L’imbroglio des présidentielles américaines

L’imbroglio des présidentielles américaines

Le 3 Novembre prochain, les Américains seront appelés à élire leur prochain président. Les particularités de ce scrutin méritent qu’on se penche un peu plus en détail sur son organisation.  

Un suffrage universel indirect 

Contrairement à nombre de présidents dans nos démocraties contemporaines, le président des États-Unis n’est pas élu directement par le peuple américain. Les Américains désignent des délégués qui se réuniront en Décembre pour élire le président. Ces délégués forment le Collège Électoral, composé de 538 membres, représentant les 50 États, ainsi que Washington D.C.

Le Collège Électoral n’assure pas la victoire au candidat ayant reçu le plus de voix au niveau national. Les voix y sont réparties par les États selon la règle du winner takes all (Le Gagnant prend tout).1 Les voix d’un État ne sont pas attribuées proportionnellement au vote populaire de chaque candidat, mais tous les délégués d’un État votent pour le candidat ayant reçu le plus de votes dans son État. Ainsi, une majorité simple en Californie suffit pour remporter ses 55 délégués, donc ses 55 voix au Collège Électoral. 

Une compétition inégale 

Le système du winner takes all a favorisé l’émergence du bipartisme américain ; les électeurs n’étant pas incités à voter pour un autre candidat si celui-ci n’est pas en mesure de remporter à l’échelle d’un État entier. 

La sociologie des États et leur affiliation politique ont créé une typologie, entre Blue States, Red States et Purple States (ou Swing States). Les États « Bleus » votent traditionnellement démocrates. Ils sont majoritairement urbains avec une forte proportion de minorités ethniques. Les plus notables étant la Californie, ou l’État de New York. A l’inverse, les États « Rouges » votent majoritairement Républicain. Ce sont des États ruraux, conservateurs, situés majoritairement dans l’intérieur du pays, et au sud-Est. C’est le cas du Texas, ou de l’Alabama par exemple. Les États « Violets », eux, ne sont fidèles à aucun parti. La victoire n’y est garantie pour aucun candidat, les plus notables étant la Floride, ou la Pennsylvanie. C’est dans les États « Violets » que l’élection est la plus serrée, et là où les candidats concentrent leurs efforts. 

Toutefois, les changements démographiques de la société américaine affectent la fidélité des États envers les partis politiques. Les migrations des populations afro-américaines du Midwest américain (Anciennement Iron Belt, autour des Grands Lacs), vers le Sud pourraient augmenter le vote démocrate dans ces États, traditionnellement républicains. Ces effets commencent à se faire sentir : en Géorgie et au Texas, les candidats démocrates au poste de Gouverneur en 2018 ont été battus de justesse face aux candidats républicains, non sans scandale d’accès au vote rendu plus compliqué pour les minorités le jour de l’élection.2

Un système critiqué

Issu d’un compromis lors de l’élaboration de la Constitution des États-Unis, le Collège Électoral assure une représentation plus importante des États ruraux, afin d’éviter une division trop profonde entre les États urbains et ruraux. Les candidats seraient ainsi obligés de faire campagne dans tout le pays, même dans les plus petits États, et non seulement dans les plus grandes villes du Pays. 

La suppression du Collège Électoral a été un sujet politique majeur du débat public, notamment durant les primaires démocrates, où certains candidats se sont prononcés en faveur d’une réforme du système électoral américain. Les exemples de Présidents élus sans majorité du vote populaire sont nombreux : 1824, 1876, 1888 et en 2016. Mais le cas le plus marquant restera l’élection de George W. Bush en 2000, face au démocrate Al Gore. Le résultat final n’a été connu que plusieurs semaines après le scrutin, suite à la contestation des résultats en Floride, qui était nécessaire pour assurer la victoire à l’un des deux candidats. A la suite de semaines de décompte, la Cour Suprême des États-Unis a ordonné d’interdire un énième décompte des voix, attribuant ainsi la victoire en Floride à Bush, devançant Gore de quelques 500 voix en Floride, alors que ce dernier possédait une avance de plus de 500 000 votes au niveau national.3

Cette critique s’est matérialisée en une proposition : le National Popular Vote Interstate Compact. Il s’agit d’un accord passé entre plusieurs États américains (et Washington D.C.), s’engageant à allouer leurs votes au Collège Électoral au candidat ayant reçu le plus grand nombre de voix au vote populaire. Ceci est permis par le fait que les délégués restent libres de leur vote, malgré leur désignation. Toutefois, le projet ne pourra aboutir tant qu’au moins assez d’États représentant au moins la majorité absolue du Collège Électoral (270 délégués) aient signé l’accord. A ce jour, 15 États (plus Washington D.C.) ont signé cet accord, représentant 37% des délégués. La quête des 13% restants sera plus ardue que les premiers pourcents, car les États souhaitent respecter le vote de leurs citoyens. 

Un Président… mais pas que

Les Américains ne voteront pas pour une personne, mais pour un « ticket » présidentiel. Le candidat choisit un colistier (ou Running Mate), qui sera nommé à la Vice-Présidence s’il est élu. Si Donald Trump sera aux côtés de son actuel Vice-Président, Mike Pence, pendant la campagne, Joe Biden, lui-même ancien Vice-Président de Barack Obama a choisi Kamala Harris. Il s’agit seulement de la 3ème femme candidate investie par un parti majeur pour le poste de Vice-Président4, après Géraldine Ferraro en 1984 auprès de Walter Mondale (démocrate), et Sarah Palin en 2008, auprès de John McCain (républicain). Aucun de ces tickets ne sera élu. 

Se jouera également le 3 Novembre le renouvellement de la Chambre des Représentants et d’un tiers du Sénat Américain. Les 435 Représentants des 50 Etats sont élus pour 2 ans, par circonscription électorale représentant environ 700 000 Américains. La Californie élit 53 représentants, tandis que l’Alaska, le Vermont et 5 autres États n’en élisent qu’un seul. Les 100 sénateurs (2 par État) sont élus pour 6 ans, lors d’élection au niveau de l’État. 35 sièges sont en jeu au Sénat, chacun des partis étant en mesure de le renverser en sa faveur. Le contrôle des 2 institutions par le parti du Président élu sera nécessaire pour appliquer son programme. 

 

Election Day est également l’occasion pour certains États d’organiser leurs élections locales. Dans 11 États, le poste de gouverneur est en jeu, et dans 6 autres, la totalité ou une partie des parlements locaux seront élus. Certains États organisent également des référendums locaux sur des questions allant de légalisation du cannabis au New Jersey et au Dakota du Sud, au statut d’État du territoire de Porto Rico.  

 

Un résultat incertain 

 

L’élection présidentielle américaine, malgré les sondages favorables pour Joe Biden, reste serrée. Par la particularité du Collège Électoral, il n’est pas assuré de la victoire par l’avance dans les sondages au niveau national. Celui-ci devra mobiliser son électorat dans des États clés : la Floride, le Michigan, la Pennsylvanie, le Wisconsin : des États remportés par Donald Trump en 2016, mais qui pourraient basculer du côté démocrate en 2020. 

Autre point de friction : Donald Trump concèdera-t-il la défaite, si Joe Biden remporte les délégués nécessaires ? L’actuel Président s’est montré critique envers les votes par correspondance, dont l’importance devrait augmenter après la crise du coronavirus. Selon lui, cette méthode de scrutin serait de la fraude électorale, et favoriserait les démocrates (ce qui n’est pas prouvé). La contestation des résultats semble probable, en cas de résultats serrés, alors que le souvenir de l’élection de 2000 reste encore gravé dans les mémoires. 

Léandre Bierré, M1 Finance

1 A l’exception de 2 états, le Nebraska et le Maine, qui attribuent une partie de leurs délégués selon la circonscription électorale

2 https://www.americanprogress.org/issues/democracy/reports/2018/11/20/461296/voter-suppression-2018-midterm-elections/

 3 Le cas est un peu plus compliqué. Pour plus d’informations : https://www.youtube.com/watch?v=D-nR_hmS6V0

 4 Sans prendre en compte Hillary Clinton, candidate à la présidence en 2016 pour le parti démocrate

 

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