La Cour permanente d’arbitrage (CPA) de La Haye a rejeté mi-juillet les prétentions territoriales chinoises en mer de Chine méridionale dans le litige qui l’oppose à Manille (Philippines). Pour Pékin qui revendique des « droits historiques » sur 80% à 90% des eaux stratégiques, la décision de la Cour est « nulle et non avenue ».
Avec un titre aussi équivoque, difficile de fermer les yeux sur la situation géopolitique en mer de Chine méridionale. Sur fond de conflit territorial et maritime la Chine, l’Indonésie, le Vietnam, Brunei, Taïwan, la Malaisie et les Philippines se disputent le partage de centaines de petits îlots et récifs des archipels coralliens de la région, sur une zone de 500km2. Parmi eux, les archipels quasi-inhabités Spartleys et Paracels. A force de parler des instabilités moyen-orientales, on en oublierait presque l’Asie… Mais ne vous y trompez pas, la mer de Chine méridionale navigue entre enjeux géopolitiques et débordements violents ; discrète poudrière, elle pourrait surprendre par le jeu des alliances.
Un conflit discret aux enjeux considérables
Si la taille des archipels et îles contestés peut sembler dérisoire leurs enjeux ne sont toutefois pas à négliger. Pour mesurer ces derniers, il faut faire intervenir la notion de zone économique exclusive (ZEE). Depuis 1982, la convention des nations unies sur le droit de la mer reconnaît une zone exclusive d’exploitation maritime jusqu’à 200 miles depuis la frontière. Dès lors, la maîtrise d’une île implique le contrôle de la ZEE qui y est associée. Pour l’anecdote, la France est la deuxième puissance maritime mondiale derrière les Etats-Unis avec 11 millions de km2. Quand on sait que plus d’un tiers du commerce maritime mondial transite par la mer de Chine méridionale, et en particulier par le détroit de Malacca, qu’on y trouve environ 10% des ressources halieutiques[i] mondiales, soit de quoi subvenir à l’alimentation de centaines de millions de personnes et que l’amélioration des techniques de forage en pleine mer ces dernières années permet l’exploitation des richesses d’hydrocarbures sous-marines, on saisit toute l’importance géostratégique de la maîtrise de ces eaux.
La « grande muraille de sable »
Pékin l’a bien compris : la maîtrise du détroit de Malacca et de ces récifs peut constituer un avantage stratégique décisif. Jouant les gros bras face aux prétentions territoriales des pays avoisinants, le colosse chinois s’affirme furtivement dans la zone grâce à la construction d’une « grande muraille de sable ».
Pour générer une ZEE, une île doit être émergée et habitée. Or la plupart des atolls disputés en mer de Chine méridionale ne le sont pas, faute de terre cultivable et d’un climat favorable. Pour y remédier, la Chine a progressivement mené des opérations de remblais et d’occupation des récifs. 7 îles artificielles chinoises sont ainsi « sorties de l’eau » dans l’archipel Spartleys. Des clichés satellites révèlent même l’établissement de bases militaires et l’installation progressive de missiles balistiques chinois sur ces terre-pleins créés de toutes pièces.
Alors que les porte-paroles chinois affirment que la construction de ces postes-avancés garantirait le maintien de la stabilité des eaux qui sert le développement de la Chine et de ses voisins, la communauté internationale, et en particulier le Pentagone, craignent une occupation militaire qui assurerait un déploiement immédiat et total en cas de conflit ouvert.
De dangereuses exaspérations diplomatiques
Evidemment, l’imbroglio diplomatique et l’inégal poids des pays impliqués dans le conflit profite à Pékin. La deuxième puissance mondiale espère bien s’affirmer dans les relations internationales en jouant des coudes pour taire les prétentions territoriales de ses voisins mais attise en réalité une dangereuse exaspération diplomatique. Très à l’aise dans la gestion des conflits bilatéraux, la Chine rechigne néanmoins à s’asseoir à une table de négociations multilatérales. Symbole de l’escalade des tensions et de l’impasse diplomatique : la surenchère sécuritaire et la militarisation des territoires.
Tout prend dès lors un goût de fuite en avant. Pour la troisième année consécutive, le Japon, en conflit diplomatique avec Pékin à propos des îles Senkaku en mer de Chine orientale, augmente son budget alloué à la défense. L’Australie, inquiète de ses intérêts, renouvelle sa flotte sous-marine suite à un contrat record avec la France. A l’est du Japon, c’est la Corée du Nord qui capte l’attention médiatique et diplomatique à coup d’essais nucléaires.
Déterminés à assurer leur rôle de « gendarme du monde », les Etats-Unis ont pressenti le déplacement du nouvel épicentre des conflits en Asie du Sud-Est et ont de fait amorcé « un pivot » de leur diplomatie, depuis le Moyen-Orient vers la mer de Chine. Mais ce pivot vers l’Asie est également militaire : plus de 60% de l’US Navy est maintenant présente dans cette zone et les entraînements collectifs avec le Vietnam, l’Indonésie ou les Philippines se multiplient.
Un conflit déterminant à tous les niveaux
S’il est une question qui commence à inquiéter, c’est bien celle-ci : une étincelle pourrait-elle déclencher la « poudrimer » des eaux de Chine méridionale ? La plupart des experts sur la question voient dans ce litige une potentielle guerre ouverte, voire mondiale, par le jeu des alliances même s’ils restent lucides : entre puissances rivales et partenaires potentiels l’équilibre ne tient qu’à un fil. Si la guerre est improbable, elle n’est pourtant pas impossible.
Xi Jinping s’engage dans un jeu risqué : il entend bien faire valoir la nouvelle position de leader de son pays sur la scène internationale tout en en refusant les règles. Or il a face à lui un autre géant, les Etats-Unis, qui ne demandent qu’à profiter de cette aubaine pour réaffirmer leur présence et leur influence dans cette région du monde : le bras de fer est engagé entre le gendarme américain déclinant et le symbole de l’émergence asiatique.
[i] Définition halieutique : qui concerne la pêche, notamment la pêche en pleine mer