Opérations Serval et Barkhane : défaites militaires françaises ?
Arrivée d'un hélicoptère PUMA. le premier stick se prépare à embarquer.

Opérations Serval et Barkhane : défaites militaires françaises ?

Son Histoire et sa volonté d’étendre les droits de l’Homme dans le monde ont mené la France depuis le XIXe siècle à devenir progressivement le deuxième commanditaire d’opérations extérieures au monde après les Etats-Unis. Dans un contexte de repli général des grandes puissances armées des théâtres extérieurs, la position de la France au Sahel est sujette à critiques.

Le spécialiste des questions de terrorisme, Yves Trotignon, estimait en 2017 que la lutte anti-terroriste française au Sahel était « en passe de devenir un cas d’école de la lutte contre le djihadisme, regroupant tous les ingrédients d’un échec inévitable ». Solution appropriée ou enlisement inévitable ? Retour sur six ans de lutte anti-terroriste française en Afrique de l’Ouest.

 

Que sont Serval et Barkhane ?

Le 10 janvier 2013, des Jihadistes d’AQMI, du mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et d’Ansar Dine prennent la ville de Konna, dans le centre du Mali. Mandatée par le président de la République malienne, Dioncounda Traoré, la France demande le même jour la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU : c’est le début de l’opération Serval. L’opération vise le maintien de la paix et de la souveraineté de l’Etat Malien sur son territoire. En quelques jours, plus de 1800 militaires Français sont mobilisés, faisant de Serval la plus importante opération extérieure en cours de la France, qui engagera près de 5000 hommes durant le conflit.

Le 14 juillet 2014, le ministre Français de la défense, Jean-Yves Le Drian annonce le début d’une opération de coopération militaire, entre la France et les pays du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Niger, Tchad et Burkina Faso) afin d’apporter une réponse régionale à la question jihadiste : Serval touche à sa fin, c’est le début de l’opération Barkhane, toujours en cours aujourd’hui.

 

Pourquoi une intervention au Mali ?

Les enjeux au début de l’année 2013 sont simples : réduire à zéro les risques pour le Mali de devenir un Etat salafiste. En effet, les rapides avancées jihadistes au nord menaçaient l’aéroport international de Sévaré, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Konna, ce qui aurait fortement réduit la possibilité d’une intervention extérieure dans la zone de combats, tout en ouvrant un boulevard aux jihadistes vers la capitale malienne, Bamako. L’éventualité d’un Etat islamiste Malien aurait perturbé le bon fonctionnement économique du pays, notamment en ce qui concerne l’extraction d’or d’une part, de gaz et de pétrole à Taoudenni d’autre part. Plus que les intérêts économiques maliens, la situation menaçait de contrarier ceux des Français dans la région : les extractions d’uranium au Niger par Areva auraient été compromises. Aussi, une intervention Française visait dans un premier temps à refouler le salafisme au Mali pour endiguer sa progression à l’échelle régionale.

Un mitrailleur de l’Aviation Légère de l’Armée de Terre, lors de l’opération Barkhane

 

Remise en cause de la réussite de Serval et Barkhane

Béatrice Heuser, titulaire de la chaire de relations internationales à l’université de Glasgow, répond à la question en citant Aristote d’un ton catégorique. Serval n’est assurément pas une victoire : « c’est pour vivre en paix que nous faisons la guerre. Car nul ne fait ni ne prépare la guerre dans la seule intention de faire la guerre ». Serval ne s’étant pas soldé par une paix totale et inconditionnelle, il ne peut s’agir d’une victoire.

Pire est le constat, si l’on en croit Yves Trotignon, que la comparaison entre les opérations françaises en Afrique de l’Ouest et la guerre du Vietnam semble possible. Il s’agit pour les deux conflits d’actions menées par des pays occidentaux dans des pays du Tiers monde pour lutter contre des groupes armés fortement déterminés appliquant des stratégies asymétriques (guérillas, attentat-suicide, terrorisme…). Les conséquences sont simples : la présence française au Sahel crée une sympathie de la population locale pour les djihadistes et développe le sentiment anti-occidental moteur des groupuscules musulmans radicaux, avec l’association systématiques de la France et des combats. Pire encore, la détermination des groupes islamistes reste constante depuis les années 80, tandis qu’à géométrie variable, la réponse occidentale inadaptée se traduit par la diminution des effectifs engagés au Sahel, ainsi que leur étalement : de 4500 hommes concentrés au Mali avec Serval, à 3000 dans la région avec Barkhane. C’est la France qui, sans le dire, s’avoue vaincue.

 

Le flou autour de la notion de victoire

C’est une problématique bien connue des stratégistes que celle de la notion de victoire. La stratégie visant avant tout à répondre à un besoin politique, la seule réussite tactique ne suffit pas à constituer une victoire, Serval et Barkhane ne font pas exception. Si elles sont indéniablement des succès sur le plan militaire, certains questionnent leur réussite sur le plan politique. Reste alors à définir – ou plutôt à rappeler – le but de ces missions. Serval, on l’a dit, est un dispositif d’urgence mis en place afin de garantir la souveraineté de l’Etat Malien sur son territoire, non pas de détruire la menace djihadiste au Sahel. Sur ce plan, Serval peut être considéré comme un succès complet.

«Serval est un dispositif d’urgence mis en place afin de garantir la souveraineté de l’Etat Malien sur son territoire.»

L’élargissement du théâtre d’opérations au travers de Barkhane est plus critiquable. D’une part, comme l’affirme Aurélien Tobie, chargé de mission pour l’institut international de recherche sur la paix de Stockholm, Barkhane améliore bien la qualité de vie des habitants proches des zones de tensions, et est efficace sur ce plan. Néanmoins, l’opération est très mal comprise des populations vivant en zone sûre, et alimente même des théories au Niger, au Mali et au Burkina Faso, selon lesquelles la France mènerait un politique de recolonisation de la région.

 

Victoire ou défaite ?

Evidemment, la réponse n’est pas binaire. On l’a vu, la force de la violence islamiste au Sahel justifie de loin que l’on s’attèle à la réprimer. Début 2013, son intensité était telle qu’elle menaçait la stabilité politico-économique de la région, stabilité que Serval a su ramener avec brio. Cependant, la présence Française en Afrique de l’Ouest réveille les douleurs de la colonisation et porte le soupçon sur l’Occident, renouvelant la légitimité djihadiste. Par ailleurs, la volonté exprimée récemment par le Général d’armée François Lecointre d’étaler dans le temps la lutte contre les groupuscules musulmans radicaux dans la zone n’est pas sans rappeler le risque d’enlisement dans le conflit.

Si, de manière générale, Barkhane et Serval ont eu un impact très positif sur les violences islamistes dans la région, ces opérations sont, par leur nature militaire, intrinsèquement insuffisantes, les causes du mal salafiste étant plus profondes, dans la pauvreté, la misère et l’éducation. La maxime si vis pacem, para bellum reste une vérité intemporelle, mais il faudra beaucoup plus que la guerre pour apporter la paix.  

 

Léo Dietsch, DEGEAD 1

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