Alt-J (∆) est un groupe de rock alternatif anglais que j’ai découvert récemment, avec la chanson dont je vais vous parler. Ils ont un style assez particulier, avec un joli travail de la voix du chanteur Joe Newman, des clips très esthétiques et des sonorités intéressantes, pas toujours conventionnelles.
Le groupe est assez récent : il a été formé en 2007 mais s’est vraiment fait connaître en 2012 avec leur album An Awesome Wave et notamment leur titre Breezeblocks. Leur dernier album en date, This is All Yours, est sorti au mois de septembre.
Breezeblocks. Parpaings. Cette chanson intrigante concentre les qualités que j’ai citées plus haut avec une mention spéciale pour son clip. Pourquoi ? Parce qu’il est à l’envers : on commence par la fin de l’histoire et on remonte le temps. Et ça ne veut pas forcément rien dire. Cette histoire je vais vous la raconter, et vous montrer comment Alt-J (∆) réussit à le faire avec sa musique, ses paroles et ses images. C’est un alliage de trois arts, où la plume est importante.
- L’amour, la mort
. Breezeblocks, c’est l’histoire d’une dispute, d’une lutte entre un homme et une femme, dont la finalité est un meurtre. Ce qui est bien fait, c’est que cet affrontement, on le ressent sans le voir, dans la mélodie et dans les mots. Lorsqu’on écoute Breezeblocks, son refrain ainsi que la rupture qui l’introduit sont très énergiques : la batterie tient un rythme soutenu, comme par salves de coups qui s’échangent. Au niveau des paroles, c’est un duel qui nous est narré : « muscle to muscle and toe to toe », un face à face physique qui a pour finalité tragique la mort : « as my eyes shut ».
L’intérêt de l’analyse ne repose pas sur les faits, mais plus sur leurs motivations. Essayer de comprendre pourquoi cet homme et cette femme en sont arrivés là. Bien que Alt-J (∆) et Ellis Bahl, le réalisateur du clip, laissent une liberté d’interprétation, il y a des éléments dans le clip vidéo qui permettent de comprendre ce qu’il se passe.
Un homme rentre chez lui, et trouve sa femme, ligotée, bâillonnée et enfermée dans le placard. Comment sait-on que c’est sa femme ? Tous deux portent la même alliance (si, regardez bien). Arrive par derrière une autre femme, armée d’un couteau, prête à s’en servir. Enfin s’engage le fameux affrontement entre l’homme et cette femme, à base de bouteilles brisées et d’armoires renversées. Le mari finit par s’emparer d’un parpaing (qui était une partie d’une étagère « design »). La femme l’agrippe, essaie de lui retirer, en vain. C’est précisément à ce moment que la situation dégénère, la femme fuit vers la salle de bain, l’homme la poursuit. Arrivés en face de la baignoire, le parpaing s’abat sur la femme, qui tombe et se noie.
Beaucoup de questions sont soulevées, et notamment : qui est cette femme ? Elle est probablement une ex du mari, si l’on en croit le parallélisme entre des plans de l’alliance de l’homme et d’autres de la main de la victime, où il n’y a pas de bague. Cette ex, jalouse, névrosée, un peu folle, avait surement l’intention de tuer l’épouse en faisant passer ça pour un accident (une noyade dans la baignoire peut-être), dans le but désespéré de récupérer le mari. Acte de désespoir, dernier recours : si on considère la fin de la chanson « please don’t go, I’ll eat you whole I love you so », l’ultime raison de la femme transie n’est alors que l’amour et elle désespère de le retrouver en le matraquant de « je t’aime » et de supplications.
- L’envers et l’endroit
Voyez donc la complexité de cette chanson ou du moins des inextricables sentiments qu’elle aborde. Ce n’est pas un hasard que le clip soit « à l’envers ». Il y a deux sens possibles à cette histoire. On est tenté de revoir le tout dans l’ordre chronologique réel : le mari rentre, sauve sa femme et tue « accidentellement » son ex. L’amour est sauf, la jalousie vaincue (et l’amoureux en prison). Cependant, regarder le clip dans l’ordre « original » dessine une toute autre histoire : on voit l’homme qui fait presque revivre son ex et choisit de revenir vers elle. Ils évoluent alors dans l’appartement où ce qui a pu être brisé par le passé se reforme, se répare, tout se remet en ordre progressivement, et puis le clip se clôt sur le mari qui fait taire sa femme et s’en va nonchalamment. C’est un point de vue qui passe sous silence quelques détails certes, mais l’ambigüité est là, bien présente. Le clip aurait pu être dans le sens chronologique normal dès le départ mais ce n’est pas le cas. La dualité d’interprétation n’est donc pas à négliger, dualité du choix qui peut se poser au mari, dualité de l’amour.
Les paroles n’y échappent pas. Il est compliqué de déterminer un point de vue fixe pour tout le texte. Il peut en effet varier selon les passages et selon l’interprétation qu’on lui donne. C’est notamment le cas pour l’extrait de la fin déjà évoqué : soit on considère que c’est l’ex qui s’exprime, soit que c’est l’homme qui, pris de regrets après la mort de la femme, tente désespérément de la faire revenir car, au final, il l’aime, elle a gagné, il faut qu’elle revienne.
Tentez maintenant de revoir l’histoire en considérant que la femme est une maîtresse. Et ça marche : le mari a le même argument en béton. Faute noyée, à moitié pardonnée ?
Marion
22 Oct 2017Je crois qu’il y a une erreur d’interprétation sur la chanson elle-même. Les paroles sont explicites : elles décrivent une relation abusive entre un homme et une femme. Ce n’est pas une histoire qui tourne mal, mais de la violence conjugale. Les paroles : «break down, now weep, build up breakfast, now let’s eat, etc.» montrent que la relation qui unit l’homme qui tue et la femme qui est tuée (et mangée, à la fin de la chanson : I love you so, i’ll eat you all) est quotidienne. Et que la relation d’emprise dégénère en meurtre lorsque la femme tente de s’enfuir, comme c’est malheureusement le cas dans les situations de violence conjugale. S’il vous plaît, ne réduisez pas à un conflit inexplicable entre deux personnes ce qui relève d’une domination sociale.