Jack White l’irrésistible

                Hyperactif du rock’n’roll, idole vénérée par ses fans comme un demi-Dieu là où ses détracteurs ont du mal à le décrédibiliser tant il ne se repose jamais sur ses acquis, Jack White a su s’imposer comme le visage du renouveau du Rock depuis le début des années 2000. Retour sur la carrière de ce musicien, auteur de l’hymne incontesté des fêtes en tous genres qu’est devenu Seven Nation Army, dont le dernier album solo, Lazaretto, sorti en juin dernier est un succès tant commercial que critique.

                Cadet de dix enfants dans une famille très catholique d’origine polonaise, John Anthony Gillis grandit au sein du Detroit des années 1980/1990, en plein boom des musiques hip-hop et électronique. Au contact de ses frères et sœurs, dont beaucoup sont musiciens, le futur guitariste commence comme… batteur. « Everyone plays guitar. What’s the point? ». Formé à la punk music par son mentor dans un atelier de tapisserie, Jack se fait les dents dans les formations underground de la Motor Town où il passe très vite de derrière les fûts à l’avant de la scène, armé d’une guitare et d’un micro.

                Accompagné à la batterie de sa femme Meg White – dont il prit le nom à leur mariage, Jack devient le chanteur-guitariste de The White Stripes. Plutôt que des rejetons geignards, le couple enfante trois albums entre 1997 et 2001 : The White Stripes, De Stijl et White Blood Cells, leur premier grand succès international et pour beaucoup de fans leur chef-d’œuvre. Le style, « maelströmesque », sera surnommé punk-blues. Teinté de rock’n’roll, de southern blues des années 1930 mais aussi de folk et de country, il est à la croisée de Bob Dylan, Son House, Led Zeppelin et Nirvana. En 2003 sort Elephant. Son nom lui est particulièrement seyant puisque c’est cet album qui fait office de poids lourd dans la discographie du duo : les White Stripes obtiennent un succès sans précédent. Premier aux charts anglais et huitième aux USA, il obtient deux Grammy Awards : celui du meilleur album de musique alternative et celui de la meilleure chanson rock pour Seven Nation Army. Régulièrement classé parmi les meilleurs albums de tous les temps, il est la plus grande réussite critique et commerciale du groupe. Les deux galettes suivantes, Get Behind Me Satan (2005) et Icky Thump (2007), complètent la discographie des White Stripes en développant chacune des ambiances exclusives avec plus ou moins de succès auprès du public. Après une fin de tournée annulée en 2007 à cause des problèmes d’anxiété de Meg, un DVD documentaire et de nombreuses rumeurs sur un nouvel album, le groupe finit par se séparer en 2011.

                Et puis, plus rien ?

Vraiment ? On parle ici de l’hyperactif du rock’n’roll. En 2001 déjà, il fondait son propre label indépendant pour conserver ses droits sur ses disques, Third Man Records. Depuis le début de sa carrière, M. White sait occuper son temps, de petits passages au cinéma comme dans le Coffee and Cigarettes de Jim Jarmusch en morceaux composés occasionnellement comme Another Way to Die, chanson d’ouverture du James Bond Quantum of Solace.

                En 2005, White fonde un second groupe, The Raconteurs, avec Brendan Benson (connu aux Etats-Unis pour sa carrière solo), Jack Lawrence et Patrick Keeler (tous deux membres de The Greenhornes, groupe de garage-rock de Cincinnati). Un premier album sort en 2006, Broken Boy Soldier, suivi de Consolers of The Lonely en 2008, tour à tour encensés par les critiques. Porteurs d’un rock alternatif très influencé de country et de folk, ces albums n’ont rien à voir avec ceux du troisième groupe qu’il fonde par la suite en 2009, The Dead Weathers. Accompagné d’Alison Mosshart des Kills, Dean Fertita des Queen of the Stone Age et de Jack Lawrence, ils produisent eux aussi deux albums d’un son poisseux, très bluesy, sombre et flippant : Horehound et Sea of Cowards. Un troisième devrait voir le jour en 2015. En plus de mener de front plusieurs formations, Jack White s’est mis à produire de nombreux artistes sur son label. Installé à Nashville en 2009, celui-ci est devenu un véritable centre de création musicale, à la fois disquaire, studio et salle de concert. Passionné de vinyles, Jack White pensait simplement ouvrir une petite boutique pressant et vendant ses propres pièces. Mais voilà, ça marche, et même très bien : les vinyles se vendent, en masse (600 000 en 3 ans) et le « Third Man Record Store » devient même une attraction touristique à Nashville.

                En 2012 sort son premier album solo, Blunderbuss, grand succès critique qui sera suivi en 2014 par un second album dans la même veine, Lazaretto. S’imprégnant de la culture sudiste dans laquelle il baigne depuis quelques années, ce sont des albums rock’n’roll très empruntés de country (et même pour certains morceaux d’une once d’hip-hop !) qui ne renient pas pour autant totalement ce qu’il avait fait auparavant.

                Tout cela pour dire quoi ? Jack White est un génie. Un excentrique. Un Willie Wonka. Un Led Zeppelin sans problèmes d’héroïne(s). Jack White, c’est la rencontre d’une curiosité sans limite avec une sensibilité profonde et un talent qui parait inné. Jack White, c’est aussi toute une philosophie de l’authentique, de l’honnêteté et du perfectionnisme. Franc et sincère avec son public, il met un point d’honneur à improviser ses setlists lors de chaque concert, durant lesquels il donne tout, à chaque fois. Il cherche constamment à restituer la tangibilité de la musique, ce qui est facilement illustré par sa quête du vintage et du vinyle. Jack White, c’est le genre de type qui part en tournée avec deux groupes d’accompagnement pour son album solo et qui ne prévient que le matin même les musiciens qui joueront le soir, histoire de créer une ambiance de défi et de pousser chacun à se dépasser. Et je vous promets que ça marche, pour avoir vu Jack White et ses « Buzzardos » retourner un Olympia dont le public ne semblait pas forcément facile d’accès.

                Jack White n’est pas un « regressiste » comme pourraient le laisser penser son rejet du numérique ou son amour pour la country et son admiration de dinosaures comme Loretta Lynn ou Tom Jones. Au contraire, progressiste tant dans ses idées que dans sa musique, il nous prouve que l’objet physique, la musique organique, celles des instruments et des platines vinyles, ne peuvent être définitivement mise de côté face au virtuel. Il nous démontre que l’authentique et le véritable valent mille fois l’intangible : il n’aime d’ailleurs pas beaucoup ces appareils photos-smartphones face à lui dans les mains d’un public qui oublie de vivre l’instant. L’homme, qui se dit fils de « his biological father, God and Bob Dylan », a jusqu’à aujourd’hui mené une carrière riche et dense, qui n’a tenu qu’à un fil : adolescent, alors qu’il s’apprêtait à partir au séminaire (sa période pieuse lui étant depuis passée), il réalisa que son nouvel amplificateur pour guitare n’y serait certainement pas accepté. Et Jack White de rester.

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