Pour la première fois, le Bureau des Arts de Dauphine (BDA) et La Plume s’associent pour vous présenter un article culture. Georges Braque, vrai touche-à-tout, s’illustra du fauvisme au collage en passant par le cubisme. Jouant sur le volume, la matière, la couleur, il s’adonnait à une profonde réflexion, rebutant la simple représentation. Véritable inventeur du cubisme, il resta pourtant effacé sur la scène artistique à l’instar de son ami Picasso. Le Grand Palais ressort d’outre-tombe les chefs d’œuvre de ce maître aux milles pinceaux, le temps d’une exposition.
À ses débuts, Braque rejoint la vague du fauvisme, inspiré par son maître à penser Cézanne, qui guidera ses œuvres jusqu’à son dernier souffle. S’exilant dans le Sud, il fait valser les couleurs de sa palette sur sa toile pour représenter toute la suavité des paysages méditerranéens. Les critiques parlent même de «pot de couleur jeté à la figure». Mais petit à petit, les peintures maquillées comme des camions volés laissent place à des paysages beaucoup plus austères. La réalité se mue en formes géométriques, les couleurs s’unifient pour emprunter des teintes ocres, grises, vertes. Le basculement vers le cubisme se fait entendre.
Cézanne a dit un jour, «traiter la nature par le cylindre, la sphère et le cône». Ce sont ces paroles qui guidèrent Braque dans ses expérimentations. Il change alors du tout au tout sa manière d’envisager l’art, la peinture. Main dans la main, Braque et Picasso, vont introduire sur la scène artistique, ce qu’on appela le cubisme. Braque va décomposer le volume des objets en différentes facettes qu’il superpose. Il va pousser cette décomposition à tel point, que l’on met plusieurs minutes à trouver l’objet représenté dans son tableau. Mais, comme le dit lui-même Braque, l’objet qu’il représente lui importe peu, car tout le miracle d’un tableau repose dans les émotions qu’il a suscité, suscite et suscitera. Après s’être brièvement intéressé aux portraits qu’il laisse à son grand ami Picasso, il se concentrera pendant la majeure partie de sa carrière à la nature morte.
Ses tableaux ne consisteront plus guère qu’en un bric-à-brac d’objets défigurés superposés à des aplats de couleurs. Seulement, pris un par un, ces éléments ont peu de valeur. Mais, Braque les harmonise d’une telle façon qu’on en dirait presque de la poésie. Les aplats de couleur ne sont pas de banals coups de pinceau sur une toile, mais un vrai travail de matière notamment, en mélangeant sa peinture à du sable. Braque amorce son retour à la réalité. Inspiré par les collages de Picasso, il introduit du papier collé, notamment du faux plaqué bois auquel il ajoute quelques traits de fusain et des lettres. On redécouvre les formes sensuelles des objets. La couleur se fait peu attendre et pointe le bout de son nez dans ses compositions.
Pour ceux qui connaissent un peu Braque, vous vous demandez bien d’où je sors toutes ces âneries. Après tout, ses tableaux ne sont rien qu’un ramassis d’objets peu intéressants tellement défigurés qu’on en perd le sens de son œuvre. Et bien, figurez-vous que jusqu’il y a peu, je pensais la même chose que vous. Mais après avoir écumé les revues sur sa réalisation et les descriptions de ses œuvres, je saisis enfin la volonté de l’artiste et cette fois-ci, ses travaux ne me laissent pas de marbre. Pour cette exposition d’autant plus que les autres, il est important de lire attentivement les commentaires inscrits sur les murs pour éviter de passer à côté du travail de cet artiste acharné. Ce n’est pas pour rien qu’il fut apparenté à un peintre intellectuel compte tenu de la subtilité de ses réalisations.
Abordons enfin le sujet qui me passionne et qui fût la raison de ma venue à cette exposition : l’une de ses ultimes séries, Les Oiseaux. Fervente admiratrice de Matisse, je ne pus qu’être enthousiaste face à l’affiche de l’exposition (qui ne reflète en rien l’exposition d’ailleurs). Attendant avec impatience de voir ce tableau en vrai, je dû patienter un bon bout de temps, car la salle des oiseaux fait partie des dernières, car Braque peignit cette série à la fin de sa vie. Me voila face à l’oeil morne de L’Oiseau et son nid, toile très sombre sonnant les dernières heures du peintre. Je suis encerclée par ses myriades d’oiseaux inexpressifs, réduits à une forme très simplifiée, immortalisés dans les coups de pinceaux du maître. Braque considérait cette série comme l’aboutissement de toute une carrière. Jean Leymarie a ainsi déclaré que l’oiseau «traverse ici librement l’espace pur de la peinture enfin totalement conquis».
Malheureusement, l’exposition est déjà finie … Si vous n’avez pas eu l’occasion de la voir, vous pouvez toujours aller admirer le plafond qu’il a réalisé au Musée du Louvre dans la salle Henri II (33) au 1e étage, dans l’aile Sully (surtout que l’entrée est libre et gratuite, donc aucune excuse). Les œuvres rassemblées lors de l’exposition sont éparpillées au quatre coins du monde. Mais vous pourrez contempler une grande partie de ses tableaux au Centre Georges Pompidou. Si vous avez l’occasion de vous rendre à New York, vous pourrez en admirer également au Met ou MOMA. Enfin, un musée lui a été consacré à Saint-Dié-des-Vosges. Vous ne serez pas déçu, il y en a pour tout le monde !
Et comme on dit chez nous, la bise arty.
Laura Wolkowicz, membre du BDA