Et si le droit n’avait pas évolué depuis 50 ans ?

Et si le droit n’avait pas évolué depuis 50 ans ?

“La règle sert de boussole, et les lois de compas”, écrit le philosophe et homme d’Etat anglais, Francis Bacon, dans Les Essais (1625). Métaphore d’autant plus légitime qu’elle illustre, en plus du caractère accompagnateur des lois, leur constante évolution dans le temps. Car celles-ci sont, en plus d’en être les guides, le miroir de la société qu’elles régissent. Maintenant que l’amorce est jetée, imaginons dès à présent qu’il n’en est plus. Que le droit s’est figé. Nous sommes en 2021, mais les dernières lois promulguées datent de 1970. Simulation.

 

Je m’appelle Léna, j’ai 19 ans. Je suis née au 21ème siècle, mais dans un monde qui s’est figé en 1970. Plus aucune loi n’a été promulguée depuis 50 ans…enfin pas exactement. Avec la crise sanitaire, les paranoïaques, les complotistes, les exaltés de Twitter, les faiseurs de fake news et de craintes dirigent notre société. Ils ont eu l’idée folle d’effacer notre quotidien au profit du monde d’avant (puisque “c’était mieux avant”) et se sont accordés sur l’année 1970. Chouette période musicale (Queen à jamais dans nos coeurs), peut-être moins sur le plan vestimentaire. Disons qu’à l’époque, Orange était déjà the new Black… 

Bref, je vis dans un monde où le droit n’a pas évolué depuis 50 ans. En pratique, des travailleurs meurent de faim puisque le SMIC n’existe pas. Les femmes non plus n’existent pas. Je m’explique : pas d’égalité salariale, pas de parité en politique (les listes électorales sont exclusivement masculines), pas de possibilité de divorcer par consentement mutuel (seul l’époux peut initier la demande), pas de répression du viol, pas d’IVG évidemment et encore moins de remboursement. Tout au long de ma vie, je me dois de maîtriser ma contraception car aucune alternative n’est possible si je tombe enceinte au mauvais moment. 

Je ne connaîtrai jamais Amandine, premier bébé éprouvette de nationalité française. Les lois de bioéthique concernant le respect du corps humain, le don et l’utilisation des éléments et produits du corps humain ou l’assistance médicale à la procréation (PMA) ont, quant à elles, été retirées des textes officiels. Bonne nouvelle : le clonage n’est plus interdit par la loi ! Et le trafic d’organes reprend de la vigueur…

De toute manière, si je donne naissance à un enfant, j’en assumerai seule la garde. Dommage, le congé paternité venait d’être mis en place ! Si cette situation paraît peu compatible avec une carrière professionnelle, n’ayez crainte ! L’éducation dans le pays connaissant une forte régression, l’opportunité d’avoir un bon métier apparaît de plus en plus comme une illusion. 

L’enseignement reste un domaine encore faiblement démocratisé. Venir d’un milieu modeste peut diminuer drastiquement toutes mes chances non seulement d’accéder à des études longues, mais de tout simplement terminer mon éducation. La raison ? Aucune action de soutien ou de tutorat n’est organisée. Le collège jusqu’à la classe de troisième n’est pas accessible à tous, et je suis cantonnée dans certaines filières (collège général, technique, centre d’apprentissage) dès le plus jeune âgeAinsi, mon avenir peut être partiellement déterminé dès l’âge de 14 ans, anéantissant le progrès amorcé par les lois Jules Ferry.

Pourtant, trouver un travail est primordial. Dans notre société, il ne fait pas bon être chômeur. Alors que la pandémie a jeté des milliers de personnes dans la précarité, les lois des années 70 ne sont ni indexées sur l’inflation actuelle, ni sur le niveau des salaires. Elles sont donc absolument inefficaces pour permettre aux gens de retrouver du travail. Les progrès techniques ont été fortement ralentis, et les perspectives de nouveaux emplois s’amenuisent, entravées par des obstacles juridiques et financiers. 

 

Je ne peux pas voter car je suis encore trop jeune (le droit de vote est établi à 21 ans). De nouveau, le président a un mandat de sept ans. Cependant, on a la possibilité de  me tuer, puisque la peine de mort n’est pas abolie. L’obscurantisme et la violence ont eu raison de la loi Badinter. Génial, un point commun de plus avec les rois du pétrole ! 

Pas de semaine de trente-neuf heures, ni de trente-cinq, ou même une cinquième semaine de congés payés : on bosse ou on bosse ! Mais comme le dit Henri Salvador, “le travail c’est la santé”. Mieux vaut la conserver cette santé, puisque les maladies graves et chroniques ne bénéficient pas du 100 % (prise en charge intégrale sans débourser un centime), et que la couverture médicale universelle (et tous les progrès qu’elle a connue depuis sa mise en place) est devenue un doux rêve. La santé a été dénaturée, passant de droit à privilège social. Préparez-vous à retrouver l’espérance de vie du Moyen-âge, la dentition et les pandémies assorties. (pourquoi se limiter à une seule ?)

Si je meurs, aucun accompagnement pour ma fin de vie. Même si je cotise toute ma vie, ma retraite sera trop faible pour couvrir tous mes besoins. Mourir vieux importe plus que mourir dans la dignité. De toute façon, comme les loyers ne sont pas encadrés par un prix plafond, mon proprio me mettra à la rue, avec la pollution. 

En effet, la gestion de la question environnementale est encore plus chaotique que celle du Fyre Festival. Dans notre société, plus de réflexion sur la transition énergétique, plus d’accords internationaux pour le climat. Le plastique vit sa meilleure vie et la croissance verte ne constitue plus une alternative possible. Développement durable ? Rapport Brundtland ? Exit le joli schéma tricolore que vous avez appris à l’école. Mémorisez plutôt le trisecteur - la pâquerette noire et jaune - on le voit partout <3 Après les Etats-Unis, la France a aussi décidé de se retirer de l’accord de Paris sur le climat. Trop contraignant. Vu le nom, c’est un peu dommage, il faudrait penser à changer.

Pour continuer sur une note colorée, oubliez le principe du mariage pour tous. Les tons binaires sont préférés à l’arc-en-ciel. Mais après tout, comment espérer avoir le droit d’être soi-même dans une société qui comprime le progrès ? Les couples homosexuels ne peuvent ni se pacser ni se marier. Avoir un enfant n’est plus envisageable, et le don de sang leur est interdit. La dépénalisation de l’homosexualité était déjà longue, voilà qu’elle revient au rang de maladie mentale (dont elle avait été retirée de la liste de l’OMS en 1981). Le chemin vers la tolérance et la fin de l’homophobie devient plus accidenté qu’il ne l’était déjà…

Enfin, les médias ont retrouvé leur statut d’instruments au service du pouvoir. Comme au temps de la RTF (Radio-Télévision Française) avant la réforme de Giscard d’Estaing. Fini BFM TV, CNews (bon…)… Mais fini aussi les reportages, les enquêtes (de bonne foi), les interviews, Brut, les Fast & Furious de Konbini, les 24h avec Jul, la critique, la liberté d’expression. Tout disparaît au profit de chaînes sur lesquelles notre Etat a la mainmise. Bienvenue aux débats unilatéraux, à la réflexion sans fond, à la diplomatie Big Brother, et aux placements de produits ( Et trois aspi-venin pour retirer le vaccin injecté intra-musculairement au prix de deux !). Rassurez-vous, à la Plume, on est tous majeurs et vaccinés…

Les lois naissent à partir d’idées, qui sont en mouvement constant. Vous l’aurez donc compris, maintenir des règles telles qu’elles sont, alors même que les raisonnements dont elles découlent changent, est vide de sens. Des lois rigides n’empêchent pas les mentalités d’évoluer. Et il n’y a pas plus inefficace et injuste qu’une société régie par des dogmes “périmés”. Les mesures sociales ont été démultipliées depuis les années 70 jusqu’à aujourd’hui, si bien qu’il paraît impossible de pouvoir superposer le régime juridique d’il y a 50 ans sur l’époque actuelle.  Malgré tout, des progrès sont encore à faire, concernant le climat ou encore la transparence en politique pour que la parité soit vraiment appliquée. En espérant que la routourne continue de tourner, je te souhaite bonne lecture pour la suite de ce numéro. 

Léna Stern, L3 MGO

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