On a tous appris ce qu’était la « diagonale du vide » en cours de géographie : un grand espace qui traverse la France des Ardennes jusque dans les Landes, en passant par la région Centre. La diagonale serait un territoire inhabité et éloigné de toute civilisation. “Rien à voir — vous pouvez circuler”. Rassurez-vous, camarades ruraux qui lisez ces lignes, on n’ apprend plus aux écoliers ce qu’est la diagonale du vide dans les écoles françaises ! En plus d’être inexact, ce terme urbano-centré réduit les univers dans lesquels nous avons grandi à … du vide. Parler de “territoire peu densément peuplé” (avec moins de 30 habitants au km²) semble plus adapté à la réalité et plus neutre. 40 % du territoire français a une faible densité et 4 millions d’habitants y vivent;. Mais ces espaces ne sont pas des territoires uniformes, nos régions ont chacune leurs traditions et leurs histoires.
Chérissons ces spécificités et cultivons cette fierté rurale non pas par opposition aux villes, mais pour elle-même. Soyons fiers d’habiter ou d’avoir habité ces territoires.
De nouveaux habitants viennent habiter nos territoires et qu’ils en soient les bienvenus. Des campagnes de marketing territorial sont menées depuis plusieurs années à destination de potentiels nouveaux habitants pour promouvoir nos espaces. Bien que ces campagnes permettent de ne plus présenter nos territoires ruraux sous un angle misérabiliste comme ce fut le cas ces vingt dernières années, elles n’en tombent pas moins dans une vision romantique de la ruralité. Cet écueil décrit des campagnes dans lesquelles l’on mènerait une vie au ralenti en écoutant les oiseaux chanter et où chacun serait pétri de bonnes attentions (quel enfer). Cette vision idéaliste, fausse et dépolitisée invisibilise les véritables problématiques de nos territoires, car ce récit n’est pas celui de celles et ceux qui y vivent. Encore une fois, le récit produit sur les campagnes est confisqué aux ruraux, faisant d’eux une « classe objet », au sens Bourdieusien, où les acteurs seraient privés de leur propre définition.
Ainsi, nous avons besoin de faire entendre nos voix de jeunes ruraux pour orienter les politiques publiques dans une perspective d’aménagement de nos territoires.
Nous aimons les régions d’où nous venons et nous sommes conscients de leurs difficultés spécifiques : chômage, éloignement des services publics, déserts médicaux et psychiques, suicides des agriculteurs, isolement, mobilité… Ces sujets spécifiques à nos territoires nécessitent des politiques d’aménagement ambitieuses et pensées à moyen et long terme. Les habitants de ces territoires payent des impôts et contribuent à la création de larichesse nationale, il est donc normal qu’ils puissent bénéficier de services publics de qualité égale aux espaces urbains et à proximité de leur lieu d’habitation. Nos territoires ne sont pas que des lieux de repos où l’on vit le week-end ou pendant les vacances : ce sont des lieux de vie.
Si une grande partie d’entre nous hésite à revenir sur le territoire qui l’a vu grandir, c’est aussi pour des raisons professionnelles. C’est un fait : les espaces urbains concentrent plus d’emplois qualifiés que les zones rurales (Roullier, 2011),. Mais nos territoires ne sont pas condamnés à l’inertie.
Comme le dit la sociologue et philosophe Dominique Méda : « Si on veut changer le monde, il faut faire de la politique ».
La gauche a un rôle de premier plan à jouer dans les problématiques rurales. Si le vote RN, aux variables multiples et complexes, s’est installé chez une partie de l’électorat rural, cette situation n’est pas définitive. Ne nous résignons pas face au flot de nouvelles toujours plus abracadabrantesque. Pour une reconquête politique de nos campagnes, intégrons dans nos luttes intersectionnelles les inégalités territoriales. N’ayons pas peur, à gauche, de nous réapproprier nos langues régionales et nos traditions locales qui durant trop longtemps ont été invisibilisées. Il est temps de se réapproprier le récit de nos ruralités, qui trop longtemps nous a été confisqué pour faire entendre nos voix de jeunes ruraux. Ne tombons pas dans l’écueil de l’anti-citadisme, la France est riche de ses territoires ruraux comme urbains, maillages essentiels de son histoire et de celle de demain.