Ce vendredi 13 novembre 2015 au soir
Manon Lescroart

Ce vendredi 13 novembre 2015 au soir

La Plume, comme vous tous, a vécu à sa manière les événements de ce vendredi 13 novembre au soir. Nous avons compilé des témoignages de nos membres, présents un peu partout dans Paris, notamment rue de Charonne et au Stade de France.

Par ces écrits, nos membres ont voulu exprimer leur vécu afin de mieux le supporter; se permettre de prendre du recul et comprendre ce que notre pays a vécu en ce jour funeste.

Ce premier texte retrace la soirée de la douzaine de nos membres présents rue de Charonne

Nous étions dans un bar du haut de la rue de Charonne. Un endroit que l’on fréquente souvent, boire un verre en asso, tout ce qu’il y a de plus normal. Nous sommes une grosse douzaine, arrivés en trois vagues plus ou moins chanceuses: les premiers ont pu s’installer sans souci, les 3 suivants sont arrives pile a temps pour qu’en s’installant un homme débarque dans le bar en déclarant de manière assez nonchalante avoir entendu des coups de feu. Il s’avèrera qu’il parlait de l’attaque de La Belle Equipe, à l’angle de la rue Faidherbe. Un dernier de nos membres, arrivant retardataire, s’est retrouvé nez à nez avec la scène, juste entre le départ des assaillants et l’arrivée de la police.

Nous commençons à recevoir des questions inquiètes de nos proches: ou êtes-vous ? Comment allez-vous ? On rassure des proches qui eux-mêmes nous inquiètent: couplés à internet ils sont notre unique source d’information quant a la conduite des événements. L’on apprend d’abord une fusillade à République. On comprend ensuite qu’avant République, c’était bien à quelques dizaines de mètres. On entend après une demi-heure parler du Stade de France. Une de nos membres y travaillait comme hôtesse: inquiétude; elle va bien, nous aussi, elle est rentrée chez elle, pas nous. On apprend aussi la mésaventures de notre retardataire entre-temps rentré chez lui par les réseaux sociaux. On ne peut s’empêcher de penser à ce sur quoi il est tombé en voulant nous rejoindre. On y pense, mais on ne l’a pas vu comme lui l’a fait. On entend parler du Bataclan. C’est où déjà, le Bataclan ? Boulevard Voltaire, pas loin.

Ah.

Plus de nouvelles. Le temps passe et l’on n’en sait pas plus; on entend des nombres de morts qui fusent par-ci, par-là. 18, 20, 60, 100… 120.

On entend dire qu’il faut se tenir écartés des fenêtres du bar: la quarantaine de clients qui allaient et venaient entre l’intérieur et l’extérieur de la salle sont désormais tous entassés a l’intérieur. 22h30, 23h, 00h: on se confine. Les gens commencent a partir au compte-gouttes. On continue a consommer: pour calmer la peur de certains, pour tout simplement le plaisir de ceux qui ne veulent pas se laisser intimider. Le climat est étrange: il y a un stress ambiant mais on ne se sent pas forcement légitime à paniquer quand on réalise ce qu’il s’est passé. On ne réalisera pleinement que le lendemain, de toute façon. Habitants aux quatre coins de Paris et ne désirant surtout pas nous séparer, nous restons, non sans houleux débats, confinés dans le bar. Les patrons des établissements de la rue de Charonne ayant vécu, assisté à l’attaque et aidé les secours nous rejoignent. Ils sont des amis du gérant. On entend l’horreur des événements vécus de très près. Et l’on attend. On n’ose pas. Situation trouble, intimidante ! Les consignes de la préfecture et du ministère de l’interieur sont appliquées à la lettre. Finalement, sur les coups de 5h du matin, nous trouvons un taxi qui peut se charger des sept d’entre nous restants sur place. Les autres ont trouvés des moyens pour s’en aller avant.

Soulagement.

Nos témoignages

Hommage de Manon Lescroart
Manon Lescroart

Depuis le Stade de France.

En ce jour funeste c’est un merci que j’ai choisi de dire. Merci à cet inconnu aux portes du Stade de France qui, même dans la panique et la confusion qui régnaient, m’a prêté son téléphone portable pour me permettre de m’échapper rapidement. Me permettre d’appeler un proche, de rassurer, de montrer que j’étais toujours là, que ce monstre qui a choisi d’exploser la population française présente et rassemblée pour un simple match de football avait échoué. Merci car par la suite, un mouvement de foule, une personne croyant avoir aperçu un objet suspect a poussé un hurlement et chacun s’est mis à courir, à pousser, à essayer de se sortir d’un enfer qu’ils croyaient avoir entr’aperçu. Le portable m’est restée dans la main, mais l’inconnu a disparu, lui. Merci pour la confiance et l’entraide, la sympathie, la solidarité. Le meilleur que chacun a choisi de faire sortir ce soir-là, alors que la terreur poussait à se retrancher, poussait à se méfier. Alors merci aux Parisiens qui ont ouvert leurs portes, aux (rares) taxis qui ont éteint leurs compteurs et ramené les gens chez eux, merci d’avoir été unis face à l’atrocité commise ce 13 novembre.

Marine Saint-Faust


Hommage

Pas de mots ? Peut-être bien, il faut les chercher

Puiser au fond de soi, dans la terre creuser.

Les traits sont durs et tous les visages fermés

Puisqu’en leur sein les vannes forcées, libérées

Déversent leurs flots de lancinantes pensées.

Les yeux fixés sur les événements, troublés

Les voient se répéter encore, futur passé.

De nombreux hommages, les slogans répétés

Dans les rues, comme un universel messager

Interpellent et témoignent, pour mieux rappeler

Les valeurs d’un pays, du monde mutilé.

A. C.


« J’étais en soirée » vendredi dernier. On était 20 dans un appartement, partageant des verres et des bons souvenirs. A la première alerte reçue sur un smartphone, j’ai dit : c’est sûrement rien, peut-être des pétards, à côté du Stade de France, ça arrive.

Nous avons vite constaté l’ampleur des événements. En tout cas, certains d’entre nous. Dans le groupe, des personnes refusaient de réellement voir la situation. La musique couvrait à peine les sirènes des ambulances qui remontaient la Seine. Comment réagir quand des fous plus suicidaires que terroristes passent à l’acte ? Je jonglais entre Twitter et Facebook pour savoir où était le danger, pour savoir si on allait pouvoir rentrer chez soi.

Un des étudiants présents a fondu en larme vers une heure, un amer mélange de tristesse, de peur et d’alcool. Il aurait pu être au Bataclan ce soir-là, il y aurait été s’il n’avait pas été invité pour cette soirée. Alors, on se dit qu’on aurait tous pu y être. Paris, une blessure à peine refermée saigne toujours plus facilement. Les terroristes n’ont pas frappé n’importe où. La mort est venue trouver la jeunesse parisienne, celle qui sort le vendredi soir, celle qui passe du temps avec ses amis, celle qui est encore étudiante, celle qui a besoin de repos après une journée de travail.

Je suis face au direct de l’information et je ne peux que me dire que ce n’est pas fini : nous allons devoir payer le prix des actes de fous. Est-ce que je me sens moins en sécurité ? Non. Par nature, le fanatisme peut frapper partout, il n’a aucune logique et ne respecte aucune règle. Reste qu’aller en guerre contre le fanatisme, c’est chasser des ombres. Paris doit briller de ses lumières pour les faire disparaître.  

Joseph Harari


Les textes suivants sont écrits par nos membres présents rue de Charonne pendant les attaques.

Paris, ville des lumières ; Paris, ville des Droits de l’Homme. En ce vendredi 13 novembre 2015, les lumières se sont éteintes sur la capitale ; les droits de l’homme ont étés bafoués. Devant l’horreur des évènements chacun reste muet, ne sachant quoi dire, ne sachant quoi faire. La terreur de cette soirée, l’inhumanité de certains hommes, nous en avons tous été témoins, chacun à notre manière.

Moi, je l’ai vécu de près, et pourtant de si loin. Vingt numéros, voilà la distance qui nous sépare de la fusillade rue de Charonne. L’endroit même où elle a eu lieu, nous sommes passé devant à peine vingt minutes plus tôt. Confinés dans un bar, déconnectés de la réalité, nous ne réalisons pas vraiment le tragique de la situation. C’est un mélange de peur, d’angoisse et d’incompréhension. Le réseau étant surchargé et les batteries devenant un bien précieux pour prévenir nos proches, les informations se font rares, souvent confuses. Le nombre de morts, les lieux d’attaques, rien n’est clair et nous préférons ne pas en savoir plus. Derrière moi j’entends une femme à bout de nerfs :  “j’ai vu cinq cadavres ce soir alors je peux bien pousser qui je veux”. Il faut dire que l’espace manque dans ce petit bar devenu un huis clos, l’oxygène aussi. Paradoxalement, la proximité avec le lieu de l’attaque me rassure un peu, je me répète que « s’ils sont partis d’ici, ils n’y reviendront pas », peut-être pour essayer de m’en persuader. Devant la porte, juste à gauche, deux militaires armés jusqu’au cou montent la garde. La rue est bloquée, le périmètre sécurisé, enfermés dans notre bar, nous attendons. L’attente semble interminable. Enfin, vers 2h du matin, certains d’entre nous réussissent à partir, j’ai la chance d’en faire partie, les autres devront attendre 5h.

Une fois chez moi, saine et sauve, je n’arrive pas à réaliser. Je n’ose pas allumer la télévision de peur que les images ne rendent la situation encore plus réelle qu’elle ne l’est déjà. Penser que j’étais aussi près d’une telle scène d’horreur me semble inimaginable. Je réalise avec effroi que nous n’étions pas si loin du Bataclan non plus. Je pense enfin à la chance que j’ai eu: 20 numéros, 20 minutes, qui m’ont sauvé la vie.

Blanche Chatelon


C’est avec une culpabilité certaine que je ressens aujourd’hui un soulagement, celui d’avoir évité le pire, celui que mes proches aillent bien.

Certains parlent de hasard, de coïncidence, on se retrouve au mauvais endroit, au mauvais moment, mais dans cette proximité tragique il aura fallu peu de choses pour au final être en sécurité, bien entouré et sauf. 20 minutes et 100m suffisent, voire quelques secondes.

C’est avec une émotion certaine que je découvre l’ampleur de ces attentats, que je vois ces images de souffrances, parfaitement injustes, tout à fait effroyables, et c’est à toutes les victimes, à tous les gens qui ont souffert que mes pensées vont.

Nous vivons dans un monde rongé par la haine, la démence et la violence, et ce sont des innocents qui en paient le prix. Mais nous sommes tous ensembles, unis dans cette épreuve, la solidarité et l’union nous portent vers des jours meilleurs, vers l’apaisement. Tous unis, tous avec Paris.

Neyl Tazi


Insouciant

Rendez-vous 21h, rue Charonne, je suis en retard. J’ai hésité toute l’après-midi à y aller. Bon si, allez, j’y vais, ça va être sympa. 21h. Je quitte la fac, prends les transports.

Inconscient, insouciant.

Je sors du métro, cherche le distributeur de billets, retire de l’argent. 21h30. Merde, mais je suis sur le boulevard Voltaire là, elle est où cette rue “Charonne” ? Demi-tour, elle est là, ça y est, j’en déchiffre le nom sur un panneau. J’entame la rue dans un sens. Merde, c’est le mauvais. 21h35. Je suis en retard. Dépêche-toi bordel, tu vas tout rater ! 21h40. Voilà, c’est bon, je suis dans le bon sens, dans la bonne rue.

Inconscient, insouciant.

21h45. Du bruit, des cris. Une bagarre? Un attroupement là-bas, au bar. Ils doivent être bourrés, comme tous les vendredis soirs dans Paris quoi… Je m’approche. Un attroupement s’est formé de l’autre côté du trottoir. « Tirs à la kalach ». « Des morts ». « Des dizaines de morts ». « Du verre brisé, partout ». Les informations fusent, qui croire, que comprendre ? Mais on parle de quoi là d’ailleurs ? Une fusillade ? Un règlement de compte comme à Marseille ? Mais, j’y pense, pourquoi pas un attentat ? Naïvement, je demande. « Évidemment que c’en est un ! » me répondent les clients qui se sont enfuis en courant, en cœur.

Inconscient, insouciant.

Les policiers sont là. Tant bien que mal, la circulation est régulée, un barrage installé, un périmètre de sécurité déployé. Les voitures dérapent. Les pneus crissent. Les sirènes. Premier camion de pompiers. Deuxième camion de pompiers. Troisième camion de pompiers. Quatrième camion de pompiers. Tout le monde court, s’active. Et moi, fixe, incrédule, j’observe. Les pompiers paniquent, courent. Les policiers dépassés, hurlent. Traumatisés, les gens tentent de se convaincre du chaos qu’ils ont vécu. Et puis, voir des corps… Merde, mais il faut que je parte d’ici ! Vite le métro ! Ce n’est peut-être que le début ! J’avertis tous les gens que je croise. Rentrez chez vous, allumez la radio, consultez les réseaux sociaux ! Bien que ce soit inutile, je ne résiste pas… Ils ne m’écoutent qu’à moitié, ne me croient qu’à moitié. « Encore un de ces tarés qui veut faire le buzz. ». « Eh l’autre, Charlie c’est fini hein. ». Et toujours, les sirènes.

Inconscient, insouciant.

Puis, les transports. Le retour. Nation. Station bondée. Une valise, seule, suspecte, là-bas. Non mais je suis parano… Pourquoi me regarde-t-il comme ça lui ? Serait-ce un des terroristes ? Les transports en communs parisiens. Je m’y sens tellement vulnérable, noyé dans la masse. Réveillez-vous ! Sortez de vos bulles ! D’autres attentats vont avoir lieu ! J’en suis maintenant parfaitement conscient. Rue de Charonne, ce n’étais que le début. Et ça m’angoisse, me révolte.

Inconscient, insouciant.

Chez moi. Horrifié, je découvre les 6 fusillades, les explosions au Stade de France, la prise d’otage au Bataclan. Et là, j’avoue que j’ai perdu espoir, que j’ai senti quelque chose s’effondrer. Abominable.

Samuel Abettan


Que dire de plus ? Que rajouter ? Tout est dit pour moi : les faits, les émotions, tout est là. Ne comptez pas sur moi pour un élan lyrique de tout genre:  indignation, peur, colère… (je n’en ressens même pas). Pourquoi ? Parce que je ne comprends pas, je ne réalise pas, et je crois que je n’en ai pas envie. Je ne fais pas partie des chanceux dotés d’une plume, qui arrivent à poser des mots sur leurs émotions, les miennes sont confuses et ne veulent pas se faire entendre. Une seule chose s’offre à moi et c’est cela : je suis chanceuse, très chanceuse. Les gens que j’aime vont bien, je vais bien. Égoïste ? Sûrement. Mais c’est l’unique chose à laquelle je pense après ce vendredi soir passé dans un huis clos incompréhensible. J’ai envie de continuer à vivre, je n’ai pas envie de réaliser ni même réfléchir à ce qui s’est passé, je veux juste profiter de ce qui m’a été laissé : la vie. Après l’attentat, certains osent demander plus de bière et le plateau de charcuterie qui se fait encore attendre. Et c’est ça que je veux : c’est oser vivre, car je ne réalise pas, et je ne réaliserai jamais. Après tout, the show must go on.

Laure Lamarque


Autour de moi, certains sont dans le déni total, pour ne pas sombrer dans la panique; d’autres s’efforcent de faire bonne figure, s’acharnent à vouloir s’occuper de tout le monde et maintenir le calme. J’en vois qui se terrent, leurs visages se ferment, ils fuient les regards, comme pour se protéger. J’observe tout cela, impuissante. Je suis inquiète, pour ma famille, je sais qu’ils se rongent les sangs. Au final, aucun d’entre nous n’a peur pour sa vie, mais le stress est comme une vague qui nous ravage. Nous baignons dans un climat d’irréalité complète. Tout le monde lutte à sa manière contre l’hystérie menaçante qui pèse de tout son poids dans l’air ambiant. Il faudra attendre que la salle bondée se vide petit à petit, que nous nous resserrions en un noyau minuscule au milieu du ce Paris de feu et de sang dont nous n’avons aucune conscience, pour que nos âmes s’apaisent. Nous étions à bout.

Anonyme


Dans cette petite salle remplie de monde, on n’a rien vu, rien entendu. J’étais au courant, je rassurais mes proches mais je restais ignorante et même insouciante : on continuait à s’amuser, du moins on essayait. Les visages devenaient plus tendus, fixés sur les téléphones, mais on continuait de rire, de boire sans se rendre compte pleinement de ce qui s’était passé à quelques pas de là. Ce à quoi toute cette jeunesse parisienne, avait échappé. Malgré les camions de police, puis les militaires, je ne pouvais pas me rendre compte de l’horreur : ce qui s’est passé relevait de l’impensable, l’inimaginable. Ce n’est qu’en rentrant, en allumant tout de suite la télévision que j’ai vu, que j’ai entendu. Après de longues heures dans une bulle d’ignorance, j’avais besoin de savoir. Les images, les vidéos et les témoignages me font alors découvrir l’ampleur. Mes pensées vont à toutes les victimes de ces actes d’une violence inhumaine et hideuse: ceux qui y ont perdu la vie, qui ont perdu un proche mais aussi ceux qui n’auront pas de séquelles physiques. Ces derniers ont été témoins de la pire des barbaries, et il s’agit d’une blessure au plus profond de soi que l’on garde à vie.

Sixtine Bigot


Les leçons à tirer sont aussi nombreuses que les responsabilités. Les analyses sont et seront divergentes: elles ne reflètent que les intérêts de ceux qui les produisent. Je n’aurai pas la prétention de dispenser les enseignements sociaux, politiques et religieux à tirer des événements récents.

Chacun sa manière de réagir, chacun son instinct. Le mien m’a donné peur pour ma vie dès les premiers instants. Agir, vite, faire quelque chose, reprendre le contrôle qui nous échappe. Cela n’aura pas été possible. Sentiment indescriptible que celui d’être passé si proches de tels événements tout en étant dans un aveuglement total.

De profondes pensées aux victimes et à leurs proches.

Lutter pour nos idéaux. Ne pas perdre espoir. Assumer les événements qu’une cynique “providence” nous a imposé. Et remercier je-ne-sais-quoi pour, ce soir-là, avoir été si chanceux aussi près du malheur.

Charles Moulinier-Becher


Ce bref récit, je n’aurais pas pu l’écrire samedi matin, à peine rentrée de cette nuit étrange vers 5h30. Fatiguée, même épuisée de toute la tension accumulée, je ne parvenais pas à distinguer quels sentiments m’envahissaient.

Mais hier matin, plongée dans un silence parisien inhabituel, la réalité m’a rattrapé et les images qui défilaient sur mon écran de télévision ont brusquement fait éclater ma bulle de protection : l’attaque a eu lieu au 92 rue de Charonne, j’étais avec des amis dans un bar que nous fréquentons régulièrement à environ 80 mètres du drame, quelques secondes de marche. Tremblante, je me suis soudain sentie incroyablement vivante et mes flots de larmes sont allés à toutes les personnes qui n’ont pas eu cette chance.

En janvier, j’étais enragée, en colère, indignée. Aujourd’hui, au-delà de mon sentiment de résistance et de mon esprit citoyen, je suis choquée. Car j’ai réalisé que vendredi soir j’étais une cible. Ce que ces monstres infâmes ont voulu attaquer dans ce nord-est parisien mi-bobo mi-prolo que j’aime tant, c’est nous : des jeunes libres. Libres de toute expression, de culte, de boire, de s’aimer, de s’embrasser. Ce n’était plus des journalistes identifiés ou une religion particulière.

Par ces quelques lignes, ce n’est pas tant mon expérience de cette soirée morbide que je veux relater. A 100m ou 100km du massacre, le résultat est que je n’y étais pas et que mes proches non plus. Mais ce que je veux écrire, c’est que je suis fière des valeurs de la France et que je continuerai à chanter, à danser, à crier, à m’exprimer. Des innocents sont tombés et par nos mots nous ne faisons que leur rendre hommage.

Paris c’est le symbole de la vie et de la liberté et quoi que fassent ceux qui tentent de nous déstabiliser, ça, ils ne le changeront pas.

Juliette Broudin


Ces précieuses quelques minutes

Oui, Maman, cette nuit, pendant que tu dormais, le monde a vibré, la France a tremblé, Paris a saigné, et moi j’ai pleuré. Non, ce soir-là, je n’ai pas eu mes cinq minutes de retard habituelles, tu sais celles qui vous font tellement râler avec Papa.

Ces quelques minutes…

Oui, Maman, quand tu regardes là carte de Paris, ce que tu vois c’est qu’entre République, la rue Bichat et le Bataclan, il y a mon appartement. Oui, hier, à 21h passée, je suis sortie de chez moi, je suis passée devant Goncourt, j’ai descendu la rue du Faubourg du temple pour prendre le métro à République. Là j’ai croisé deux amis avec qui on allait rejoindre les autres dans un bar. Dans un bar, rue de Charonne. Oui, Maman, hier, j’étais rue de Charonne, à une cinquantaine de mètres de la fusillade.

Seulement, on est passé là quelques minutes avant, juste le temps d’être à l’abri dans un autre bar. De 21h30 à 5h du matin, on est resté là : confinés, bloqués, mais vivants. Cette nuit dans ce bar, où les événements sont allés croissants, où la panique arrivait par instant, mais où le soutien et l’humanité étaient bien présents, cette nuit, je commence à peine à comprendre son déroulement. Elle me semble n’avoir duré que quelques minutes, mais ces quelques minutes paraissaient en même temps être une éternité. J’étais perdue dans cette bulle, ce cocon, où on ne se rendait pas vraiment compte, juste par moment, lorsque l’on voyait les lumières des gyrophares qui éclairaient la salle. Quand enfin, vers 5h, un taxi nous a tous ramené chez nous, que j’ai monté les escaliers, fermé ma porte, tourné la clé, tout s’est effondré. Dans ma tête tout était sombre, c’était brouillé.

Et puis j’ai commencer à réaliser, enfin je crois. Et c’est là que je t’ai appelé, c’est là qu’il a eu lieu, ce premier « Allô, Maman ? », qui précédait un flot de sanglots dans lequel nos deux voix se sont perdues. Je sais ce que tu penses Maman, tu te dis que là maintenant, cela pourrait ne pas être moi qui t’appelle.

Oui, je sais , avec des si on refait le monde. Seulement, je n’y peux rien, ces dernières 24 heures, mon cerveau n’est capable de faire que cela. Ces quelques minutes m’ont sauvé la vie, mais ces quelques minutes auraient également pu me la coûter. Et je m’en veux tellement de penser à tout cela, je devrais juste réaliser ma chance, mais c’est vraiment plus dur qu’il n’y paraît. Parce que la seule chose que je réalise vraiment c’est à quel point nos vies sont fragiles, qu’elles ne dépendent que de ces quelques minutes, et même qu’au final, nos vies elles-mêmes ne sont que la somme de ces quelques petites minutes, ponctuées de plus ou moins de chance et de hasard.

Tu sais, je vois tous ces gens qui disent « Même pas peur ! ». Ce qu’ils sont courageux, je les admirent. Mais je suis désolée Maman, je ne fais pas partie d’eux. J’ai peur Maman. J’ai peur car maintenant, il va falloir vivre. Ce quartier où j’ai tous mes points de repères à Paris, où je fais mes courses, où je prends le métro, où je marche, il est à sang, et moi je suis à vif. Et pourtant, il faudra bien aller de l’avant. Il faudra se lever le matin, traverser ce quartier, prendre le métro, aller en cours avec cette peur. En fait, il va falloir apprendre à vivre avec cette boule au ventre. Parce que l’on doit vivre pour ceux qui ne vivent plus, et se battre pour ceux qui ne le peuvent plus. Parce qu’il n’y a qu’une seule espèce humaine qui doit vaincre tout le reste qui n’est que monstruosité et abomination.

Oui, Maman, hier, j’étais rue de Charonne. Et maintenant, maintenant Maman, on fait comment ?

Elodie Graziani

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