Rencontre entre martyrs de l’art

Le texte virulent d’Antonin Artaud (1896 – 1948), Van Gogh, le suicidé de la société, constitue l’argument de l’exposition du Musée d’Orsay. Dans son essai, l’auteur souhaite révéler « la vérité » de Van Gogh (1853 – 1890) que la société refuse. Poétique amer, Artaud se fait le porte-parole des intentions de l’artiste-peintre, de ses doutes, de ses cris de rage. Et au-delà, ses mots participent à un combat. Lorsqu’Artaud accuse la société d’être incapable de comprendre le génie de Van Gogh, il s’insurge contre l’incompréhension des hommes ; il dénonce aussi les préjugés, la morale et les normes.

L’exposition « Van Gogh / Artaud, le suicidé de la société », au Musée d’Orsay jusqu’au 6 juillet 2014, met en lumière l’identification profonde entre les deux artistes. Des extraits de l’ouvrage d’Artaud sont inscrits sur les murs de l’exposition et accompagnent les œuvres de Van Gogh. Unis par leurs troubles, aussi bien les mots que les toiles dévoilent une sensibilité extrême et un sentiment de rejet. Qualifiés de « fous », les deux hommes partagent cette expérience de la psychiatrie, des hôpitaux, de l’internement. Artaud passât neuf ans dans un hôpital psychiatrique ; Van Gogh, le 23 décembre 1888, d’après Gauguin, seul témoin du drame, l’aurait menacé avec un rasoir avant de se trancher l’oreille gauche et de l’offrir à une prostituée. Son internement fît suite à cette tragique histoire.

La folie de l’artiste n’a cependant nullement altéré son œuvre, et a, au contraire, donné de nouvelles facettes à son travail. A mi-chemin entre le naturalisme et l’impressionnisme, la palette de couleurs est le reflet de ses émotions. Dans ses autoportraits, les plus froides explosent. Sur un jaune si pâle qui colore son visage, le bleu et vert sont appliqués par touches épaisses pour marquer le trait. Dans les paysages, les couleurs chaudes reviennent : elles sont vives, puissantes. Malgré tout, le bleu et le vert conservent une place majeure (Entrée du jardin public à Arles, 1888 ; La Chambre, 1889). A partir de 1889, la folie transparaît peu à peu de ses tableaux. Tout se tord, ondule et s’entremêle. Chaque masse de peinture portée sur la toile donne tellement de relief que l’on croirait voir des collages. Les détails disparaissent, mais l’imprécision n’impacte pas la densité et le prestige de ses œuvres. (Cyprès, 1889 ; Deux femmes, 1889).

Sur l’exposition elle-même, nous pouvons formuler certains reproches. La biographie des deux hommes n’arrive qu’au milieu de l’exposition alors que l’on souhaite rapidement comprendre, au-delà du lien évident, d’autres similitudes entre les deux artistes. Par ailleurs, lorsque les salles sont surchargées, l’impossibilité de déambuler à ses envies entre les tableaux perturbe le plaisir de l’instant présent. Cependant, pour la scénographie, Orsay a privilégié des murs très sombres, uniquement dans les tons de gris et a même osé le noir. A l’opposé d’un choix minimaliste comme au Centre Georges Pompidou, qui opte souvent pour un blanc immaculé, le parti pris du Musée d’Orsay sublime le travail de Van Gogh. Cet instant artistique permet aussi de redécouvrir les œuvres de ce maître de la peinture. Natures mortes, toiles oubliées ou tableaux majeurs (L’Eglise d’Auvers-sur-Oise, vue du chevet, 1890 ; La Nuit étoilée, 1888), chacun pourra trouver son bonheur dans cette exposition.

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