Devenir footballeur en Europe : quand le rêve tourne en cauchemar

Pelé, Maradona, Messi, Drogba… Tant de noms de grands footballeurs qui font rêver des centaines de millions jeunes du monde entier. Leur rêve? Devenir à leur tour footballeurs professionnels. Particulièrement en Afrique. Jouer dans les plus grands clubs européens constitue leur motivation ultime. Mais le passage du rêve à la réalité peut se transformer en calvaire.

Le 9 janvier 2013, «Comme un Lion» sort au cinéma. Réalisé par Samuel Collardey, ce film nous montre l’envers du décor de la formation des futurs footballeurs. Mitri, jeune sénégalais de 15 ans, rêve de Chelsea et du FC Barcelone. Il est repéré par un agent recruteur, qui lui propose de s’installer en France. Mais le voyage coûte cher. La famille de Mitri et les habitants de son village sacrifient leurs maigres ressources afin de lui permettre de réaliser son rêve. Hélas, l’agent en question est un escroc, et Mitri se retrouve seul à Paris, sans club ni argent.

Cette situation, nombre de jeunes Africains la rencontrent. Ce qui doit être une formation pour atteindre le haut niveau sportif se transforme en un chemin de croix. Ces jeunes découvrent un monde qui leur est totalement inconnu, comme nous le raconte Ladji1.

Ce jeune Ivoirien de 20 ans s’attendait à une carrière similaire à celle de l’idole du pays, Didier Drogba. Un agent lui propose un essai dans l’un des meilleurs clubs belges, Anderlecht. «Le club était au complet, ils n’avaient pas besoin de nouvelles recrues. L’agent m’a abandonné là, sans argent». Il n’est pas un cas isolé. Nombre de joueurs pleins d’espoir arrivent en terre belge, déjà surchargée de talents africains.

Garder espoir

Ladji a de la chance; sa sœur est installée à Paris. Il décide de la rejoindre. Avec une vingtaine d’autres jeunes désabusés, il s’entraîne tous les midis dans un stade de Seine Saint Denis (93). Clandestinement. «On entre par une zone où les barreaux de protection sont écartés. On n’a pas accès au vestiaires, on se change sur le terrain».

Un Camerounais, la trentaine passée, gère l’entraînement. On le surnomme «Campos». Il ne donne pas son nom, aucune indication sur son ancienne carrière. Mais l’individu est très exigeant. «En 2009, quelques amis footballeurs m’ont demandé de l’aide pour les entraîner. Puis le bouche à oreille s’est fait. Mais je n’accepte que les joueurs au niveau solide car le but est de faire des séances de haut-niveau».

La municipalité les tolère et ne leur prête le terrain que de 12h à 14h. Le rythme est donc intensif et l’ambiance studieuse. À la sortie, tous gardent espoir. D’après Ladji, «Didier Drogba a du attendre des années avant de devenir une grande star. Je dois rester endurant et patient. Le football, c’est ma vie. Je suis déterminé à devenir professionnel, quoi qu’il m’en coûte». L’avis est partagé par la majorité des joueurs, même si certains sont plus lucides.

«Si frustré et stressé!»

Les rêves de grandeur, Désiré n’y croit plus. «Les places sont très chères en France. Jouer ici, je n’y crois plus, il y a beaucoup trop de monde. Mais j’irai n’importe où pour jouer au foot: Luxembourg, Algérie, Turquie…».

Lui aussi a connu la malveillance d’agents peu scrupuleux. Il est d’abord parti en Hongrie, où on lui promettait un contrat professionnel. Mais il finit dans un club amateur. L’agent exige même qu’Alexis lui paye sa commission, malgré l’engagement non tenu. Mais il ne l’abandonne pas, lui promettant une meilleure situation en Turquie. Un mensonge de plus. » L’agent me disait que tout était payé. Encore un mensonge. En Turquie, c’était le gros bordel. Je n’étais même pas à Istanbul comme prévu. Il ne se passait rien, je n’avais aucun essai de prévu. L’agent voulait juste montrer à des clubs locaux qu’il pouvait ramener des joueurs. J’ai seulement servi d’appât, lui faisait du business sur mon dos.» La suite? De nombreux essais infructueux, en France et en Angleterre.

Sa situation actuelle est une souffrance. «Tu poursuis, un rêve, un beau en plus! Et il y a la réalité, la galère. Je me sens vraiment mal, certains matins, j’ai vraiment pas le moral ni la motivation. Je suis si frustré et stressé!» Certains jouent dans les clubs amateurs du coin pour s’entretenir, lui refuse. Les 10 heures d’entraînement sous les ordres de Campos lui suffisent. Il consacre le reste de son temps à des missions d’intérim. Pour survivre.

Institutionnaliser la formation

L’association «Footsolidaire», fondée en 2000 par Jean Claude Mbvoumin (ancien international camerounais), lutte contre ces trafics de jeunes joueurs en provenance d’Afrique. Elle est soutenue par la FIFA et aide les jeunes dans la même situation que Ladji ou Désiré. Une initiative encourageante en vue de lutter contre un phénomène dont on ne parle que trop peu.

Le manque de scrupules des agents de footballeurs n’explique pas à lui seul cette situation de clandestinité pour de nombreux joueurs africains. En France, de nombreux clubs formateurs étaient intéressés par les qualités athlétiques des joueurs africains. Aujourd’hui, des joueurs français d’origine africaine avec des qualités physiques similaires intègrent les centres de formations. Les clubs n’ont quasiment plus besoin de recruter en Afrique. D’où la difficulté toujours plus grande pour les joueurs africains d’intégrer un club professionnel.

Mais le nœud du problème s’explique par le manque de structures de formation en Afrique. Or celles-ci sont essentielles, non seulement pour former les jeunes joueurs, mais aussi afin de les préparer à une reconversion s’ils ne parviennent pas à signer un contrat professionnel. Il n’existe qu’un seul exemple notable d’un tel centre de formation: l’institut Diambars au Sénégal.

Cette structure similaire au sport-étude français a vu le jour grâce à trois anciens joueurs reconnus: Bernard Lama, Patrick Vieira et Jimmy Adjovi Boco. L’objectif est de former de jeunes sénégalais talentueux, de 13 à 18 ans. Les plus prometteurs ont la quasi certitude de devenir professionnels, soit dans leur pays, soit en Europe. Cette «sécurité de l’emploi» est garantie grâce à des partenariats conclus avec des clubs professionnels français comme Sochaux ou Lens. Ainsi, un des élèves, Idrissa Gueye, brille actuellement avec le club de Lille. Cependant, les formateurs exigent également un excellent niveau scolaire, permettant aux jeunes de rebondir en cas d’échec. La démarche est un succès, notamment grâce à une structure administrative solide d’une soixantaine de personnes qui permet un suivi individualisé. Une deuxième structure Diambars a vu le jour en Afrique du Sud, peu avant la coupe du monde 2010. Mais cette initiative manque de relais, ce qui permettrait son développement sur l’ensemble du continent africain. De tels centres de formations permettraient de diminuer fortement le nombre d’escroqueries dont sont victimes ces jeunes pour qui l’Europe constitue un eldorado. Un eldorado qui se transforme souvent en une cruelle désillusion.

Dans «Comme un Lion», Mitri fait une heureuse rencontre qui lui permettra d’intégrer le centre de formation de Sochaux, un club de première division française. Pour, lui l’issue est heureuse. Mais la vie n’est pas un film.

1 Les prénoms ont été volontairement modifiés.

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