Déchéance de nationalité : d’une mesure symbolique au débat sans fin

Déchéance de nationalité : d’une mesure symbolique au débat sans fin

Tout a commencé aux lendemains des attentats de Paris et Saint-Denis, le lundi 16 novembre, lors de la réunion du Parlement en Congrès à Versailles. Le Président de la République a fait siennes des propositions martelées par ses opposants en matière de lutte contre le terrorisme. Une menace omniprésente et jusqu’alors trop sous-estimée selon l’opposition. Son discours témoignait de la volonté de prendre les choses en main et lutter encore plus fermement contre le fléau de ce début de siècle. L’accueil favorable des parlementaires reçu ce jour-là témoignait de la possibilité d’une union nationale. L’inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution n’est qu’une des mesures parmi le flot de propositions de l’exécutif, mais c’est sans doute celle qui a soulevé le plus de questions quant à sa portée, supposément « symbolique », sa pertinence, et surtout son efficacité en matière de lutte anti-terroriste.

Article 2 du projet de loi constitutionnelle :
« Une personne peut être déchue de la nationalité française ou des droits attachés à celle-ci lorsqu’elle est condamnée pour un crime ou un délit constituant une atteinte grave à la vie de la nation ».

Un français doté d’une seule nationalité pourrait ainsi être déchu de sa nationalité… et se retrouver apatride !

Initialement, le gouvernement prévoyait que la déchéance de nationalité ne concerne que les binationaux, mais cela impliquait une inégalité de traitement entre les citoyens, fort peu compatible avec les principes de la République. La mesure a donc été élargie à tous, afin de pallier à l’inégalité, mais soulevant par la même occasion de nouvelles questions. Un français doté d’une seule nationalité pourrait ainsi être déchu de sa nationalité… et se retrouver apatride ! La dernière version du texte prévoit aussi d’élargir la déchéance de nationalité aux délits, et non plus seulement aux crimes.

La Constitution existe avant tout pour garantir les droits de l’homme et du citoyen et organiser la séparation des pouvoirs.

Une révision de la Constitution n’est pas un geste anodin. Elle doit être votée dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et par le Sénat, puis approuvée à la majorité des 3/5 du Parlement réuni en Congrès à Versailles. Soulignons que la Constitution, norme suprême, n’a pas pour rôle de devenir le garant de mesures autoritaires. La déchéance de nationalité fait partie de ces mesures qui ont pour vocation de « punir » les terroristes. Mais la Constitution, elle, existe avant tout pour garantir les droits de l’homme et du citoyen et organiser la séparation des pouvoirs.

Un débat qui divise.

Cette mesure interpelle. Les sondages montreraient une société française plutôt favorable, tandis que de nombreux universitaires ainsi qu’une part significative des politiques y sont profondément opposés. Chez les militants et au sein de la classe politique, le débat est vif ; au Parti socialiste peut-être plus qu’ailleurs. Il y a ceux qui soutiennent le gouvernement et les autres qui dénoncent le temps perdu sur la révision constitutionnelle alors les problèmes socio-économiques ne manquent pas. A droite, l’embarras est de mise. On a beau être d’accord avec la mesure en soi, voter pour, c’est aussi contribuer à une victoire du gouvernement, dont on a maintes et maintes fois combattu et dénoncé les semblants de réformes et l’inertie.

Cette mesure a pointé du doigt les binationaux et laissé planer sur eux une menace, un soupçon illégitime.

Puis vînt le coup de tonnerre place Vendôme, le 27 janvier dernier. La Garde des Sceaux démissionne juste avant le lancement du débat parlementaire. Cinq jours plus tard, son essai Murmures à la jeunesse se pose sur les étagères de nos librairies. Christiane Taubira y évoque le péril terroriste en général, puis s’attaque à la question de la déchéance de nationalité, dont elle souligne « l’inefficacité » en tous points. Elle écrit : « Que serait le monde si chaque pays expulsait ses nationaux de naissance considérés comme indésirables ? Faudrait-il imaginer une terre-déchetterie où ils seraient regroupés ? ». Par le biais de cet acte politique fort et inédit, car signé de la plume d’une ministre encore en exercice, elle invite à s’interroger sur les causes qui poussent l’individu à passer à l’acte. Après tout, qu’on se le dise, le terrorisme n’a ni frontière ni nationalité. Une telle mesure n’aura aucun impact sur un individu perdu dont le but n’est que de répandre la haine et la violence autour de lui. Tandis qu’en attendant, cette mesure a pointé du doigt les binationaux et laissé planer sur eux une menace, un soupçon illégitime.

Un débat qui s’exporte même hors de France, et donne à réfléchir.

« Pourquoi la France veut elle nous imposer ses monstres ? », voilà le titre d’un article-plaidoyer contre l’inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution, paru dans Le Monde Afrique. Il invite à réfléchir sur ce que la déchéance de nationalité pourrait impliquer pour d’autres pays. En effet, ces « monstres » ont été créés au sein notre société. S’ils venaient à être déchus de leur nationalité, ils se retrouveraient forcés de retourner dans leur(s) autre(s) pays d’origine. Des pays qui ne voudraient en aucun cas se voir imposer ces criminels, qui sont avant tout notre responsabilité. Quelle image donnerions-nous si nous nous contentions de renvoyer simplement les indésirables ?

Adopté par l’Assemblée nationale le 10 février (317 oui, 199 non et 51 abstentions), le projet de révision de la Constitution a encore un long chemin devant lui avant d’être adopté définitivement. Nous ne sommes pas encore à l’abri de nouveaux retentissements dans le projet d’inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution.

Affaire à suivre …

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