Le symbole ne pouvait être plus fort. Entre les places de la République et de la Nation, des millions de franciliens se sont réunis aux-côtés de dirigeants du monde entier pour exprimer leur attachement aux valeurs de notre pays et leur haine envers le terrorisme. Habillés de tee-shirts « Je suis Charlie », flic, ou juif, pancartes au bras, des crayons brandis vers le ciel, le monde entier s’est mobilisé pour une même cause : la liberté. De culte, d’expression, ou plus largement la liberté de faire ce que nous voulons dans le respect de l’autre.
Dans une ambiance fraternelle bouleversante, se succèdent des scènes peu habituelles. Des français venus d’ici et d’ailleurs, de parfaits inconnus, se saluent et s’embrassent, scandent ensemble la Marseillaise. Des passants applaudissent les CRS qui encadrent les cortèges. Des familles entières défilent dans les rues et les plus jeunes enfants eux-mêmes expliquent la raison de leur venue. Après ces trois jours de terreur, les français, un temps choqués puis révoltés, viennent trouver du réconfort en affichant leur unité. Malgré ce climat de profonde angoisse et de tristesse, hommes et femmes refusent de montrer leur peur et marchent fièrement. Jamais la France n’a connu un tel élan progressiste sur le vivre ensemble et la liberté d’expression.
Ce dimanche 11 janvier 2015, jour parsemé de symboles nationaux, restera à part dans notre histoire. Mais une fois cet angélisme dissipé, que restera-t-il ? Nous avons aujourd’hui pris conscience de ce que notre société avait de plus précieux. Pour autant, ce sursaut national est-il le début d’un renouveau ?
Dans quelques jours, les fractures identitaires au sein de notre société reprendront sans doute leurs places. Même si nous sommes en ce jour unis, nous voyons déjà que des amalgames persistent. Comment la classe politique parviendra-t-elle à nous tenir rassemblés ? Pour cette journée de manifestation, l’ensemble des partis ont tenu à afficher une unité nationale. Lorsque chacun revêtira son étiquette, la classe politique sera-t-elle responsable et à la hauteur du peuple français ?
Dans quelques semaines, des rancœurs pourraient émerger : nous sommes tous Charlie aujourd’hui, mais pourquoi ne pas l’avoir été bien avant, dès les premières menaces contre le journal ? Fallait-il attendre d’être attaqués pour défendre nos valeurs ? Jamais autant de gens n’ont applaudi « l’esprit Charlie » pourtant si décrié et controversé jusqu’alors. Saurons-nous (vraiment) être Charlie ? Aux États-Unis, alors que la Bourse de New-York affiche un immense « Je suis Charlie », sur CNN ou le New-York Times, les caricatures de Mahomet sont quant à-elles floutées et les journalistes sont contraints de décrire les Unes avec des mots. Les Américains seraient-ils plus idiots que les Français pour ne pas comprendre ce qu’est une caricature ? À croire que certains pays préfèrent toujours garder une certaine réserve et se doter d’un « gilet pare-balles » pour l’avenir. En France, les journaux dits « grand public », traitant de l’information générale, vont-ils oser des choses que seul Charlie Hebdo osait ? Cette bande d’insolents pouvait certes se montrer féroce mais pour lutter contre l’injustice, déconstruire tous les dogmes, religieux ou non. Aujourd’hui, c’est le journal lui-même qui devient un symbole : un contre-sens ?
Dans quelques mois, certains regarderont avec un autre œil la présence de figures politiques internationales. Certains dirigeants ou ministres parfois critiqués sur leurs agissements se sont retrouvés sur une même ligne pour envoyer un message diplomatique inédit. Mais qu’en sera-t-il demain lorsque nous devrons appliquer une stratégie politique de coopération face à de telles attaques ? Comment se donner les moyens de lutter contre le terrorisme à un niveau global ?
Derrière les apparences et nos différences, nous avons soudainement réalisé que nous étions tous les mêmes : des êtres humains. Ces terroristes, finalement en guerre contre de simples dessins, ont eu cette idée folle de croire qu’avec des armes, ils parviendraient à attaquer notre héritage des Lumières, la démocratie, et même l’humour. Nous ne pouvons qu’espérer que la France sera à la hauteur de ses responsabilités face à cette prise de conscience mondiale. Comme le suggère Jean D’Ormesson, il s’agit aujourd’hui de « limiter ce qui nous oppose et multiplier ce qui nous unie ». De toute évidence, il y aura un avant et un après. Charge à nous, générations de tout temps et de tout peuple, de dessiner ce futur prometteur.