le titre En avant toute en France. Ce girl power d’un nouveau style s’appuie sur un mantra : la femme détiendrait, en elle-même, la clé de son succès.
Alors, néo-féminisme ou effet de mode ?
Le point commun entre Marissa Meyer (PDG de Yahoo!), Hillary Clinton ou encore Oprah Winfrey ? Elles incarnent toutes un « féminisme d’entreprise » axé autour de l’épanouissement professionnel. « Mon job : ma bataille » : voilà l’idée de ce nouvel empowerment féminin. Etoffée par Sheryl Sandberg ou encore Sophia Amoruso (et son ouvrage #Girl Boss), cette doctrine exige des femmes un effort particulier : celui de transcender leurs barrières intimes.
L’ambition serait-elle la solution aux inégalités homme/femme ? C’est, du moins, ce qu’affirme ce mouvement qui qualifie, au passage, le féminisme traditionnel de féminisme « victimaire ». La femme souffre du syndrome de la bonne élève, s’auto-censure et peine à demander ses promotions tandis qu’elle devrait gagner en confiance et reprendre le pouvoir sur sa carrière. On voit émerger, en ce sens, de nombreux cercles professionnels exclusivement féminins ; du networking et même du mentoring pour les étudiantes. Cette idée s’est largement exportée, et jusque dans nos grandes écoles : HEC au féminin, ESSEC Women Alumni, etc. Ces réseaux proposent aux femmes diplômées, des ateliers de prise de parole, et la possibilité de rencontrer un soutien auprès de marraines professionnelles.
Mais alors, en quoi ce « féminisme 2.0 » est-il critiquable ?
Réponse : il s’agit d’un féminisme individualiste. Accoler ces deux termes peut sembler choquant car le féminisme, dans sa forme première, milite en faveur d’une amélioration de la condition des femmes et pour l’extension de leurs droits au sein de la société. En comparaison, le leanisme contemporain délaisse l’aspect collectif du mouvement : « je lutte pour MA carrière et c’est MA bataille ». Autrement dit, il ne s’agit plus d’un rassemblement mais uniquement d’une forme renversée de carriérisme. D’autant que ce mouvement s’adresse à des femmes qui présentent déjà un fort pouvoir de décision, un diplôme et même une carrière.
«Beaucoup de femmes devraient dépasser l’auto-censure et la conséquence d’une éducation gendrée afin d’obtenir l’épanouissement professionnel»
Plus encore, l’idée suivant laquelle « quand on veut, on peut » s’avère, dans les faits, fortement culpabilisante. Certes, beaucoup de femmes devraient dépasser l’auto-censure et la conséquence d’une éducation gendrée afin d’obtenir l’épanouissement professionnel. Mais, le manque d’ambition des femmes ne saurait justifier la différence de rémunérations persistant entre hommes et femmes à qualifications et responsabilités égales.
La femme ne devrait pas avoir à se battre, plus que l’homme, dans sa vie professionnelle
Mais les obstacles sociétaux perdurent. Car si chaque femme s’imagine pouvoir briser un jour le plafond de verre, rares sont celles qui y parviennent réellement. Et tout ça pour quoi ? Travailler plus que l’homme pour un salaire équivalent ? Se battre pour simplement être légitime ? Aucun progrès. Et ce problème structurel ne saurait être résolu par une doctrine américaine semblable aux plus simplistes des théories méritocratiques. C’est pourquoi, s’il est nécessaire de stimuler l’initiative des femmes, il me semble également essentiel de favoriser l’engagement collectif et politique, pour l’abolition finale des discriminations - voilà ma définition du féminisme.