Directeur juridique de l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) depuis deux ans et demi, Frédéric Guerchoun connaît bien la maison. Présent depuis les débuts de l’institution en 2010, il a gravi tous les échelons : juriste, adjoint au directeur juridique, et aujourd’hui directeur juridique. Fin janvier a été inaugurée par le secrétaire d’Etat aux sports Thierry Braillard une plateforme nationale de surveillance de paris en ligne. Un secteur en pleine croissance, contrôlé par l’ARJEL, autorité administrative régulant les jeux d’argent sur internet en France.
Parmi les missions de l’ARJEL figure la lutte contre la fraude et le blanchiment d’argent. En quoi consiste cette mission ?
L’ARJEL met en œuvre deux séries d’actions pour lutter contre la fraude et le blanchiment d’argent. La première vise les opérateurs illégaux. Nous les signalons au procureur de la République et nous saisissons le tribunal de grande instance de Paris, afin de bloquer ces sites illégaux. La deuxième série d’actions concerne les opérateurs agréés par l’ARJEL. Concernant le blanchiment, les opérateurs ont une obligation de déclaration de soupçon. Nous contrôlons également les opérateurs, à travers la Commission nationale des sanctions. Et concernant la fraude, les opérateurs agréés doivent rendre à l’ARJEL un rapport annuel. La lutte contre la fraude est l’objectif majeur des opérateurs, puisque leur crédibilité est en jeu.
Dans le cadre des paris sportifs en ligne, contre quelles fraudes luttez-vous ?
L’ARJEL n’a pas pour mission de lutter contre la fraude en tant que telle. Nous nous assurons seulement du fait que les parieurs français ne soient pas lésés par des événements dangereux, que nous identifions grâce à un double contrôle. Tout d’abord en amont, en décidant d’une liste de compétitions autorisées par l’examen de l’actualité sportive et de la structure de la compétition. Puis en aval, en analysant les mises enregistrées. C’est à ce moment-là que nous identifions si une mise est « normale » ou « anormale », à l’aide de schémas, d’indicateurs et d’informations fournies par nos opérateurs agréés.
L’ARJEL n’avait constaté aucune anomalie sur le match de Ligue 2 Caen-Nîmes de la saison 2013-2014. Pourtant, ce match a fait l’objet de soupçons d’arrangement. Nîmes a même été sanctionné de huit points de pénalité pour la saison 2015-2016. Comment s’assurer à 100 % que cette manipulation n’a pas pour origine ou pour cause les paris en ligne ?
Les informations dont nous disposions sur le match Caen-Nîmes ne révélaient aucune anomalie. Le montant des mises était normal. Il y a peu de fraudes en ligne. Internet ne se prête pas à la fraude, ce n’est pas le bon vecteur. Pour parier en ligne sur un site agréé par l’ARJEL, les parieurs doivent ouvrir un compte et fournir un justificatif d’identité ainsi qu’un relevé bancaire. Une personne qui voudrait manipuler une compétition et parier ensuite en ligne serait donc malavisée. Les paris physiques se prêtent plus à la fraude, en raison du relatif anonymat qu’ils assurent.
Seize opérateurs sont aujourd’hui agréés par l’ARJEL. Sur quels critères attribuez-vous un agrément aux sites de paris sportifs en ligne ?
Les critères pour agréer un site de paris ne sont pas fixés par l’ARJEL, mais par la loi et le cahier des charges que doit remplir un opérateur souhaitant obtenir un agrément. Pour être agréé, un opérateur doit être capable de mener durablement son activité, assurer la protection de l’ordre public et n’avoir jamais eu de condamnation pénale. Le projet économique de l’opérateur doit être viable, car il doit garantir le paiement des joueurs. Ce système est assez exigeant.
Depuis la légalisation des paris en ligne en France en 2010, comment évolue le secteur des paris sportifs en ligne ?
Depuis 2010, le secteur des paris sportifs en ligne connaît une forte croissance. Les Français sont demandeurs de paris sportifs. Mais les nouveaux entrants sur le marché se font rares, seul Winamax est rentré sur le marché récemment. Quant à l’offre illégale, elle est très réduite, pour une raison simple : les parieurs trouvent leur compte dans les sites légaux français.
Les cotes proposées sur les sites agréés sont nettement inférieures à celles proposées sur les sites étrangers, notamment en Angleterre. Pourquoi les cotes françaises sont-elles plus faibles que dans d’autres pays ?
L’ARJEL n’a aucun impact sur les cotes françaises. La définition des cotes par les opérateurs est le résultat d’un calcul économique. En revanche, le contexte économique dans lequel évolue l’opérateur peut influer sur les cotes, tout comme la fiscalité qui pèse sur lui et ses coûts de production. Quant à la valeur des cotes, les cotes françaises sont aussi attractives que les cotes étrangères, comme le montre le développement des paris sportifs en France. On pourra trouver des cotes très intéressantes sur des sites étrangers, mais dont l’honnêteté pourra être interrogée. Il est très facile de proposer des cotes attractives lorsqu’on est installé dans un paradis fiscal et qu’on ne paie les joueurs qu’une fois sur deux.
Existe-t-il des textes de loi européens concernant la fraude relative aux paris en ligne ?
En octobre 2014 a été signée la convention du Conseil de l’Europe sur la manipulation des compétitions sportives. Au sein de cette convention, un volet est consacré aux paris sportifs. Le but de ce texte est de faciliter la circulation des informations entre Etats membres du Conseil européen, afin d’éviter au maximum les fraudes. En revanche, il n’existe aucune législation européenne en matière de lutte contre la fraude relative aux paris en ligne. Les Etats membres de l’Union européenne sont libres de déterminer leurs propres dispositifs de lutte. Dans le cas français, le secrétaire d’Etat aux sports Thierry Braillard a inauguré fin janvier une plateforme nationale de surveillance de paris en ligne. Cette plateforme est le fruit d’une initiative européenne initiée en 2012. Elle vise à améliorer la circulation de l’information relative aux paris en ligne entre les pays européens. L’ARJEL est bien évidemment impliquée dans le dispositif, tout comme le mouvement sportif, le ministère de l’Intérieur ou encore le ministère de la Justice.
Le gendarme français des jeux d’argent en ligne
L’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) est une autorité administrative indépendante (AAI), créée par la loi du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne. Elle a été conçue pour réguler les jeux d’argent sur internet en France, comprenant les paris hippiques, les paris sportifs et les jeux de cercle comme le poker. Charles Coppolani préside l’ARJEL depuis le 24 février 2014. Chef du service du Contrôle général économique et financier au ministère de l’Economie et des Finances depuis 2006, il est aussi président de l’Observatoire des jeux depuis la création de cette instance en 2011. L’ARJEL est pourvue de cinq missions : délivrer des agréments et s’assurer du respect des obligations par les opérateurs, protéger les populations vulnérables, lutter contre l’addiction, s’assurer de la sécurité et de la sincérité des opérations de jeux, lutter contre les sites illégaux et lutter contre la fraude et le blanchiment d’argent. L’ARJEL joue donc un rôle majeur dans l’univers des jeux d’argent en ligne en France.